L’entrée de Jésus à Jérusalem
Profanes sur le parvis
D’ordinaire, c’est sur le parvis de nos églises que nous entendons ce texte inaugural de la liturgie des Rameaux. C’est un texte pour les « profanes ». Fanum veut dire « temple », « lieu sacré », et les profanes, ce sont ceux qui sont devant le temple, « hors du temple ».
Chaque année, une foule de « profanes » vient rejoindre la communauté des dimanches ordinaires pour proclamer, rameaux à la main, « Hosanna, Hosanna ! » qui veut dire « sauve-nous » ou plus élégamment avec les paroles du psaume :
« Seigneur donne, donne le Salut ! » (Ps 117, 25)
Comment ne pas réaliser en cette période du coronavirus que nous sommes tous « profanes », hors du temple. Nous devenons dans nos lieux de confinement un parvis invisible à la dimension planétaire qui écoute ce passage d’évangile et espère le Salut.
Les gens du « parvis », ces « enfants naturels de l’Eglise » tiennent en main les rameaux « comme on s’accroche aux branches » et ne comprennent pas quand ils viennent demander une bénédiction en ce jour de fête qu’on leur réponde que c’est une superstition.
Peut-être que cette année, tous les gardiens du temple, les consacrés qui ont été agacés les années précédentes de voir tous ces pauvres rappliquer comme la foule aux portes de Jérusalem, auront la nostalgie de les savoir si seuls, si loin dans leur misère et leur solitude.
Entrée à Jérusalem
Cette entrée de Jésus à Jérusalem est associée par la liturgie au début de la semaine sainte, comme une clef de lecture du drame de la Passion, du quiproquo sur la messianité de Jésus, sur sa proposition de Salut.
Teilhard de Chardin, dans « La messe sur le monde », nous rappelle que depuis l’entrée de Jésus dans notre histoire, dans le temple sacré de nos existences, plus rien n’est profane, tout est sacré.
Relisons ce texte en faisant de Bethphagé et de Jérusalem la géographie symbolique de notre lectio divina domestique.
- Bethphagé veut dire « la maison des figues pas encore mûres »…, sachant que la figue est l’image de la Torah, de la Parole de Dieu, de la sagesse.
- Jérusalem veut dire « la cité de la paix, le lieu où Dieu se donne, se révèle, se célèbre ».
Puissions-nous dans nos maisons faire le chemin de Bethphagé à Jérusalem, c’est à dire consentir à accueillir la Parole de Dieu comme une sagesse qui nous apprend à vivre en paix avec nous-mêmes, avec Dieu et avec les autres.
Tout ce texte d’évangile est comme le prologue pour préparer l’entrée de Jésus dans le temple. St Mathieu nous décrit comment Jésus, avec une certaine autorité, prend en main son destin et entre dans la ville Sainte avec son cortège de disciples, monté sur un ânon, évoquant ainsi le prophète Zacharie :
« Jérusalem, ton roi vient à toi plein de douceur et monté sur un ânon » (Za 9,9)
C’est déjà le Messie des pauvres, le serviteur souffrant qui est ainsi évoqué, celui qu’on revêtira d’un manteau pourpre et d’une couronne d’épines pour le ridiculiser et le faire moquer. Ce cortège royal a quelque chose de pathétique et c’est probablement pour cela que la liturgie de l’Eglise en donne lecture au début de la Pâque alors même que l’événement en tant que tel a plutôt eu lieu à l’automne, à la fête des Soukkot, la fête des Tentes.
Peut-être pourrions-nous, pour nous associer à ce cortège des mendiants du Salut de Dieu, cueillir un rameau dans notre jardin ou dans la rue voisine… ou, si nous n’en avons pas, le dessiner sur une feuille de papier, et le déposer près de notre coin prière en murmurant :
« Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur !
Hosanna !
Donne-nous, oui donne-nous ton Salut,
et fais de notre semaine une vraie semaine sainte ! »
A coup sûr, cette prière des pauvres fera de chacun de nous de vraies sentinelles d’Espérance et sera une vraie bénédiction pour tous nos proches, vivants ici bas ou déjà dans l’éternité.
Le Seigneur a besoin de nous
Une petite phrase anodine peut retenir en ce temps de confinement notre attention :
« Le Seigneur en a besoin » (Mt 21, 3)
On est en droit de se demander pourquoi le Seigneur en avait besoin. L’ânesse et son ânon sont des bêtes de somme que le Seigneur fait détacher. Nous aussi, nous étions comme des bêtes de somme attachées à nos activités, nos habitudes, nos agendas. Et voici qu’au début de la semaine sainte, avec tous ceux et celles qui se demandent à quoi ils servent, ce qu’ils peuvent faire, le Seigneur nous dit qu’il a besoin de nous pour rentrer à Jérusalem et vivre sa Pâque.
« Ce qui est inouï, disait un théologien, ce n’est pas que nous puissions ne rien faire sans Dieu, mais plutôt que Dieu ne veuille rien faire sans nous ! », même pas sa passion !
Cette Pâque 2020 que le Seigneur désire partager avec nous, même en dehors de nos églises et de nos temples, est une Pâque où il a besoin de nous, plus que jamais.
Porter le Christ
St François d’Assise appelait son corps « frère âne » comme pour dire que nous sommes appelés à porter le Christ sur nos épaules là où nous sommes confinés.
Comment ne pas évoquer en guise de méditation le beau texte du cardinal Roger Etchegaray relu à ses obsèques :
« J’avance comme l’âne de Jérusalem dont le Messie, un jour des Rameaux, fit une monture royale et pacifique.
Je ne sais pas grand chose, mais je sais que je porte le Christ sur mon dos… je Le porte, mais c’est Lui qui me mène.
J’avance à petits pas, mais je sais qu’Il me conduit et j’ai confiance.
J’avance en silence et je L’écoute même si je ne comprends pas tout.
J’avance dans la joie. Quand je veux chanter ses louanges, je fais un boucan de tous les diables parce que je chante faux.
Lui alors, Il rit de bon cœur d’un rire qui transforme les ornières en piste de danse et mes sabots en sandales de vent.
Ce jour-là, je vous le jure, on en fait du chemin.
J’avance comme un âne qui porte le Christ sur son dos. »
C’est en voyant l’Eglise porter le Christ, même en terre profane, « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), dont « le joug est facile à porter et le fardeau léger » (Mt 11,30), que nos contemporains pourront dire comme dans l’Evangile « Qui est cet homme ? » (Mt 21, 10) et les foules répondront :