« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie 6ème dimanche de Pâques (Jean 14, 15-21)

Frères et sœurs, chers amis, lorsque l’on aborde le 6eme dimanche de Pâques, cela signifie que nous sommes désormais bien près de la fête qui va conclure le temps pascal. Le conclure sans le clore, c’est plutôt un point d’orgue qui sera plaqué à la fin de ce temps dont les échos se poursuivront à travers tout le cycle liturgique de l’année, dans le temps dit « ordinaire »,  le temps dit « de l’Église », c’est à dire, plus simplement peut-être : notre temps.

Et nous lisons encore l’évangile selon saint Jean. Nous écoutons cette musique si particulière au quatrième évangile, dans lequel la voix du Seigneur se fait entendre et il faut bien le reconnaître tout de même, se fait entendre, dans les versets que nous venons de lire, sur un mode peut-être un peu énigmatique.
Mais on ne peut pas forcer l’attention, on ne peut pas aisément mettre une page comme celle que nous venons d’entendre, ou des chapitres d’ailleurs comme les chapitres 13 à 17, on ne peut pas aisément les mettre en dissertation.
Comme je le dis souvent il faut écouter la musique de cet évangile, il faut entrer dans la confidence que le Seigneur fait. Comme très souvent dans l’Évangile, et pas simplement dans ces chapitres-là, il faut se laisser dérouter, surprendre, par les paroles du Seigneur Jésus ; il faut accepter de les recevoir sans nécessairement les « comprendre, mais pourtant en s’autorisant à y souscrire pour autant qu’on y a perçu quelque chose, une solidité, un écho, une portée qui peut ou qui peuvent rejoindre nos existences.

On revient toujours à la même chose en définitive, et en premier lieu ceci : c’est le lien, le lien avec le Seigneur Jésus, le lien avec une personne réelle de chair, de sang; une personne qui s’est inscrite dans l’histoire, dans la grande Histoire des hommes, dans l’histoire aussi de ceux et celles qui l’ont croisé, qui l’ont suivi, qui ont répondu à son appel, et finalement dans l’histoire de tous ceux qui, soit en l’écoutant Lui, soit en écoutant les prédicateurs après lui, l’ont laissé entrer dans leur vie.
Lien avec le Seigneur, c’est ce que l’on appelle l’ ‘’amour’’, l’amour qu’il nous porte d’abord, et l’amour que nous lui portons aussi, mais comme il y revient tout le temps, cet amour, il se traduit par un geste concret : l’accueil de ces paroles dont je parlais à l’instant.
Quand il est question de « garder les commandements », c’est bien sûr les commandements  qu’il a laissés, les plus clairs, à commencer par le commandement de l’amour, ou tout aussi bien le commandement du lavement des pieds, ou tout aussi bien le commandement de la prière du Notre Père, car enfin c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais au-delà des commandements formels, il y a toutes ces paroles qui sont semées dans le cœur des auditeurs, des auditrices de Jésus. Et ces paroles qui sont semées, elles doivent être sources, germes, d’une vie de communion.

En amont d’elle-même bien sûr cette communion, elle est communion avec le Seigneur, et puis via la communion avec le Seigneur, elle est communion aussi avec le Père qui l’a envoyé, et puis en aval, cette vie de communion, elle est vie de communion fraternelle – Il faut y insister – bien sûr vie de communion avec les croyants, mais aussi vie de communion, authentique communion, avec tous ceux et celles, et ils sont nombreux, qui ne partagent pas notre foi, qui ne partagent pas nécessairement notre conception de l’existence, qui n’ont pas le même regard que nous sur les choses, mais avec lesquels il nous faut vivre et avec lesquels il nous faut vivre en paix. On y reviendra dans un tout petit instant lorsqu’on parlera de l’épître de Pierre.

Aujourd’hui, alors que nous sommes dans le 6eme dimanche de Pâques, nous entendons le Seigneur qui évoque sa « prière pour nous ». Il envisage ce moment de la séparation, le moment où il ne sera plus là, et il nous indique que « un Autre » prendra le relai. Un Autre invisible, un Autre imperceptible, un Autre tellement ductile qu’on ne peut pas le saisir. Souvenez-vous de ce que le Seigneur disait à Nicodème : « le vent, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. » L’Esprit, il est ce « vent » insaisissable, mais qui tout de même nous effleure ou bien même nous habite. Il conspire avec nous pour que nous fassions ce que le Seigneur attend de nous, et d’abord pour que nous comprenions ce qu’il nous demande. L’Esprit insaisissable, imperceptible, il est à la fois notre mémoire, notre intelligence. Il est aussi notre pertinence pour aujourd’hui. Et cela c’est très important ! Pourquoi ? Parce que dans l’Évangile il n’y a aucune espèce de recette, ni pour le salut éternel, ni pour l’agir au présent. En revanche il y a une invitation à se mettre à la disposition de l’Esprit pour qu’Il suscite et éclaire notre prudence, pour qu’Il nous suggère à chaque moment, à chaque pas, dans chaque circonstance, le geste qui convient, la parole opportune, ou bien aussi parfois la retenue qui s’impose pour être présent au jour d’hui. Mais en faisant droit à cette créativité, à cette liberté de créativité, pour rejoindre nos frères et sœurs en humanité au titre de l’Évangile, et tout simplement – il faut pas aller chercher midi à quatorze heures – faire le bien, accomplir la justice, soutenir ceux qui souffrent, conforter ceux qui sont dans la tristesse, nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus…, il suffit de relire Matthieu 25, tout le programme est enclos là.

C’est ce que le Seigneur a fait lorsqu’Il est venu vers nous, et c’est ce qu’Il entend faire encore avec nous et à travers nous. Ce fut son ministère que de faire le bien, que de faire la volonté du Père, c’est à présent notre ministère, pour autant que nous portons cet Esprit du Christ qui nous fait prêtres, prophètes, et rois. « Prêtres » parce que notre vie se vit sous le signe de l’oblation,  de l’offrande; « prophètes » parce que nous portons une parole – à commencer par la Parole de l’Évangile, la proclamation du Christ ressuscité, la proclamation de cette “puissance de Dieu qu’est l’Évangile”, dont parle saint Paul au chapitre 1er de l’épitre aux Romains -; qui nous fait « rois » aussi, c’est à dire, notamment, responsables de nos faits et gestes. Nous avons un certain empire qui nous est confié sur nos décisions, sur nos actions, et nous ne pouvons pas nous y soustraire, nous ne sommes pas simplement des exécutants – nous sommes aussi des ”exécutants” (ou plutôt des obéissants), mais pas que : nous sommes aussi des gens qui ont des responsabilités de pensée, de parole et d’action.

Et voilà que le Seigneur demeure près de nous et avec nous pour que son œuvre s’accomplisse. Et notre responsabilité, elle est tout entière là. Vous vous souvenez de ce que disait saint Pierre lorsqu’il évoquait la figure de Jésus : « il est passé en faisant le bien », imaginez ce que ce serait si nos existences, toutes, aussi nombreuses qu’elles soient, laissaient dans ce monde une belle trace de bien, et que l’on pût dire de chacun de chacune d’entre nous « il/elle est passé.e (car en ce monde on ne fait que passer) en faisant le bien » !

Nous avons lu encore un passage du livre des Actes des Apôtres. J’attire votre attention dessus, et je vous invite vraiment à aller le lire ce passage du chapitre 8ème et de lire tous les versets de 5 à 17. Aujourd’hui, dans notre texte à nous, il y a un grand trou, on a enlevé les versets 9,10,11,12 et 13. De quoi est-il question ? Eh bien justement, il est question ici d’annonce de l’Évangile, en l’occurrence aux Samaritains. Et il est question aussi de transmettre l’Esprit Saint par l’imposition des mains, ce geste que nous avons conservé jusqu’à ce jour. De quoi s’agit-il ? Incontestablement pas d’un geste magique, mais plutôt d’un geste qui dans la grande communion de l’Église insuffle – insuffle – cet Esprit du Christ, cet Esprit d’Évangile à ceux et celles qui veulent bien s’y soumettre. Si je vous engage à lire l’intégralité du passage, c’est que dans le chapitre 8 des Actes on voit bien cette différence d’approche par rapport aux dons de Dieu, par rapport au don de l’Esprit.

Il existe là où va prêcher Philippe, déjà un leader religieux, une sorte de professionnel, un prédicateur professionnel qui a ses adeptes, qui a en quelque sorte ses « clients », mais comme le fait remarque un commentateur, Simon (puisqu’il s’appelle comme ça, Simon le magicien) il “s’annonce lui-même”, il attache les gens à sa personne, et lorsque Philippe, l’un des Sept va arriver, il ne va pas attacher les gens à sa personne mais il va porter une parole et il va attacher les gens plutôt au Royaume de Dieu, il va attacher les gens à un Autre que lui-même, le Christ, ou bien si on revient à saint Jean, le Père qui a envoyé le Christ, bref, le mystère de Dieu. Et il va engager les gens à obéir à l’Esprit du Christ qui est aussi l’Esprit du Père, il va les engager à obéir à l’Esprit de l’Évangile, et c’est cela qu’il va insuffler dans la communauté en imposant les mains. Il va livrer ces gens, ou déclarer ces gens livrés au pouvoir de l’Esprit. Cet Esprit qui comme le dit encore une autre épître « crée un peuple ardent à faire le bien », toujours cette idée si simple.

Alors il y a aussi évidemment le témoignage que nous avons à porter, et ici c’est la première lettre de Pierre qui attire mon attention avec une parole extrêmement simple mais qu’il me semble qu’il ne faut pas laisser passer. Bien sûr il y a d’abord dans l’épître que nous lisons au chapitre 3ème  aujourd’hui, il y a une invitation à la piété, à un respect profond. Pierre dit : « Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ ». Regarder le Seigneur Jésus que nous savons nous être tellement proche, mais reconnaître sa toute sainteté, son appartenance au mystère de Dieu et aussi son don inconditionnel, plein et entier, à la cause de la justice et ultimement de l’amour. Et au bénéfice de cela Pierre continue, en engageant les disciples à « être prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque demanderait de rendre raison de l’espérance qui est en nous ». Quelle belle expression ! « Rendre compte de l’espérance qui nous habite. » Voilà notre mission : partager un enthousiasme, rendre compte d’une espérance, et non pas du tout s’engager sur les chemins d’un prosélytisme peut-être parfois douteux où nos idées risqueraient fort de prendre le pas sur notre foi.

Et saint Pierre donne cet avis : lorsqu’il s’agit de rendre compte de l’espérance qui est dans les disciples, lorsque ceux-ci sont mis en cause, peut-être traînés devant les tribunaux voire exposés à la violence de quiconque leur demande des comptes, il dit « rendez compte de l’espérance qui est en vous, mais faites-le avec douceur et respect. » En disant cela Pierre incontestablement veut que les disciples ressemblent à leur Maître qui a affronté une si grande violence avec toute la force de la douceur et sans élever la voix, mais au contraire en priant pour ses bourreaux, en priant pour ses exécuteurs, criant seulement vers le Père à la fois cet abandon que l’humanité peut pâtir et qu’il avait assumé et ensuite, murmurant sa confiance « Père entre tes mains je remets mon esprit ». Et donc lorsque Pierre énonce cela bien sûr, il nous demande de ressembler à Celui dont nous sommes les disciples, mais il nous donne aussi une ligne de conduite qui a été celle du Seigneur tout au long de sa vie : dire ce que l’on a à dire, partager ce que l’on a à partager pour autant que l’on est sûr de sa foi, de son témoignage, et à aucun moment ne s’engager sur des voies de violence et encore moins d’irrespect.

Certainement c’est une ligne de crête qu’il n’est pas si facile à tenir, encore que beaucoup de gestes des martyrs ou d’actes des martyrs nous montrent des gens qui à un moment donné, se livrent dans l’abandon et dans la toute pauvreté de leur témoignage à la mort, sans tristesse mais avec une force d’âme tout à fait considérable. Quoiqu’il en soit et pour ce qui nous concerne, dans le chemin de témoignage qui est le nôtre, eh bien gardons toujours présent à l’esprit, l’impératif de cette douceur et de ce respect qui doit accompagner notre témoignage de foi. J’ai bien dit notre « témoignage de foi » à côté de toute espèce d’esprit de propagande, de toute espèce d’esprit de dispute qui parfois bien sûr peuvent nous animer, mais qui peuvent aussi nous éloigner du centre de ce qui fait notre vie et notre foi.

Pendant tous ces jours-ci maintenant, dans la quinzaine qui nous sépare de la Pentecôte, avec ce relai que va être l’Ascension, essayons peut-être de nous rendre disponibles à cet Esprit, qui pour paraphraser les mots de Jésus Lui-même « nous rappelle toutes choses et nous donne d’entrer dans l’intelligence de ce que nous portons dans notre mémoire » : la longue mémoire biblique, la mémoire des paroles du Seigneur, de la vie du Seigneur, de tout ce qu’il a pu faire, des rencontres qu’il a vécues, et surtout de ce moment si singulier de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection.

Nous savons que ressuscité le Christ est à jamais vivant, d’une manière mystérieuse, que nous ne cherchons pas tellement à expliquer – ce serait d’ailleurs fort difficile – nous savons qu’il est avec nous, nous le confessons vivant ici, aujourd’hui, avec nous, et la seule chose qui peut indiquer qu’il y a dans cette étonnante confession de foi quelque vérité, eh bien, c’est notre engagement, inspiré directement de Celui du Seigneur, notre engagement à servir à chaque instant, dans la douceur et dans le respect, la justice, l’amour et le témoignage rendu à l’Évangile et à sa force.

AMEN