« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Pistes de réflexion évangile 3ème dimanche de Pâques (Luc 24, 13-35)

Commentaire de l’évangile selon st Luc 24, 13-35 et conseils pour la lectio

Quand le ressuscité rejoint la route de l’humanité en déroute !

Cette page d’évangile proposée par la liturgie le 3ème dimanche de Pâques est un chef d’œuvre littéraire de st Luc car elle permet comme un kaléidoscope d’éclairer plusieurs angles de lecture :

1. Une lecture existentielle et spirituelle pour déchiffrer la manière dont le Christ Ressuscité vient nous rejoindre dans nos questionnements, nos doutes, et nos désillusions, et nous redonner de l’enthousiasme pour la vie fraternelle et la mission. C’est comme un guide pratique de résilience spirituelle.

2. Une lecture théologique pour contempler le désir de Dieu à rejoindre l’humanité sur ses chemins pour lui révéler sa présence vivifiante, son compagnonnage permanent, et sa capacité à lui ouvrir les yeux sur le sens des évènements même les plus tragiques. C’est comme une reprise en condensé de l’histoire du Salut.

3. Une lecture ecclésiologique pour redire à la communauté croyante lorsqu’elle est déboussolée par l’énigme de la mort et de la souffrance qu’elle n’est pas abandonnée par le Christ. Il suffit de retrouver l’art de la conversation et du dialogue pour se laisser rejoindre par la Parole de Dieu là où nous en sommes.
Ces conversations en vérité sur ce qui nous déconcerte, voire nous désespère, est précisément le lieu propice de la révélation du message du Salut.
Le Christ ressuscité se révèle comme compagnon de route, au creuset de nos fragilités et de nos désespoirs ; il nous redonne « un cœur brûlant », se donne « à voir dans la fraction du pain » quand dans notre dénuement nous n’avons plus comme prière que de lui dire « Reste avec nous ». C’est comme une méthode d’apprentissage de la vie en église.

4. Une lecture liturgique pour révéler le déploiement d’une vie eucharistique : se rassembler à deux ou trois, se laisser rejoindre par la présence du Ressuscité que l’on ne reconnaît pas forcément, présenter au Seigneur ses questions et ses atermoiements, se laisser enseigner, faire un travail de mémoire et de relecture, s’initier à la lectio divina, entrer en communion de cœur et d’âme avec le Verbe divin, lui adresser une prière de supplication, l’inviter à le recevoir, le reconnaître à la fraction du pain, s’émerveiller, passer de la plainte à l’action de grâce, goûter à la joie de sa présence invisible, rejoindre les frères et la communauté, proclamer la foi pascale, partir en mission. C’est comme un rituel sacramentel pour goûter la joie de l’eucharistie.

5. Une lecture missionnaire pour rencontrer les périphéries. Ce texte est une feuille de route pour aider le disciple du Ressuscité à faire comme lui : ne pas hésiter à emboîter le pas des hommes désemparés, perdus et déprimés sur des fausses routes. Prendre le temps de les écouter, de leur laisser vider leur sac, exprimer leurs émotions et leur désarroi. Ne pas craindre de les interroger et de passer pour quelqu’un qui ne sait pas ! Avec délicatesse et empathie, les aider à faire mémoire de tout ce qu’ils ont médité sans en rester aux émotions du moment, les aider à faire relecture de leur vie et si possible à redécouvrir des souvenirs de l’écriture sainte. Se faire leur compagnon de route suffisamment longtemps pour qu’une forme d’amitié puisse éclore et se laisser inviter sans s’imposer, quitte à faire semblant d’aller plus loin sur la route, pour les laisser libre de leurs initiatives. S’ils nous font la grâce de leur hospitalité et de leur charité, ne pas craindre une parole de bénédiction et une prière qui ouvre à l’invisible, et nous permet de témoigner de notre foi au Christ Ressuscité. C’est comme un manuel de conseils missionnaires pour témoigner de la foi pascale.

Quel que soit l’angle de vue par lequel nous abordons ce beau texte de l’évangile selon st Luc, essayons de le lire à trois, à voix haute, comme on lit les textes de la Passion : le narrateur, la voix de Jésus, les disciples.
Cette lecture en relief permettra de savourer quelques uns des versets qui sont de vraies pépites d’évangile qui nous concernent tous :

« Jésus lui-même s’approcha et marcha avec eux » (v 15)
« Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (v 16)
« Ils s’arrêtèrent tout tristes » (v 17)
« Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire » (v 25)
« Et partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur interpréta dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait » (v 27)
« Reste avec nous » (v 29)
« Jésus fit semblant d’aller plus loin » (v 28)
« Il entra donc pour rester avec eux » (v 29)
« Quand il fut à table avec eux… » (v 30)
« Leurs yeux s’ouvrirent » (v 31)
« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant… » (v 32)
« Le Seigneur est vraiment ressuscité » (v 34)
« Ils racontaient ce qui s’était passé sur la route » (v 35)

Méditation :

Pendant ce temps de confinement qui se prolonge et devant les incertitudes du lendemain, il est possible que s’amoncellent dans mon âme des nuages d’amertume, de déprime et de petits découragements. Quand je prends la mesure de la dimension planétaire de cette pandémie et des dégâts monstrueux dans les régions les plus pauvres, les camps de réfugiés aux portes de l’Europe, je suis en droit d’avoir le visage sombre et de m’interroger sur l’action salvifique du christianisme et de la pertinence de son message au cœur de la mondialisation.

En pensant aux églises vides, je me demande si je ne me suis pas trompé sur le génie du christianisme et la puissance de Vie de notre Dieu. Serait-ce une illusion ?

Mes questions sont les questions du chemin d’Emmaüs. Et en relisant l’écriture et les prophètes, je repense à la traversée du désert, aux récriminations du peuple de Dieu, à la construction du veau d’or, au don de la Torah, de la Manne, de l’eau vive sortie du rocher…
Je repense aussi au temps de l’Exil quand le Temple de Jérusalem fut détruit et que nos anciens pleuraient au bord des fleuves de Babylone…
Je repense aux chants du Serviteur d’Isaïe, je repense à l’humble crèche de Bethléem où s’était confinée la sainte Famille et dont le déconfinement fut violent à cause du massacre des innocents.
Je repense à la Galilée, au mont des Oliviers, au Golgotha et au Cénacle…, et tout à coup, je réalise que l’auberge d’Emmaüs ressemble à ma maison, à mon appartement et que je suis en train de murmurer à Jésus « reste avec nous ».
J’ai le cœur tout brûlant en fermant l’écriture sainte : elle a le goût d’un morceau de bon pain partagé.

Je redis à Dieu mon action de grâces et ma hâte de retrouver après le confinement mes frères et sœurs dans la grande assemblée pour proclamer avec eux :

« Le Christ est Ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! »