« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

5ème dimanche de carême (Jean 11, 1-45)

Le retour à la vie de Lazare

Lequel d’entre nous, confronté à la mort d’un proche, n’a pas laissé monter en lui cette prière formulée à deux reprises dans l’évangile de ce jour, une première fois par Marthe (v21) et une deuxième fois par Marie (v32) :

« Seigneur, si tu avais été là, il ne serait pas mort ! »…

une invocation faite d’incompréhension, de tristesse, de reproche à peine déguisé, et de supplication fervente. Comment ne pas réentendre cette complainte des croyants sidérés par l’énigme de la fin de vie, à l’heure où le pic de l’épidémie du coronavirus affiche chaque jour, comme au résultat d’une loterie, la liste des nouvelles victimes de cet ennemi invisible.

Plus incompréhensible encore dans cet évangile, comme dans la réalité de nos existences, est la réponse de Jésus qui se montre impuissant devant la mort de son ami Lazare, comme il le sera d’ailleurs devant sa propre mort sur la croix ; Il ne vient pas supprimer la mort et la souffrance, mais au contraire, il vient l’assumer avec nous pleinement. Notre vocation à l‘éternité ne fait pas de nous des êtres immortels ! Ce n’est qu’en regardant en face lucidement cette réalité de notre finitude et de notre propre mort, que nous pouvons accueillir le message étonnant de Jésus :

« Moi, je suis la Résurrection et la Vie, celui qui croit en moi même s’il meurt vivra ! » (v25)

Marthe comprend que « l’acte de croire », « la foi » est la clef du discernement et du service : « oui Seigneur, tu es le Messie, je le crois » (v27), mais aussi la clef de la communion et de la mission : « Le Maître est là, il t’appelle » (v28). En s’adressant ainsi à Marie, elle dessine l’ecclesiole de Béthanie, l’église domestique image de l’église universelle.

Le Père Congar, théologien de l’identité de l’église, la décrivait comme une triple réalité (la communion (Koinonia), le témoignage (Marturia) et le service (Diakonia)) qui trouve son unité et sa manifestation dans la liturgie (Liturgia).

Dans cette scène de l’évangile de St Jean, nous avons cette triple réalité : Marthe est l’icône de la Diaconie, Marie, celle de la Communion, et Lazare celle du Témoignage. Tout le récit nous parle de Jésus et de l’Eglise. Béthanie que l’on peut traduire par « Maison des affligés » ou « Maison de la Miséricorde » est le lieu où s’exerce cette liturgie : la manifestation de la divinité dans notre humanité, la convocation de tous les disciples dans une assemblée où Jésus prend l’initiative de nous révéler combien il nous aime au point de pleurer, et combien il nous veut vivants, ressuscités, debout, grâce à la puissance de sa Parole, le Verbe de Vie.

Lazare qui est le fil conducteur de ce texte ne dit jamais rien. On ne voit pas vraiment ce qu’il pense. Son témoignage est de révéler la puissance du Salut apporté par le Christ Jésus. Le mot Lazare signifie « celui à qui Dieu vient en aide ». Il nous rappelle l’autre Lazare dans l’évangile de Luc, le pauvre plein d’ulcères que viennent lécher les chiens du riche qui s’empiffre, inconscient du fossé relationnel qu’il a créé avec celui qui sent aussi mauvais que s’il était dans un tombeau.

Nous sommes une humanité de Lazares, des croyants en attente de réanimation spirituelle, devant qui le Christ prononce trois impératifs urgents qu’il nous faut méditer :

1. « Roulez la pierre » (v39)

C’est une invitation à vivre la Pâque, à nous dépouiller de ce qui obstrue la vie reçue de Dieu. Rouler la pierre de nos peurs, de nos égoïsmes, de notre manque de foi… Rouler la pierre de nos regrets éternels qui nous empêchent de nous réconcilier, de pardonner…, la pierre de notre péché qui nous fait douter de l’amour de Dieu.

2. « Lazare, viens dehors » (v43)

C’est l’invitation à vivre l’exode intérieur, à quitter tout ce qui sent mauvais dans notre histoire et qui est un peu pourri. « Venir dehors », sortir comme le Christ est sorti d’auprès du Père. A l’heure du confinement, une « église en sortie » qui doit rester chez elle est une église qui doit d’abord réapprendre à reconnaître ses fragilités, sa faiblesse…, à se reconnaître comme Lazare, une « église pauvre avec les pauvres », qui redit sans cesse les prière des pauvres : « Dieu, viens à mon aide, Seigneur à notre secours ! » Psaume 70

Ce cri de Jésus « Lazare, viens dehors » résonne en nos cœurs comme une parole d’autorité. Il parle fort comme Moïse au Sinaï en présentant la Torah, c’est comme le cri primal d’une humanité renouvelée par sa Pâque.

3. « Déliez-le et laissez-le aller » (v44)

Etonnante mission donnée par le Christ Jésus à ses disciples…, une mission d’éducation à la liberté, presque une mission d’accouchement où l’on est délié du cordon ombilical. La Parole du Ressuscité n’est pas une Parole qui aliène, qui enferme, mais une Parole qui nous ressuscite à notre liberté, liberté de croire, liberté d’espérer, liberté d’aimer… C’est à ce prix que le christ nous propose son Salut.

Tout cela n’est compréhensible qu’en contemplant le Christ Jésus lui-même qui a librement donné sa vie pour chacun d’entre nous. C’est cette communion avec lui qui nous apprendra à sa suite à consentir à cette liberté et à ce don de nous-mêmes par la foi : « Ceux qui avaient vu ce que faisait Jésus crurent en Lui. » (v45)

Peut-être pourrions-nous dire après avoir médité cette belle page d’évangile la prière de St Grégoire de Naziance :

« Sur Ta parole, trois parmi les morts ont vu Ta lumière :

la fille de Jaïre, l’enfant de la veuve de Naïm, et Lazare sorti du tombeau, à demi décomposé.

Fais que je sois le quatrième ! »

Amen

 

Memento pour le déroulement de votre Lectio Divina.