« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 2ème dimanche de l’Avent – B

Frères et sœurs, nous célébrons le deuxième dimanche de l’avent. Deuxième étape de notre chemin vers ce moment d’adoration qui nous attend à Bethléem. La semaine dernière, nous nous rappelions que, alors que nous prenions le départ, nous étions appelés de quelque manière à avoir un regard élargi, nous étions appelés à avoir regard au tout, à ces lointains vers lesquels nous regardons. Ces temps de l’accomplissement ultime, lorsque le Seigneur viendra pour le jugement, pour porter toute chose — chacun, chacune d’entre nous, la création tout entière — à son accomplissement.

Mais pour en arriver là, il faudra en passer par l’étape de Bethléem et cette étape, on ne peut pas l’approcher sans s’y être préparés, sinon, ce qui risque d’arriver, c’est que l’on passe à côté. La manière qu’a le Seigneur de s’y prendre est tellement discrète, qu’un nouveau-né, né dans les marges d’un grand événement comme le recensement, ça risque bien de passer inaperçu. Quant à la vérité profonde de ce nouveau-né que saint Marc nous annonce ici, tout de suite, comme : « Jésus Christ, Fils de Dieu », la vérité de ce nouveau-né, a fortiori, risque elle aussi d’être complètement occultée.

Alors aujourd’hui, pour nous préparer, peut-être plus directement à présent, à ce moment de Bethléem, nous voyons apparaître cette magnifique figure de Jean le Baptiste.  Jean le Baptiste, il a deux caractéristiques. Apparemment c’est une figure qui déjà a commencé de susciter un certain intérêt, de mobiliser un certain nombre de gens. On nous dit que : « Toute la Judée, tout Jérusalem va vers lui » ce qui suppose qu’il n’est pas une espèce de marginal à peine connu. Manifestement, au contraire, c’est déjà, on pourrait dire, une grande voix. Une grande voix qui a dû, par ailleurs, connaître un temps de retrait, puisqu’on nous dit qu’il « paraît à un certain moment », et il paraît pour porter une parole. J’aime bien cette expression de « porter une  parole », parce qu’en définitive, comme nous le savons, les prophètes n’ont guère que cela : ils portent des paroles. Parfois aussi ils posent des gestes, mais toujours des gestes qui essayent de dire quelque chose.

Et donc, le Baptiste va apparaître dans le désert, et il va commencer par lancer une invitation : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droit ses sentiers. » Peut-être que l’on peut commencer par pointer cela : ce dont il est question, c’est de préparer un chemin à quelqu’un qui doit venir, celui qui est au cœur de l’espérance d’Israël. Appelons-le « le Messie », appelons-le « le Sauveur ». Je précise cette chose, qui peut paraître comme un détail mais qui n’en est pas tout à fait un. En effet, il s’agit d’avoir le regard tourné vers Celui qui vient. Et c’est dans la mesure où on a le regard tourné vers Celui qui vient, et qui va venir comme le Sauveur, que l’on peut, dans la lumière de Celui qui vient, faire retour sur soi et avoir regard à soi, que l’on peut reconnaître son péché, et que l’on peut choisir de ne pas rester seul avec son péché puisque l’on sait que quelqu’un vient qui sera en situation d’accueillir ce péché.

Alors Jean, du coup, pose le geste de baptiser, de baigner les gens, de leur offrir un bain qui n’est pas exactement le bain de la régénération – ce que nous appelons, nous, le baptême – mais qui est un bain dans lequel chacun, peut se plonger pour manifester son désir sincère d’être libéré de son péché, d’être pardonné ; pour manifester son désir de bénéficier de la puissance de pardon de Celui qui vient. Et sans doute qu’il faut y insister un tout petit peu : Celui qui vient est plus important, il  est plus décisif que notre péché. Et j’espère que je parviens à vous faire sentir cette nuance : c’est Lui qui rend possible de reconnaître notre péché. Sans Lui nous resterions terriblement seuls, avec des limites, un péché, des péchés, dont nous ne saurions pas que faire, car pour nous en libérer il faut une force si spécifique — et nous le savons bien dans le Seigneur Jésus — une force d’amour tellement spécifique. Et donc, Jean va accueillir — et c’est le maximum qu’il puisse faire — après avoir désigné  Celui qui vient, il va accueillir un désir, le plus sincère possible, de pardon. Il proclame : « un baptême conversion pour le pardon des péchés ».

Nous avons Jean le prophète, celui qui porte une parole ; nous avons Jean le baptiseur celui qui porte une parole pour désigner celui qui vient ; nous avons Jean le baptiseur qui accueille cet immense désir de pardon qui habite le cœur humain — c’est un désir de pardon, c’est équivalemment un désir de liberté. Et puis après, nous allons voir apparaître cette autre dimension de Jean, par où on revient de quelque manière à la première chose que j’ai dite : Jean le précurseur. En effet, Celui qui vient et que Jean annonce, il n’est pas promis pour après-demain, après après-demain ou on ne sait quel point du temps perdu très loin dans le futur. Non, pas du tout ! Il est sur le point d’arriver. Et c’est là que nous entendons Jean qui peut dire : « Voici venir derrière moi, celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. » D’autres passages d’évangile ajoutent : « dans l’Esprit Saint et dans le feu ». Encore une chose que nous dit Jean.

Bien sûr tout restera à découvrir, tout restera à déchiffrer, à décrypter, mais tout de même, déjà beaucoup nous est dit. Celui qui vient, viendra pour pardonner nos péchés, pour libérer le cœur de l’homme. Mais il fera infiniment plus que cela. Si Jean, lui est en situation d’accueillir notre désir de pardon, notre désir de liberté intérieure, notre désir de croissance sans entraves, dans une vie spirituelle et une humanité déliée, ou en tout cas non asservie à ses limites, à ses travers, à ses faux-plus, à ses défauts, à ses faussetés. Si Jean est en situation d’accueillir ce désir-là, il y en a un autre : le Messie, Celui qui vient — nommons-le tout de suite, pour nous, ce sera Jésus — qui est en situation, non seulement d’accueillir ce désir mais d’y répondre. Qui plus est dans une mesure complètement inespérée. Car s’il est vrai que le Sauveur — on peut déjà le dire — lèvera le poids du péché, nous libèrera des entraves du péché, il fera infiniment plus :  libérés de tous nos péchés, nous serons admis à entrer dans la vie même de Dieu, à partager son amour. Selon une expression que j’aime bien (elle vaut ce qu’elle vaut j’imagine et je ne sais pas ce qu’en penseraient les théologiens professionnels…) : nous serons mis en circuit avec l’amour que le Père porte au Fils, et que le Fils porte au Père, dans l’Esprit.

Désirer le pardon, désirer la vie, désirer la liberté, désirer la croissance ; écouter la parole d’un prophète qui nous dit que tout cela ce n’est pas un désir vain, mais que c’est possible. Écouter la parole du prophète qui nous dit que non seulement ce n’est pas un désir vain mais que c’est possible mais, que ça va effectivement arriver.

Pendant tout ce temps de l’avent, c’est ce que nous méditons. Et bien sûr, nous connaissons déjà l’histoire mais il faudrait faire comme si nous ne la connaissions pas pour recevoir cette heureuse annonce de manière un peu neuve et renouvelée. Mais peu importe si nous connaissons déjà l’histoire, ce qui est important c’est que l’évènement du Salut, pour chacun, chacune d’entre nous, il se renouvelle sans cesse.

Au début de cette lecture de la Parole d’aujourd’hui, nous avons entendu, là encore une grande voix, peut-être la plus grande voix prophétique de l’Ancien Testament, dans le livre d’Isaïe, et ici tout spécialement au chapitre 40, les tout premiers versets, les versets 1 à 11. Et je ne résiste pas au plaisir de vous relire simplement les tout premiers mots d’Isaïe  dans ce chapitre : « Consolez, consolez mon peuple — dit votre Dieu — parlez au cœur  de Jérusalem. »

Je m’en tiens juste à cette entrée en matière. Elle ouvre ce que l’on appelle « le Livre de la Consolation ». Et j’imagine que, en lisant ces versets ou en les écoutant, comme moi, ils provoquent en chacun de nous une résonance assez particulière. Car enfin, nous savons de longtemps tout ce par quoi Jérusalem est passée et nous savons aussi par quoi Jérusalem passe encore aujourd’hui. Comme si elle concentrait, comme si elle était l’épicentre de tellement de choses, tellement de ces secousses, tellement de ces brutalités, de ces violences qui secouent notre monde. Et voilà que le prophète, le prophète Isaïe — qui ne parle pas dans l’abstrait, qui connaît lui aussi les aspérités de l’histoire, les violences, les séismes de l’histoire —, le prophète Isaïe porte une parole de consolation : « Consolez, consolez mon peuple — dit votre Dieu. »

Le lointain descendant d’Isaïe, Jean le Baptiste — la dernière des grandes voix du Premier testament et la première des voix du second et Nouveau Testament — le Baptiste aussi porte une parole de consolation. Il nous dit que ce qui fait le péché du monde, il nous dit que ce qui fait notre péché, il nous dit que tout ce qui participent des désordres du monde à toutes les échelles qu’il est possible d’imaginer, des plus petites aux plus grandes, peut trouver, véritablement, consolation et réparation. Le point central, là-dedans, c’est la conversion. La conversion du cœur, la prise de conscience de nos péchés mais en même temps que la prise conscience, la ferme résolution de vivre en régime non pas de péché mais bien en régime de grâce, de vivre en régime de don. On ne fera jamais l’économie du péché, ce n’est que trop vrai. Mais pour contrecarrer ce péché qui est un peu tenace, il y aura toujours le pardon, et le pardon ne sera fécond que si nous sommes fermement déterminés à en faire la loi de notre vie, que ce soit à l’échelon individuel, social et même à l’échelon de ce que l’on appelle la géopolitique.

Alors une fois de plus nous allons bientôt célébrer Noël dans le monde tel qu’il est, le monde tel qu’il va, et c’est continument sur nos chaînes de télévision, dans nos journaux que nous lisons et entendons le malheur du monde et parfois même,  à une échelle qui ne laisse de nous effrayer, la folie du monde. C’est dans ce monde-là, bien réel, bien concret que le Seigneur vient.

Il y a beaucoup de prophètes, de prédicateurs, encore aujourd’hui — à commencer par le pape François — qui sont des relais, des porte-paroles, des porteurs d’une parole prophétique qui, à la fois sait désigner notre péché, mais qui sait d’abord désigner Celui qui vient pour nous sauver.

Alors, nous célébrons ce 2e dimanche du Temps de l’avent, essayons d’entendre tout ce que nous dit Jean. Et certainement d’abord, entendons-le nous désigner Celui qui vient. Entendons-le nous inviter à tourner nos regards vers cette figure encore inconnue de Celui qui vient, mais qui vient comme une promesse, la promesse de ne pas laisser notre cœur esseulé, avec ses limites, ses faux-plis, ce que j’ai appelé tout à l’heure, ses faussetés. Celui qui vient avec une puissance de pardon qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Il vient avec une puissance de pardon qui est une puissance  inépuisable d’amour.

Nous cheminons en creusant en nous le désir de vivre avec bonheur le moment de Bethléem,. Laissons résonner la parole des prophètes : qu’elle nous atteigne jusqu’au plus profond, jusqu’à l’intime de notre cœur. Quelle nous atteste qu’Il vient vraiment au-devant de nous, qu’Il vient pour nous visiter à l’intime, Celui qui peut non seulement pardonner notre péché, mais nous l’ayant pardonné, nous introduire à la très grande liberté et au bonheur des enfants de Dieu.

AMEN