« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

2ème DIMANCHE DU CARÊME – Jésus devenu lumière

Luc 9,28-36

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.

Si le premier dimanche du carême nous mettait face à notre présent et à notre condition humaine, à notre faiblesse devant la tentation, le deuxième dimanche nous montre la direction ; non celle que nous devons prendre, mais celle que Dieu lui-même, en nous créant, donne à notre existence.
Lors de la création, Dieu avait revêtu l’homme et la femme d’un manteau de lumière ; c’est pourquoi ils n’avaient pas honte de leur nudité (Gen 2,25). C’est ainsi que la tradition juive relit le récit de la Genèse, qui, rappelons-le, n’est pas une chronique historique, mais un récit théologique. Elle joue sur deux termes proches quant à leur sonorité, mais non à leur sens : les mots « or » (lumière) et « ‘or » (avec une première consonne fortement aspirée : « peau »). Leur peau était lumière, mais suite à leur désobéissance ils ont perdu ce manteau et Dieu « les a revêtus de tuniques de peau » (Gen 3,21).

Dieu ne veut pas seulement restituer en nous notre condition primordiale d’êtres revêtus de lumière ; il n’entend pas non plus se contenter d’être « notre lumière et notre salut » comme dit le psaume de ce jour, il veut nous faire lumière, comme le prophète l’annonce à Jérusalem : « Debout, Jérusalem, deviens lumière ! Car ta lumière est venue et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60,1). Ou, pour le dire avec la deuxième lecture de saint Paul : « le Seigneur Jésus Christ… transformera nos corps de misère à l’image de son corps glorieux » (Ph 3,21).
Ce corps glorieux est celui qui apparaît aux yeux « accablés de sommeil » de Pierre, Jacques et Jean qui ont accompagné Jésus sur la montagne où il se rendait pour prier. Cette prière est un détail propre à Luc.

Si nous réfléchissons à ce que nous vivons lorsque nous prions, nous devons reconnaître que la prière authentique est comme une mise à nu devant le Seigneur… et c’est pourquoi, nous reconnaissons devant Dieu toute notre misère, mais aussi notre confiance en lui qui nous accueille tels que nous sommes.

Mais quand Jésus prie et se met, pour ainsi dire, à nu devant Dieu, ce n’est pas sa misère qui apparaît, puisqu’il est sans péché, mais son corps lumineux ! Il révèle ainsi aux apôtres, qui peinent à en croire leurs yeux, ce que Dieu veut faire de chaque être humain qu’il a façonné de ses propres mains.

Telle est la direction. Évidemment, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour marcher dans cette direction. Quelle attitude pourrions-nous adopter pour devenir lumière ? Cette direction n’est pas un précepte auquel il faut obéir, c’est une promesse de Dieu, et nous savons que les promesses de Dieu sont irréversibles, car Dieu est fidèle.

L’évangile de la Transfiguration nous donne toutefois quelques indications précieuses qui peuvent faciliter l’œuvre de Dieu en nous. Jésus apparaît lumière quand il prie. Je le disais : c’est une particularité de Luc ; les autres évangélistes ne parlent pas de prière à cette occasion.
Cette prière de Jésus peut nous aider dans notre propre prière. Nous pouvons en dégager au moins deux indications précieuses.

La première est que la prière de Jésus n’est ni un repli sur soi et sur son intimité, ni un effort de concentration personnelle. Elle est dialogue avec ces « deux hommes… apparus dans la gloire » : Moïse et Élie. Moïse représente ¬– et domine – la Torah, cette première partie de la Bible que nous appelons le Pentateuque. Quant à Élie, c’est le premier grand prophète (cf. 1 R 17,1–2 R 2,18), mais c’est aussi celui qui clôt l’ensemble des livres prophétiques du Premier Testament : « Voici – dit le SEIGNEUR – que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et celui des fils vers leurs pères… » (Mal 3,23-24). Dans sa prière, Jésus est donc en dialogue avec les Écritures du peuple juif, peuple auquel il appartient. Ainsi en va-t-il aussi pour nous : pour que notre prière ne se perde pas dans les méandres de nos pensées désordonnées ou de nos sensations passagères, l’épisode de la Transfiguration nous rappelle que notre prière trouve force et consistance (je dirais même sa colonne vertébrale) dans la mesure où elle est, elle aussi, dialogue, dialogue avec les Écritures, avec l’un et l’autre Testament.

La seconde indication concerne le contenu de la prière de Jésus, littéralement : « son exode qui allait s’accomplir à Jérusalem ». Cette prière nous rappelle que nous sommes, nous aussi, passagers sur cette terre. Nous ne sommes pas appelés à nous installer ici-bas. « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en pourrons rien emporter » (1Tm 6,7), sinon la qualité de notre passage sur cette terre. Et cette qualité se trouve tout entière dans les relations qu’il nous est donné de vivre… Sachons leur donner toute leur saveur ! Ce sont elles qui deviendront la lumière de notre vie.

Daniel Attinger, frère de Bose