« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Ca parabolise!

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(Texte tiré du livre  « Mettre sa vie en paraboles » Ed Fidélité 2010, p 183-185)

Considérons le chemin parcouru depuis les bords du lac où nous nous sommes mis à écouter la Parole mystérieuse du Maître assis devant un horizon de sens qui s’élargissait à la mesure de notre écoute et de notre accueil. Les paraboles nous ont étrangement éloigné du ciel où nous avions remisé Dieu et son Royaume pour nous ramener à du terre à terre. La Parabole n’a pas d’autre terreau que cet humus qui nous façonne et nous nourrit. Ce retour à la terre nourricière d’humanité peut paraitre curieux, voire choquant tant il est vrai qu’on ne nous avait pas habitué à un tel langage déplacé. Il aura fallu que les mots de la foi n’invitent plus à rien, déracinés qu’ils étaient de la vie, pour que la chance d’entendre un chant nouveau puisse être à nouveau possible. Cette Parole à nouveau vive, il ne faut pas oublier de la lester, de lui donner son poids, sa consistance, son épaisseur, sa chair. Une parabole, c’est en fait toute parole humaine qui est épaisse, grosse (comme on dit d’une femme enceinte), bien en chair. Une telle parole ne donne plus l’air de tomber du ciel ; elle n’a rien d’angélique car elle supporte de dire le tragique, l’échec, l’absurde, le néant. Mais elle n’oublie pas non plus d’être légère, joviale, pleine d’humour parfois tant elle sait que les humains se paient trop souvent de mots. Elle se méfie donc de toutes les valeurs prétendument chrétiennes ou autres qui ne convoquent pas l’être humain à sa tâche d’humanisation.

Nous avons terminé par un non-lieu qui signe peut-être l’écriture de nos vies en paraboles. Non-lieu d’un Dieu qu’on n’attendait pas (ou qu’on n’attendait plus) à même la vie, à ras du sol. D’un Dieu dont on avait pourtant appris qu’il s’était incarné mais on avait contourné l’incroyable conséquence de cette mise en chair pour le remettre à sa place, dans les hauteurs. Là, au moins, il légitimerait sa position – et celle bien sur de ses lieutenants. Non-lieu d’un christianisme qui a oublié sa position séculière pour s’adonner avec légèreté à la mondanité. Au lieu d’inviter à la subversion de toute aliénation, le christianisme s’est glissé dans les structures du pouvoir établi et a ainsi perdu toute pertinence. Non-lieu d’un humain qu’on a voulu avant tout citoyen du ciel au lieu de lui permettre  d’habiter son chez soi. Le prononcé d’un non-lieu rend la liberté aux accusés. La parabole le fait pour nous. Elle nous rend à nous-mêmes, à la vie, à sa chair. Tel est bien « le lieu » dans lequel nous nous sommes « arrêtés » (même si l’expression est fausse) : la chair à même les sens. C’est à un plein des sens que la parabole nous invite. Des sens gorgés d’ouverture à la vie, hospitaliers à la rencontre d’autrui, chargés d’une promesse dans l’ici-bas. Il n’est finalement pas si curieux que le mouvement des paraboles nous ramène à l’incarnation. Comme si les paraboles s’accomplissaient dans les signes visibles où s’échangent la parole et les gestes de fraternité. Ce que nous appelons communément des « miracles » dans les évangiles ne sont pas des phénomènes exceptionnels qui dérogent aux lois de la nature, mais des paraboles en acte ! Les paraboles racontent comment le Royaume s’est rendu proche de chaque humain et inscrivent ce salut en chair et en os ! Le « miracle » est l’inscription de l’esprit de la parabole dans la lettre de la chair : nos yeux, nos oreilles, notre bouche, nos mains, notre visage deviennent les lieux porteurs de vie et d’amour. Nous en avons la « preuve » dans le corps même du christ devenu la Parabole par excellence, la matrice de nos existences paraboliques. Il est, lui, le Signe de la présence du Royaume, de cet au-delà de l’humain qui repose en chacun de nous et ne demande qu’à germer. Jésus a, en effet, signé sa parole de sa propre vie : les deux – parole et vie – se nourrissant et s’enrichissant l’une l’autre. Jésus n’aurait été qu’un beau parleur de plus si sa parole n’avait trouvé son accomplissement et sa vérité dans l’acte même de déposer sa vie pour ses amis. Ainsi, le Christ réalise ce qu’il a enseigné : de nouveaux rapports peuvent naitre entre humains et réaliser le grand dessein de Dieu. A nous d’inventer désormais la circulation de vie entre parole et existence ; à mettre notre vie dans une Par(ab)ole qui lui donne sens ; et à ne jamais laisser la Par(ab)ole orpheline de son actualisation dans la chair de la vie. Ainsi se réalisera la finale (longue) de l’évangile de Marc : « Quant à eux, ils partirent prêcher partout : le Seigneur agissait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16,20).

Un christianisme parabolique, voilà le rêve qui m’habite de plus en plus. Une Eglise proche de l’humain, cheminant avec lui dans la discrétion et l’amitié. Un christianisme qui donnerait la possibilité à chacun de devenir lui-même Parabole écrite de chair et d’esprit et dont les regards et les gestes diraient la Bonté et la Joie au cœur du monde. Mettre sa vie en paraboles permet une écriture de la vie en profondeur de nouveauté, là où elle nait. Nous avons appelé cette écriture parabolique une théographie. Nous aurions pu l’appeler une anthropographie tant cette écriture se couche à même l’humain. Elle se révèle finalement une échographie tellement elle fait entendre ce qui est en train de naitre en nous.

Dominique Collin, op

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