« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

5ème DIMANCHE DU CARÊME – Un double jugement… de miséricorde !

Jean 8,1-11

En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ».

Cinquième dimanche de carême et dernière étape du voyage spirituel qui va nous amener à suivre Jésus entrant à Jérusalem pour y subir sa passion, comme il l’a annoncé à trois reprises (cf. Lc 9,22.44 ; 18,31). Les lectures de ce jour, surtout les deux premières, nous invitent à diriger radicalement notre regard vers l’à-venir : vers la nouveauté que Dieu prépare, si nouvelle qu’elle efface même le passé (Is 43,16-21), vers cet avant qui fait oublier ce qui est derrière (Ph 3,8-14). Ce dimanche portait le nom de Judica, en référence à l’antienne initiale : « Judica me, Deus » (« Rends-moi justice, ô Dieu ! »), empruntée au Psaume 43. Voilà ce vers quoi doit tendre notre regard : le jugement, mais, nous le verrons, un jugement hautement paradoxal.
L’évangile est celui de la femme adultère (Jn 8,1-11) que les exégètes estiment appartenir à Luc plutôt qu’à Jean (et de fait, certains manuscrits situent cet épisode après Lc 21,38 ou à la fin du Troisième Évangile) ; c’est pourquoi nous lisons ce récit dans l’année C, toute consacrée à Luc. Mais, si le style est celui de Luc, sa collocation dans l’Évangile selon Jean est très significative, car il se trouve dans un contexte où se déroule un double jugement. Il y a celui apparent où Jésus est l’accusé sur qui tombe finalement la sentence de mort de Caïphe de Jn 11,50. Puis il y a celui qui est de fait l’authentique jugement, où ce sont les autorités religieuses juives qui sont jugées et retenues coupables, taxées même de « fils du diable » (Jn 8,44), mais non condamnées par Jésus, le juge. C’est tout le contenu des chapitres 7 à 12 de l’Évangile selon Jean qui montrent comment Jésus porte à leur accomplissement les deux fêtes juives des Tentes et de la Dédicace (Soukkot et Hanoukkà).

L’évangile d’aujourd’hui contient ce même double jugement en miniature. Voici donc des scribes et des pharisiens mal intentionnés non seulement à l’égard de la femme qu’ils amènent à Jésus, mais plus encore à l’égard de Jésus. Il s’agit de le mettre en contradiction avec la loi de Moïse pour pouvoir le condamner, ou alors de le mettre en contradiction avec soi-même pour qu’il perde la face devant ceux qui le suivent. Sans nous arrêter au « machisme » de ces maîtres de la loi qui, avec la femme, auraient dû amener aussi l’homme (cf. Deutéronome 22,22), trait qui devrait de toute façon faire réfléchir de nombreuses autorités ecclésiastiques d’aujourd’hui, il est évident qu’ils éprouvent un malin plaisir à mettre Jésus dans l’embarras. S’il dit de la laisser aller, ils l’accuseront de ne pas obéir à la loi, si en revanche il dit de la lapider, conformément à la loi, où s’en est allée la miséricorde de Dieu dont il s’est fait le héraut ?

Mais pour Jésus c’est une nouvelle occasion de dévoiler la grande miséricorde de Dieu.
À l’égard de cette femme qu’il ne condamne pas, malgré son péché évident. Et à l’égard de ces autorités religieuses : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». S’ils se retirent l’un après l’autre à commencer par les plus âgés, c’est qu’ils se reconnaissent pécheurs, et donc jugés ; mais non condamnés puisqu’ils s’en vont libres…

Tout jugement conduit à une sentence. On a mis parfois le geste de Jésus se baissant pour écrire sur le sol en relation avec une sentence possible, car il est écrit dans le livre de Jérémie : « Seigneur, espoir d’Israël, tous ceux qui t’abandonnent seront couverts de honte ; ils seront inscrits par terre, ceux qui se détournent de toi, car ils ont abandonné le Seigneur » (Jér 17,13). Jésus écrirait dans la poussière les noms des accusateurs de la femme pour qu’ils aient honte de leur agissement. Quoi qu’il en soit, la sentence est ici paradoxale, car dans l’un et l’autre cas les accusés sont reconnus coupables, tant la femme adultère à laquelle Jésus déclare : « moi non plus je ne te condamne pas, va et désormais ne pèche plus ! », que les pharisiens et les scribes qui, se reconnaissant pécheurs eux aussi, s’en vont sans pourtant avoir été condamnés.

Alors où se trouve la condamnation qui remettra les choses en ordre ? La condamnation – car il y en a une – est celle qui retentit vers la fin de ces chapitres 7-12 et qui clôt les deux jugements que relate cette ample section du Quatrième Évangile, la sentence de Caïphe, renforcée par le commentaire de l’évangéliste Jean : « “Vous n’y comprenez rien et vous ne voyez pas que c’est votre avantage qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière”. Ce n’est pas de lui-même qu’il dit ces paroles, mais, étant Grand Prêtre cette année-là, il prophétisa qu’il fallait que Jésus meure pour la nation et non seulement pour elle, mais pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. » ((Jn 11,49-52). Dans les deux cas Jésus est le condamné qui prend sur soi et le péché de la femme et celui des autorités religieuses d’Israël.

Jugement de miséricorde donc, où Jésus se charge de la misère des humains et les revêt de sa miséricorde. Voilà pourquoi nous pouvons, nous aussi, regarder vers le jugement dernier avec confiance : c’est comme regarder la croix et découvrir, venant d’elle, la lumière de la Résurrection.

Fr. Daniel, moine de Bose