Le monde d’Après
Beaucoup d’expressions mises en exergue pendant le temps du confinement donnent du relief à ce passage d’évangile. Ainsi en est-il du « monde d’après » que l’on rêve, que l’on appréhende, ou que l’on redoute. Parmi les appréhensions, il y a notre aptitude ou pas à assumer la distanciation physique sans les retrouvailles et les relations sociales.
Dans l’évangile de St Jean, ce passage est la suite du discours d’Adieu de Jésus médité déjà la semaine dernière. Jésus y parle du « monde d’après », quand il aura physiquement pris de la distance avec ses apôtres, non seulement par sa passion, sa mort et sa résurrection…, mais aussi par son retour auprès du Père.
Ce texte est bien sûr un texte écrit après la Pâques, mais qui fait référence à la mémoire d’un enseignement prononcé « avant Pâques ». Le fait que la liturgie nous propose de réécouter ce texte du jeudi saint le 6ème dimanche de Pâques nous met dans la même posture que l’évangéliste St Jean. Toute lectio, toute méditation de la Parole de Dieu est comme un va et vient permanent entre notre mémoire scripturaire, notre intelligence du texte et notre volonté à lui donner chair dans la chair de nos vies. Ce va et vient, cette fécondation spirituelle intérieure, et le discernement qui en surgit est déjà l’action de l’Esprit saint dont nous parle le texte lui-même.
La manière dont St Jean écrit nous fait expérimenter ce qu’il veut nous enseigner. Il n’y a pas d’opposition entre croire et aimer… En effet, chez St Jean, la foi et l’Amour sont la respiration du disciple et de l’Eglise.
Pour accueillir le monde d’après, Jésus prononce des paroles de réconfort et d’encouragement :
« Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. » (v 18)
« Le Père vous donnera un autre défenseur qui sera toujours avec vous : l’Esprit de Vérité. » (v 16-17)
Par ces quelques mots, Jésus évoque son propre procès et sa victoire sur la mort, mais il évoque aussi le procès qui sera fait aux croyants et le combat à mener pour rester fidèles au commandement d’Amour. Il nous fait héritier du don qu’il a reçu lui-même de son Père, cet Esprit de force et de consolation.
Le Défenseur a une double signification : c’est à la fois « l’avocat de la défense », celui qui me trouve des circonstances atténuantes, et celui qui tient tête à l’ « Accusateur ». Dans le procès de l’humanité, de la confiance en l’homme, le Défenseur gagnera. L’Apocalypse du même Jean nous donnera le verdict et le dénouement de ce procès : « Il est vaincu l’Accusateur de nos frères, celui qui nous accusait devant ta face tous les jours » Ap 12,10.
Mais le mot « défenseur » désigne aussi celui qui me protège, qui me défend contre les agressions et les attaques. Le « Défenseur » est la garde rapprochée de l’Eglise, l’escorte de la providence de Dieu, c’est le rempart invisible qui protège le croyant dans le combat spirituel.
Le fait que Jésus désigne l’Esprit Saint comme le Défenseur qu’il nous donne est un cadeau inestimable. Nous n’avons comme temple pour accueillir cet Esprit Saint que notre corps (1 Co 6,19) ; dans ce temple, notre conscience et notre âme en sont le sanctuaire inviolable, le « saint des saints ». C’est peut-être pour cela que l’on ne peut que donner un avis « en notre âme et conscience » !
Cette méditation multiséculaire de l’Eglise à contempler l’Esprit Saint comme notre Défenseur, notre Avocat, l’a conduit à l’invoquer comme « l’Avocat des pauvres et des petits ». Cette intuition géniale nous rappelle que c’est dans les moments où nous sommes renvoyés à notre pauvreté, notre fragilité et notre petitesse que nous pouvons prendre toute la mesure de cette promesse du Christ prononcée le soir de sa Passion.
C’est probablement là aussi que s’enracine le parti pris de l’Eglise pour les pauvres et les petits, parce que c’est dans cette communion, voire cette compromission avec ceux qui sont accusés, méprisés, rejetés, que peut surgir le gémissement des croyants : « Viens Esprit Saint, viens Défenseur des pauvres, viens renouveler la face de la terre ! »
Mais Jésus nomme aussi l’Esprit qu’il envoie comme « l’Esprit de Vérité » (v 17), cette vérité de la foi et de l’amour, cette « vérité qui nous rendra libre » (Jn 8,31), cette vérité qui s’oppose au « mensonge de ce monde ».
Il est important de faire résonner toutes ces expressions ensemble : la foi sans « l’Esprit de Vérité » n’est que crédulité ou bien vernis culturel, l’amour sans « l’Esprit de Vérité » n’est qu’un vague sentiment ou une passion ambigüe. L’amour et la foi sans l’Esprit de Vérité peuvent faire des communautés d’Eglise des sectes, des groupes fanatiques, ou des cercles repliés sur eux-mêmes.
L’Esprit que propose Jésus est une force, un dynamisme, l’empreinte de sa Résurrection d’entre les morts.
A quelques jours de Pentecôte, accueillons l’Esprit saint comme l’hôte de nos âmes, mais surtout comme le Défenseur et l’Esprit de Vérité que nous permet de construire et de vivre le monde d’Après !
Gilles Rebêche, diacre