Le dimanche suivant l\u2019\u00c9piphanie est le premier du \u201cTemps ordinaire\u201d et sert de lien entre le temps festif de l\u2019Avent et de No\u00ebl que nous venons de vivre et le temps ordinaire dans lequel nous entrons et qui nous conduira, dans un peu plus de cinq semaines, au temps du Car\u00eame. Il me semble qu\u2019il indique bien la \u201ccouleur\u201d de l\u2019\u201cOrdinaire\u201d de la vie des chr\u00e9tiens\u00a0: une couleur \u00e9minemment paradoxale qui fait de notre ordinaire un constant extraordinaire\u00a0!<\/p>\n
Marc raconte le premier acte public connu de J\u00e9sus\u00a0: alors que Jean pr\u00eachait un bapt\u00eame de conversion pour la r\u00e9mission des p\u00e9ch\u00e9s au bord du Jourdain, seuil qui fait passer d\u2019une situation d\u2019esclavage ou de p\u00e9ch\u00e9 \u00e0 la libert\u00e9, au pardon de Dieu, arrive J\u00e9sus de Galil\u00e9e, qui s\u2019ins\u00e8re dans la file de ceux qui viennent confesser leurs p\u00e9ch\u00e9s pour recevoir ce bapt\u00eame.<\/p>\n
J\u00e9sus, dont Jean dit\u00a0: \u201cVoici venir derri\u00e8re moi celui qui est plus fort que moi\u201d, \u00e9tait disciple de Jean, car tel est le sens de l\u2019expression \u201cvenir derri\u00e8re \u2013 ou suivre \u2013 quelqu\u2019un\u201d. Jean savait-il qui \u00e9tait J\u00e9sus\u00a0? Il savait certainement qu\u2019il \u00e9tait un de ses cousins, mais d\u2019apr\u00e8s ce que dit l\u2019\u00e9vang\u00e9liste Jean, le Baptiste ignorait l\u2019identit\u00e9 messianique de J\u00e9sus\u00a0: \u201cmoi, je ne le connaissais pas\u00a0; mais, si je suis venu baptiser dans l\u2019eau, c\u2019est pour qu\u2019il soit manifest\u00e9 \u00e0 Isra\u00ebl\u201d (Jn 1,31). Il ignorait donc qui \u00e9tait le \u201cplus fort que lui\u201d tout en sachant qu\u2019il se trouvait parmi ses disciples.<\/p>\n
C\u2019est le bapt\u00eame qui r\u00e9v\u00e8le la v\u00e9ritable identit\u00e9 de J\u00e9sus, identit\u00e9 qui restera pourtant voil\u00e9e tout au long de l\u2019\u00c9vangile sous le titre \u00e9nigmatique de \u201cFils de l\u2019homme\u201d, et ne sera d\u00e9voil\u00e9e qu\u2019au moment o\u00f9 J\u00e9sus sera condamn\u00e9 par le sanh\u00e9drin, quand \u00e0 la demande du grand-pr\u00eatre\u00a0: \u201cEs-tu le Christ, le Fils du Dieu b\u00e9ni\u00a0?\u201d, il r\u00e9pondra\u00a0: \u201cJe le suis\u201d\u00a0 (Mc 14,61-62), puis, une seconde fois, quand le centurion qui pr\u00e9sida mat\u00e9riellement \u00e0 la crucifixion de J\u00e9sus, voyant comment il \u00e9tait mort, s\u2019exclamera\u00a0: \u201cVraiment cet homme \u00e9tait le Fils de Dieu\u201d (Mc 15,39).<\/p>\n
Quand donc J\u00e9sus vient vers Jean, il n\u2019est qu\u2019un de ses disciples qui agit comme les autres, se reconna\u00eet p\u00e9cheur devant Dieu et re\u00e7oit le pardon par le bapt\u00eame. C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 ce moment qu\u2019\u00e9clate, si je puis dire, la r\u00e9v\u00e9lation\u00a0: quand J\u00e9sus, nu, sort de l\u2019eau, il voit les cieux se d\u00e9chirer, ces cieux qui depuis Malachie, le dernier proph\u00e8te, \u00e9taient ferm\u00e9s, et une voix se fait entendre alors que l\u2019Esprit descend sur lui.<\/p>\n
Que s\u2019est-il pass\u00e9 au juste\u00a0? Je l\u2019ignore, et nous ne le saurons jamais, car l\u2019\u00e9vang\u00e9liste ne fait pas une chronique des \u00e9v\u00e9nements, mais offre une \u201crelecture\u201d des \u00e9v\u00e9nements, relecture qui sera reprise et r\u00e9\u00e9labor\u00e9e par les autres \u00e9vang\u00e9listes qui ne pouvaient se r\u00e9soudre \u00e0 admettre que J\u00e9sus, le Saint de Dieu, ait pu se pr\u00e9senter comme un p\u00e9cheur devant Jean.<\/p>\n
Matthieu, en effet, a introduit un dialogue o\u00f9 Jean se d\u00e9clare indigne de baptiser J\u00e9sus et o\u00f9 J\u00e9sus lui r\u00e9pond qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une question d\u2019ob\u00e9issance pour l\u2019un et pour l\u2019autre\u00a0: \u201cLaisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice\u201d (Mt 3,15). De son c\u00f4t\u00e9, Luc \u00e9lude le probl\u00e8me en soulignant surtout que J\u00e9sus \u201c\u00e9tait en pri\u00e8re\u201d (Lc 3,21). Quant au quatri\u00e8me \u00e9vang\u00e9liste, il s\u2019abstient de dire que J\u00e9sus a \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9, se contentant de parler d\u2019une rencontre entre J\u00e9sus et Jean (Jn 1,29-34).<\/p>\n
On aurait aussi pu dire que J\u00e9sus a voulu se rendre pleinement solidaire des p\u00e9cheurs, assumant leurs p\u00e9ch\u00e9s, si bien que c\u2019est charg\u00e9 du p\u00e9ch\u00e9 des autres qu\u2019il s\u2019est pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 Jean\u00a0: J\u00e9sus n\u2019a pas confess\u00e9 ses propres p\u00e9ch\u00e9s mais les n\u00f4tres et est devenu ainsi notre pardon. C\u2019est ce que dira saint Paul aux Corinthiens (2Co 5,21\u00a0; cf. aussi Gal 3,13).<\/p>\n
Qu\u2019en est-il alors de Marc\u00a0? Il sait d\u2019une part que Jean pr\u00eachait un bapt\u00eame de conversion et que J\u00e9sus a re\u00e7u le bapt\u00eame\u00a0; mais il sait aussi, d\u2019autre part, depuis l\u2019\u00e9v\u00e9nement de P\u00e2ques, que J\u00e9sus ressuscit\u00e9 d\u2019entre les morts est vainqueur de la mort et appartient au monde divin, ce que dit pr\u00e9cis\u00e9ment le titre de \u201cFils de Dieu\u201d\u00a0: dans l\u2019ordinaire apparent d\u2019un homme qui re\u00e7oit le bapt\u00eame de r\u00e9mission des p\u00e9ch\u00e9s est enfoui le myst\u00e8re du Dieu trois fois saint. C\u2019est l\u2019extraordinaire dans l\u2019ordinaire, le divin dans la condition p\u00e9cheresse des \u00eatres humains\u00a0!<\/p>\n
L\u2019important c\u2019est donc le paradoxe dont ceux qui \u00e9taient l\u00e0 n\u2019ont peut-\u00eatre pas pu voir, mais que nous, nous pouvons lire\u00a0: d\u2019un c\u00f4t\u00e9 un humble \u00eatre humain plong\u00e9 nu dans le fleuve pour recevoir le bapt\u00eame de r\u00e9mission des p\u00e9ch\u00e9s et de l\u2019autre l\u2019Esprit qui descend sur lui alors que la voix de Dieu proclame \u201cTu es mon Fils bien-aim\u00e9 ; en toi, je trouve ma joie\u201d\u00a0: d\u00e9claration qui contient des allusions significatives \u00e0 des textes de l\u2019Ancien Testament\u00a0:<\/p>\n
Le \u201cFils\u201d, est appellation royale\u00a0; c\u2019est en effet du roi de J\u00e9rusalem que Dieu proclame\u00a0: \u201cTu es mon Fils, aujourd\u2019hui je t\u2019ai engendr\u00e9\u201d (Ps\u00a02,7).<\/p>\n
Le \u201cbien-aim\u00e9\u201d \u00e9voque la figure d\u2019Isaac montant avec son p\u00e8re sur le mont de la vision pour y \u00eatre offert en holocauste. Dans la version grecque que le Nouveau Testament cite habituellement, Isaac est appel\u00e9 par trois fois \u201cle bien-aim\u00e9\u201d, l\u00e0 o\u00f9 le texte h\u00e9breu parle de \u201cl\u2019unique\u201d (Gen 22,2.12.16).<\/p>\n
Enfin la d\u00e9claration\u00a0: \u201cen toi, je trouve ma joie\u201d reprend Is 42,1 o\u00f9 nos traductions font dire au Seigneur que celui qu\u2019il a \u00e9lu \u201ca toute ma faveur\u201d.<\/p>\n
C\u2019est ce m\u00eame contraste que nous retrouvons sur la croix\u00a0: l\u00e0 un condamn\u00e9 \u00e0 mort expos\u00e9 nu \u00e0 la vue de tous, qui, au moment de sa mort \u201cr\u00e9pand l\u2019Esprit\u201d (Jn 19,30), Esprit qui l\u2019habitait depuis son bapt\u00eame (cf. Jn 1,32\u00a0: \u201cJ\u2019ai vu l\u2019Esprit descendre sur lui et demeurer sur lui\u201d), et la voix du centurion romain qui proclame\u00a0: \u201cVraiment cet homme \u00e9tait le fils de Dieu\u00a0!\u201d (Mc 15,39).<\/p>\n
Je disais au d\u00e9but que ce dimanche donne, au travers de son \u00c9vangile, la \u201ccouleur\u201d de notre ordinaire. Ce que nous vivons au jour le jour peut en effet \u00eatre compar\u00e9 \u00e0 ce J\u00e9sus qui se m\u00eale aux p\u00e9cheurs pour recevoir le bapt\u00eame, un J\u00e9sus qui sent le besoin de la mis\u00e9ricorde de Dieu pour son existence\u00a0; notre ordinaire peut aussi parfois prendre l\u2019aspect de la crucifixion du Christ\u00a0: des jours intenables o\u00f9 la vie perd son sens et o\u00f9 tout semble sans issue, comme une lente descente dans la mort.<\/p>\n
Et bien c\u2019est exactement sur ces situations ordinaires, d\u00e9primantes ou d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9es que fait irruption la lumi\u00e8re qui a jailli de l\u2019humble grotte de Bethl\u00e9em, dont le Prologue de l\u2019\u00c9vangile selon Jean proclame qu\u2019elle \u00e9tait, qu\u2019elle est la Parole de Dieu, le Fils unique qui habite le sein du P\u00e8re et qui pourtant s\u2019est fait chair et a plant\u00e9 sa tente parmi nous pour nous \u201craconter\u201d la v\u00e9rit\u00e9 de notre Dieu (Jn 1,18).<\/p>\n
Accueillons cette lumi\u00e8re d\u2019esp\u00e9rance et de paix dans notre vie quotidienne\u2026 et alors chacune de nos respirations et chaque battement de notre c\u0153ur deviendra une poussi\u00e8re de l\u2019extraordinaire de Dieu.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
L\u2019extraordinaire enfoui dans l\u2019ordinaire<\/p>\n","protected":false},"author":361,"featured_media":5881,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","ctc_sermon_book":[],"ctc_sermon_series":[381],"ctc_sermon_speaker":[343],"ctc_sermon_tag":[],"yoast_head":"\n