Une Vie que la mort ne peut anéantir
Introduction au jour de Pâques
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Le troisième jour Christ est ressuscité des morts !
Les trois jours de la pâque – le Triduum – courent de la dernière Cène à la découverte du tombeau vide. Ce troisième jour, ce n’est pas le samedi mais le dimanche, parce qu’au Proche-Orient, selon un usage très ancien de compter le temps, le jour commence la veille au soir, au coucher du soleil. Tout au long du samedi, la liturgie, dans un grand dépouillement, nous a invités à respecter le silence du Christ reposant dans le tombeau. Nous évoquons sa « descente au séjour des morts » pour annoncer aux morts qu’Il apporte la Vie.
Pour les chrétiens, dès les origines de l’Église, la Veillée pascale est la plus grande célébration de l’année, car elle est le mémorial de la résurrection du Christ : cette nuit inaugure « le Jour du Seigneur ». Nous passons de l’obscurité à la lumière, de l’Alliance Ancienne à la Nouvelle ; par l’eau sanctifiante du baptême, de l’homme ancien à l’homme nouveau, de l’errance du pécheur à l’accueil de la grâce.
Cette Veillée se déroule comme le temps d’un enfantement : c’est précisément un « passage », ce qui est étymologiquement l’exacte signification du mot « Pâques ». Ce passage veut dire entrer « en esprit » dans une vie nouvelle, toucher à une autre réalité que celle de notre monde sensible, avoir un regard neuf sur nous-mêmes et tout ce qui nous entoure, ce qui nous invite par conséquent à inaugurer de nouvelles relations sociales. Imaginons un monde qui donnerait priorité à l’accueil de l’autre, …du Tout-Autre et de tous les autres.
C’est pourquoi les Anciens aimaient à nommer Pâques « le huitième jour », celui d’une création nouvelle. Pour les chrétiens, le dimanche n’est pas la fin de la semaine, mais le premier jour d’un monde nouveau, celui que nous sommes invités à devenir les artisans dès maintenant par notre espérance, par notre liberté d’aimer, et pour la joie !
Commentaire
Si les églises, les temples, les synagogues, les mosquées, toutes les maisons de prière sont aujourd’hui fermées, où nous rassembler ?
Mais comme au premier matin de la résurrection : devant un vide ! Mais ce vide est un espace ouvert. C’est l’étonnant message de la Résurrection adressé par un ange – un messager – aux femmes qui se rendaient toutes craintives au tombeau de Jésus :
« Je sais qui vous cherchez… Il n’est pas ici ! » (Mt 28, 6).
Et Marie de Magdala, stupéfaite, bouleversée, va courir annoncer la nouvelle aux apôtres, qui peinent naturellement à la croire (Jn 20,2).
Où est le Sauveur que nous cherchons ?
C’est une interrogation qui nous touche en ces temps d’épidémie et de graves questionnements.
Et c’est une bien mystérieuse réponse que rapporte l’évangile de Luc, cette réponse donnée en premier aux femmes, peut-être parce que ce sont elles qui mettent au monde, qui donnent la vie, qui en sont les gardiennes les plus attentives : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Lc 24, 5)
Pendant plusieurs mois Jésus avait parcouru chemins et villages de Palestine avec ses disciples. Mais avec son procès et la tragédie de la croix – le jugement des hommes !– ses amis ont pensé le perdre et se sont cru eux-mêmes abandonnés, comme certains d’entre nous peut-être aujourd’hui devant cette épidémie de coronavirus qui menace nos vies et rompt tant de liens sociaux qui font notre existence. Ils ont traversé des heures noires : « Nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël » confient avec amertume et découragement les deux disciples s’en retournent vers Emmaüs (Lc 24, 21).
C’est qu’il faut du temps, et la route sera peut-être longue en cette période d’épreuves, pour découvrir que le « Seigneur » est toujours et encore avec nous, et comprendre en ce moment ce qu’il attend de nous.
Nous nous plaignons peut-être d’être privés de célébrations, car bien réellement cette Pâque n’est pas comme les autres. Mais pourquoi serait-elle moins vraie, moins profonde ? Comme jamais, le Christ est avec nous pour nous appeler à passer à sa suite des ténèbres à la Lumière.
Ces ténèbres, n’étaient-elles pas hier nos conflits, nos besoins de domination, nos jugements, nos amertumes, nos isolements ? Est-ce ce monde-là que nous aimerions si vite retrouver ?
Le dépouillement, le confinement de ce temps nous presse à retrouver, au cœur des plus petits actes du quotidien, la présence de Dieu, « plus intérieur à moi-même que moi-même », comme le dit admirablement saint Augustin (Confessions, III, VI, 11).
Car tout homme est un sanctuaire dédié à cette présence. Mais ce n’est parfois que dans la détresse, au creux de l’abandon, ou dans les ornières de nos égarements que nous le comprenons. C’est à ces moments que nous découvrons que, si le Christ est venu partager nos souffrances, ce n’est pas pour que nous nous arrêtions à la mort, mais pour nous faire entrer avec lui dans la Vie, nous conduire à la joie.
Il l’avait promis : « L’Esprit que le Père enverra en mon nom vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit (Jn 14, 26). Ainsi la Pâque n’est pas un événement d’autrefois. C’est bien une annonce pour notre aujourd’hui. L’Esprit, que le Père nous donne par le Christ, est l’Esprit d’une confiance qui éclate ce mystère de la Résurrection, qui chante notre victoire sur nos peurs et sur la mort.
En disparaissant à nos yeux, en nous appelant à entrer avec dans son chemin de la confiance absolue, le Christ ouvre pour nous, en nous, un nouvel espace de vie : l’espace de nous savoir aimés et d’oser, malgré nos limites, nous risquer à aimer avec lui jusqu’au bout (Jn 13, 1).
C’est cela qui s’appelle vivre ! d’une Vie que la mort ne peut anéantir.
Le message de Pâques révèle à nos vies une dimension à laquelle nous n’aurions jamais pu songer à prétendre. En chacun de nous, – nous en faisons parfois brièvement l’expérience – il y a un espace d’éternité, cette soif de vie mystérieuse plus forte que le mal et la mort. C’est ce que nous découvre le message de Pâques, en nous ouvrant à une vie qui ne meurt pas. Parce que l’amour ne peut pas mourir, puisque sa source vient de plus loin que le temps et nous conduit au-delà de ce temps.
Jésus l’avait promis : Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Jn 12, 32). Cette espérance de Pâques est pour chacun de nous.
Bien que nous soyons confinés, témoignons que cette espérance, cette joie, peut traverser tous les murs , toutes les tombes, tous les emprisonnements : ceux où nous enferment nos peurs, nos lâchetés, nos découragements.
Le Christ, par les audaces du pardon, a voulu faire de nous des hommes et des femmes libres. C’est le signe, souligne-t-il, de notre appartenance à la descendance d’Abraham : « Vous serez réellement des hommes libres (Jn 8, 36) promet-il à ses disciples. Libres au jour où nous chanterons notre délivrance de la pandémie actuelle comme nous sommes libres dans ces incroyables dévouements qu’elle suscite, de cette liberté de l’esprit et du cœur aimant dont il nous faudra continuer à en témoigner demain.
À tous ceux partagent leur pain avec les plus pauvres, qui accueillent et habillent ceux qui sont nus, qui soignent les malades et soulagent les déshérités, le Christ ressuscité a promis « le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12). Alors oui, sans attendre de sortir de nos confinements, sortons de nous-mêmes, de nos tombeaux et de tout ce qui nous enferme, de nos attitudes craintives, de nos préjugés sociaux, et devenons pour aujourd’hui les témoins de la Résurrection. C’est ce que Paul affirme également quand il écrit aux Galates que nous ne sommes plus des esclaves, mais des fils et filles adoptifs de Dieu (Gal 4, 7).
Dans cette lumière il ne s’agit plus seulement de « sauver la création », mais de devenir nous-mêmes et tous ensemble les créateurs d’un monde nouveau.