« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Dimanche après Noël : des débuts difficiles

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Sir 3, 2-6.12-14 ; Col 3, 12-21 ; Mt 2,13-15.19-23

   Après le départ des mages, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :
« Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »

   Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils.

   Après la mort d’Hérode, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et pars pour le pays d’Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. »

   Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et il entra dans le pays d’Israël. Mais, apprenant qu’Archélaos régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre.

   Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth, pour que soit accomplie la parole dite par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen.

Comme au commencement de l’histoire du monde Dieu a fait face au chaos, ainsi Jésus, dès ses premiers jours, fat l’expérience de la débâcle politique dans lequel gît le monde. Politique faite de violence, d’arrogance, de mépris, de calomnies et de massacres. À peine né, Jésus est entraîné dans une émigration forcée et va renforcer les caravanes de ceux qui, fuyant leur terre natale, cherchent refuge ailleurs, s’ils y arrivent, ce qui ne va guère de soi.

« Le Verbe est venu dans son propre bien, et les siens ne l’ont pas accueilli », écrira l’évangéliste Jean dans son Prologue (Jn 1,11).

L’accomplissement des Écritures

Dès le début, Jésus vit dans sa chair ce que son peuple vécut jadis. Souvenons-nous : la descente de Jacob et des siens de la terre de Canaan en Égypte où Joseph, vendu par ses frères, a fini, après moult vicissitudes, par devenir le second du royaume (cf. Genèse 41,40), la persécution des Hébreux par le pharaon qui n’avait pas connu Joseph, et leur retour après de nombreuses années à la terre que le Seigneur avait promis à Abraham et à sa descendance. Jésus revit tout cela dans son enfance.

Or, écrit Matthieu, cela advint « pour que s’accomplisse la parole prononcée par le prophète ». Le texte d’aujourd’hui cite deux des cinq prophéties que rappellent les deux premiers chapitres de l’Évangile selon Matthieu.

« D’Égypte, j’ai appelé mon fils » est une citation du prophète Osée (Os 11,1), tandis que l’autre citation : « Il sera appelé Nazoréen » (Nazoraios, que nos traductions modernes tendent à corriger en Nazaréen), ne se trouve pas dans l’Ancien Testament ; on en ignore et l’origine et le sens exact. Ce pourrait être une allusion au mot hébreu nazour, « survivant » ou « rescapé », qui permet une similitude avec la ville, inconnue de l’Ancien Testament, de Nazareth où Jésus vécut ses années de jeunesse, et évoque le « Reste » d’Israël, portion du peuple de Dieu grâce à laquelle tout le peuple peut conserver l’espérance.

À ces deux citations, ajoutons l’allusion à Moïse dans la parole de l’ange : « ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant ». En effet, après que Moïse s’est enfui en terre de Moab pour fuir la colère du pharaon, Dieu l’avertit par ces mots : « tous ceux qui en voulaient à ta vie sont morts » (Exode 4,19).

Au-delà de leur origine, ces citations ne signifient pas que la vie de Jésus a été annoncée et quasi prédéterminée par des prophéties, mais plutôt que Jésus résume dans sa vie toute la réalité d’Israël et apparaît même comme cet autre Moïse annoncé par le livre du Deutéronome (cf. Dt 18,15) : Israël peut donc se retrouver totalement en celui que, dans sa majorité, il n’a pas accueilli.

L’Extraordinaire accueilli par l’ordinaire

Traditionnellement dans l’Église catholique le dimanche qui suit la fête de Noël est celui de la Sainte Famille et, de fait, Matthieu parle de la famille de Jésus, mais comme on le faisait à son époque :  à partir du pater familias, à partir de celui qui est le mari et le père. C’est de lui que l’évangéliste raconte les décisions et les gestes Mais ici, chose étonnante, l’homme qui prend soin de l’enfant et de sa mère est bien l’époux de Marie, mais non le père de l’enfant. Famille, donc, en situation anormale. Situation qui a fait couler beaucoup d’encre parmi les lecteurs qui ne veulent pas s’en tenir simplement au récit de Matthieu.

Cela suscitera de nombreuses hypothèses, plus ou moins malveillantes, surtout à l’égard de Marie, la mère silencieuse du récit de Matthieu. Hypothèses qui s’arrêtent à la dimension purement humaine de cette famille et qui en oublient la réalité paradoxale : c’est la famille terrestre du Fils de Dieu, l’écrin terrestre du Divin. Si le monde n’a pas accueilli le Fils de Dieu, et cherche même à s’en débarrasser, une réalité humaine minuscule (deux personnes qui s’aiment) l’accueille et prend soin du Puissant dans sa faiblesse.

Cette remarque peut susciter au moins deux réflexions.

La première concerne Dieu qui choisit de se révéler pleinement à nous dans cet enfant malmené par les puissants de la politique. Ici continue le paradoxe de la toute-puissance de Dieu que j’évoquais dans la méditation de Noël. Et les choses ne s’arrêteront pas avec le retour en terre d’Israël, bien au contraire. Dès ses premières manifestations publiques en Galilée, puis à Jérusalem, Jésus rencontrera l’opposition de ceux qui se croient du côté de Dieu, soit parce qu’ils ont le pouvoir, soit parce qu’ils sont au service de la religion. Et la suprême manifestation de sa « puissance » apparaîtra quand, sur la croix, il ouvrira la porte du paradis au malfaiteur crucifié avec lui (cf. Luc 23,43) et répandra l’Esprit sur tout être humain, prenant sur lui notre mort et nous donnant en échange sa propre vie (cf. Jean 19,30).

La seconde réflexion concerne la famille qui accueille l’Extraordinaire, le Dieu-fait-homme. Des gens ordinaires qui ne feront jamais la première page des journaux. Des émigrés qui achèvent leur voyage à Nazareth, ville considérée comme une nullité : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » se demandera Philippe (Jean 1,46). Oui, c’est souvent dans le « rebut de l’humanité » que se trouve le véritable visage humain, celui qui reflète l’image de Dieu. Ce sont eux qui prennent soin de la « toute-puissance » de l’amour.

Fr. Daniel