« Euangélion », « Évangile ». C’est le premier mot que j’ai envie de prononcer alors que nous commençons une nouvelle année liturgique, que nous vivrons en suivant principalement, comme fil rouge, l’Évangile selon saint Marc.
« Euangélion », Évangile. On traduit aussi « Bonne nouvelle ». Tel ou tel auteur traduit « Heureuse Annonce ». Lorsque saint Marc ouvre son Évangile, c’est vraiment par cela qu’il commence : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu. » Et lorsqu’il se propose de nous offrir, de nous partager l’Évangile du Christ, ce dont il va être question ça va être à la fois de nous rapporter la prédication du Christ mais, plus encore, d’établir entre nous et le Christ un lien, un lien vital. On le voit chez Marc mais on le voit chez tous les évangélistes. En définitive, leur travail consiste, certes, à rapporter l’enseignement d’un Maître mais il consiste tout autant à révéler la personne qu’est Jésus comme Christ, porteur de l’onction, comme Fils de Dieu, pas “fils de Dieu’’ au sens large et commun, comme le sont tous ceux et celles qui honorent les commandements du Seigneur, mais comme propre Fils de Dieu.
Au-delà de contenu intellectuel, cette idée d’un lien avec le Seigneur est extrêmement importante. Saint Jean, lui, fait le lien entre la foi et la vie. Il dit à la fin de son Évangile (je parle toujours de saint Jean) que tout ce qu’il a écrit, il l’a fait : « Pour que nous croyions que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et que, en croyant, nous ayons la vie en son nom. »
Évangile voilà qui nous dit toute la prégnance de la source de notre foi. Non pas simplement un récit, non pas simplement un texte, non pas simplement des paraboles mais une Parole vive qui nous est proposée et cette parole vive — Marc ne le dira pas comme ça mais — c’est le Verbe qui se fait l’un de nous, qui littéralement prend chair. Et c’est pour apprivoiser ces formules que nous ne connaissons que trop que nous allons avoir maintenant quelques semaines devant nous pour nous préparer à la Nativité du Seigneur, c’est-à-dire au commencement de son épiphanie, à son apparition parmi nous, alors qu’il a déjà commencé son cheminement en humanité puisque cela commence avec sa conception.
Nous entrons en « avent ». Ce mot français vient du mot latin « adventus » et ce qu’il désigne, ce n’est pas précisément une attente, au sens d’une expectative. Ce qu’il désigne c’est un mouvement, ce mouvement il porte un nom, c’est une « venue » ou une « advenue ». Il me semble qu’aujourd’hui c’est surtout à cela que j’aimerais nous rendre sensibles.
Vous avez remarqué que les textes d’aujourd’hui, en particulier l’évangile, sont très en phase avec tout ce que nous avons entendu au cours des derniers dimanches, lorsque nous avons fini de lire le discours eschatologique de Matthieu. C’est à plusieurs reprises que l’on a eu cette invitation à demeurer vigilants, à demeurer attentifs, à demeurer éveillés. C’est à plusieurs reprises qu’on a attiré notre attention sur ce temps que nous habitons, un temps qui est un temps d’entre-deux : le Seigneur est déjà venu, mais nous savons aussi que le Seigneur reviendra. Entre ce moment où le Seigneur est venu, où il est entré dans la chair, et le moment où il reviendra, au fond, c’est à nous que tout est confié.
Mais ce sur quoi je voudrais insister, c’est vraiment ceci : l’avent, non pas un temps d’expectative, mais un temps de très très grande vigilance. Et il y a probablement deux directions dans lesquelles cette vigilance s’exerce. D’abord, c’est le premier point : être attentif à ce qui est déjà là. De quelque manière, dans la personne du Seigneur Jésus tout nous est déjà donné, le Verbe se fait chair, le Verbe vient jusqu’à nous, il endosse tout ce qui fait notre humanité. Il se met même au rang des pécheurs lorsqu’il se met dans la file pour aller se faire baptiser par Jean. Il endosse même notre mortalité. De sorte que tout nous est donné dans sa parole et dans sa personne, dans ses faits et gestes.
Tout nous est donné mais nous voyons bien que tout ce qui nous est donné n’a pas encore porté pleinement son fruit. Il y a tout le déjà-là, mais il y a aussi tout ce qui n’est pas encore là. Et certes le Fils nous a été donné, certes le pardon de Dieu nous a été donné, la rédemption a été vécue, le Seigneur est né, il a grandi, il a souffert, il est mort et il est ressuscité, mais nous mesurons combien il est important pour nous d’être les disciples actifs du Christ pour que, comme nous le demandons chaque jour dans la prière, son Règne advienne. Pour que son Règne advienne dans le cœur de chacun, dans toutes nos communautés chrétiennes, dans l’Église au sens le plus large possible et même dans le monde des hommes.
L’invitation que nous lance le Seigneur aujourd’hui à veiller, à être attentifs, elle va dans les deux directions et, de quelque manière, l’attention vigilante à ce qui déjà nous a été donné c’est ce qui nous permet de travailler à ce qui doit pleinement advenir. Faute de cela il y aurait de grandes chances que l’on se décourage à répéter continument : « Que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite » en voyant, en soi et autour de soi, toutes les difficultés qu’il y a à établir ce Règne et à accomplir la volonté du Seigneur.
Mais c’est parce que nous sommes sûrs du don de Dieu que nous avons et que nous conservons la force de travailler à marcher vers toujours plus de plénitude. Et sans doute souvent il faut reprendre les choses, sans doute souvent il faut se réarmer, se re-mobiliser, mais nous le faisons parce que la grâce du Christ nous est donnée. La grâce du Christ, le Christ lui-même nous est donné. Sans lui nous ne pouvons rien faire, c’est avec lui que nous pouvons faire quelque chose.
De sorte que pendant cet avent nous allons vivre en condition réelle. Le premier dimanche ne tourne pas immédiatement nos yeux vers le point géographique ni le moment chronologique où va naître le Sauveur : Bethléem. Le premier dimanche de l’avent, nous sommes invités à une dilatation d’un cœur qui attend. Nous sommes invités à la mobilisation d’un cœur qui attend l’accomplissement de toutes choses ; et nous sommes aussi invités à la mobilisation d’un cœur qui se rend déjà attentif à tout ce qui est donné. Ensuite, c’est chemin faisant que nous allons mettre le focus sur Bethléem et que nous allons essayer de faire droit à cette heureuse mémoire solennelle de la Nativité du Seigneur. Parce qu’il est bel et bien venu vivre dans notre chair, il est né — comme je l’ai dit tout à l’heure — il a grandi et puis il a prêché, et puis finalement il a pâti, il a souffert, il est mort et il est ressuscité.
Nous avons lu en première lecture — je ne résiste pas à le citer — le prophète Isaïe. C’est une voix qui va nous accompagner pendant tout l’avent et cette voix prophétique, elle accompagne on pourrait dire notre attente, je préfère dire notre espérance (l’attente pouvant laisser penser que tout est encore à venir, sans faire droit à ce qui est déjà là). Et lorsque nous lisons Isaïe (c’est au chapitre 63) nous commençons par entendre ces mots : « C’est toi, Seigneur, notre père ; “ Notre Rédempteur -depuis-toujours », tel est ton nom. » Et le prophète est bien sensible à toute cette part de non-accomplissement qui nous échoie : « Pourquoi Seigneur nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Reviens, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage. » Et puis ce verset tellement connu : « Ah si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face. » On voit bien que la contemplation du prophète se fait extrêmement ample, comme notre contemplation de ce dimanche a vocation à se faire extrêmement ample aussi : considérant les errements de notre cœur, ses étroitesses, ses étrécissements, mais aussi son potentiel, son potentiel à s’accomplir pleinement et à travailler à l’accomplissement de toutes choses, selon les vues du Seigneur .
Et notre cœur en travail ne doute pas que l’Éternel, que le Seigneur, d’abord lui est présent, l’habite, et finalement est sa force. De sorte que lorsque Paul s’adresse aux Corinthiens, dans la première épître qu’il leur écrit, il leur souhaite d’abord ce vœu : « Frères, à vous la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. »
Aujourd’hui, nous nous mettons donc en route dans ce temps de l’avent, un temps de pénitence, un temps de ressaisissement, un temps de conversion. Certainement un temps où on peut faire le point, un temps aussi où l’on prend — et c’est bien réel — un nouveau départ. Et chaque fois que l’on peut prendre un nouveau départ, dans notre calendrier réel, c’est toujours une opportunité à saisir. On le refera un petit plus tard, dans une autre perspective, au moment du carême, mais là nous commençons une nouvelle année.
Nouvelle année liturgique, c’est pas l’année civile, mais pour nous c’est une nouvelle année sous le signe du Christ, une année bénie par lui, une année qui lui est consacrée, une année au cours de laquelle nous allons nous inscrire dans le temps, nous allons essayer d’inscrire dans le temps, dans notre temps personnel, dans notre temps communautaire, dans notre temps social, dans notre temps d’humanité, nous allons essayer d’y inscrire des traces d’éternité. Et je reviens à ce que disait saint Jean pour que nous ne nous égarions pas dans des cogitations infinies : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus Christ. »
Temps de l’avent, temps de mobilisation du cœur, temps de mobilisation de notre intelligence spirituelle, de notre intelligence aimante du Mystère du Père qui nous envoie le Fils pour que nous vivions de l’Esprit du Père et du Fils.
Temps de l’avent, temps des commencements et des recommencements. Je nous invite à nous y engager (comme souvent je renouvelle cette invitation) en dilatant notre écoute, en nous rendant disponibles pour l’Évangile. Ce que le Seigneur a à nous dire, ce Mystère de lui-même qu’il a à nous livrer lorsqu’il nous parle, lorsqu’il se fait proche de nous par la parole et par tous ses gestes.
À tous et à toutes je souhaite un très beau temps de l’avent et je ne voudrais pas conclure cette petite méditation sans reprendre le mot fort que le Seigneur nous adresse encore, aujourd’hui, ce premier dimanche de l’avent qui ouvre l’année liturgique qui s’étendra sur 2024 : « ce que je dis là je le dis à tous, [et le mot important c’est :] « veillez ! » Nous ne savons ni le jour ni l’heure, et le temps de notre vigilance, de notre toute vigilance, c’est maintenant, et le lieu de notre vigilance, de notre toute vigilance, c’est ici. Alors, faisons-nous veilleurs, ici et maintenant.
AMEN