« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie 5ème dimanche de Pâques (Jean 14, 1-12)

Frères et sœurs, chers amis, nous voici déjà parvenus au cinquième dimanche de Pâques.
Et comme on l’a déjà dit – mais j’aime bien le rappeler – nous ne nous éloignons pas de l’évènement source que nous célébrons, que nous fêtons, au contraire, nous procédons comme à un forage pour entrer dans la profondeur de ce que nous chantons, de ce que vous célébrons, de cette Bonne Nouvelle que nous annonçons : « Christ est ressuscité ! ».
Celui qui a été crucifié, il est ressuscité et il est à jamais vivant ! Et alors, pendant que vous traversons cette cinquantaine pascale, ce temps pentecostal, ce temps d’écoute très attentive de ce que l’Esprit dit à l’Église, aux Églises, au cœur de chacun, eh bien, nous poursuivons notre lecture : lecture du livre des Actes des Apôtres, lecture de l’évangile selon saint Jean, et aussi lecture de la première lettre de l’Apôtre Pierre.

Je m’arrête si vous le voulez bien tout d’abord sur le livre des Actes des Apôtres que nous lisons ce dimanche au chapitre 6e, au début du chapitre 6e.
Pourquoi s’arrêter sur ce livre des Actes ? Eh bien parce qu’il est, comme nous l’avons dit quelquefois « l’Évangile de l’Église » qui prend le relais de l’Évangile du Seigneur Jésus Christ.
De quelque manière, c’est la même aventure, la même geste qui se poursuit, mais à présent, c’est au tour des disciples de prendre le relai de ce que le Seigneur a fait, de le faire dans l’obéissance à l’Esprit, pour annoncer inséparablement – on y reviendra avec l’Évangile – le mystère du Seigneur Jésus mais aussi le mystère de Dieu-même, Père, Fils et Esprit, Dieu d’amour et de pardon.

La première lecture, elle est intéressante pour nous, tout spécialement à ce titre-ci. Au chapitre 2e du livre des Actes, au chapitre 5e aussi, il y a vous savez, ces petits passages, des sommaires, où Luc ne décrit pas exactement une communauté idéale, mais plutôt un idéal de communauté.
Cet idéal de communauté, c’est la communauté des disciples qui accueillent l’annonce de la résurrection, ou du moins qui essayent d’y ouvrir leur intelligence, leur cœur et leur vie, pour que cette annonce entre dans leur intelligence, leur cœur et leur vie, et les transforme, les étaye du dedans, les console surtout du dedans.
Les console pourquoi ? Parce qu‘il y a toujours cette perspective extrêmement troublante et sans doute angoissante intellectuellement, spirituellement, psychologiquement de la mort, et que finalement, le geste du Christ ressuscitant, il est notre consolation devant cette épreuve de la mort apparemment invincible, que vous devons toujours affronter, mais que nous pouvons traverser, et que nous pouvons traverser avec le Seigneur.

Alors cette communauté des disciples, elle essaye d’accueillir d’abord l’annonce de la résurrection et ensuite elle essaye de demeurer – comme nous le disent les sommaires « fidèle à l’enseignement des Apôtres ; fidèle aussi à la fraction du pain dans les maisons », fidèle aussi aux rendez-vous de prière dans le Temple.
Lorsque Luc, disais-je, dans les sommaires nous décrit un idéal de communauté, il ne cache pas pour autant que finalement dans la communauté primitive la vie n’est pas si facile que cela.
Et au chapitre 6e, nous voyons précisément ces difficultés du quotidien. Je lis au tout début du texte : « En ces jours-là comme le nombre des disciples augmentait… » Ça c’est le côté positif : la Parole de Dieu, l’annonce de l’Évangile progresse, et donc le nombre des disciples augmente;  Mais on continue : « les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. »
Permettez-moi de souligner ce mot de « quotidien ». La vie de cette communauté est encore toute naissante, elle ne se perd pas dans l’éther des idées, elle a au contraire à se traduire dans un quotidien irrigué par l’Évangile, irrigué par l’obéissance à l’Esprit que j’ai déjà plusieurs fois mentionné, mais un quotidien qui ne laisse pas d’être âpre.
Et dès qu’il y a communauté ou essai de communauté, nécessairement il y a des frictions. La vie n’est pas toute rose dans les communautés. Et donc on va voir les Douze qui vont convoquer l’ensemble des disciples pour remédier à cette question et ils vont commencer d’instituer des gens, sept, sept frères, qui seront établis pour, nous dit-on « le service des tables ».
Vous irez relire cette page du livre des Actes des Apôtres.  Elle montre comment le souci de la communauté apostolique, c’est d’abord d’organiser la communauté pour une vie au quotidien, dans l’obéissance à l’Évangile, et dans l’amour mutuel.
Il n’y a pas, lorsque l’on établit par exemple les sept que l’on va établir-là, lorsque naît l’ordre des diacres, il n’y a pas une grande préoccupation théorique, non, il y a un service à rendre, à l’intérieur même de cette communauté de service que l’Église a vocation à être.

Cette question de la communauté elle est très importante, parce que nous le savons bien, construire une communauté, construire une « communion » ( puisque les chrétiens ne vivent pas dans une grande communauté, ils vivent dans ce que l’on appelle « l’Église »;  à un moment donné de son histoire elle s’est même appelée la « Fraternité », « l’Église-fraternité »), mais construire une communion ce n’est jamais facile !
Et je me souviens ici d’une parole qui avait été prononcée par le Père Nicolas Lossky. C’est un prêtre orthodoxe que j’ai eu la joie de connaître. Il était le fils de Vladimir Lossky. (Vous pourrez aller chercher ces noms sur Wikipédia si le cœur vous en dit, ce sont de très grandes figures de l’Église orthodoxe). Vladimir Lossky avait en particulier écrit ce très beau petit livre qui s’appelait « Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient ».
Le Père Nicolas, lui, son fils, avait été professeur d’anglais à l’université pendant sa vie et tardivement il a été ordonné prêtre. Il était aussi un fin théologien et historien. Et je l’entendais dire un jour dans un entretien qu’il n’aimait pas tellement l’expression « Église indivise » parce que disait-il, au fond l’Église n’a jamais été “indivise”. Et qu’est-ce qu’il avait en vue en disant cela ? J’imagine qu’il avait en vue l’histoire très concrète de notre Église, à commencer par le livre des Actes des Apôtres où les choses ne vont pas de soi, où les choses ne s’agencent pas toujours très bien, ça tiraille et parfois même ça casse, il y a des ruptures, et il faut recoller les morceaux. Aussi bien l’Église, elle a toujours été en quête d’unité.

Alors après bien sûr, il y a les grandes fractures de l’histoire, il y a les grandes séparations doctrinales, il y a les excommunications mutuelles, parfois même il y a les persécutions mutuelles. Mais cela vient bien après.
A la source de tout, il y a toujours ce rendez-vous manqué avec l’impératif d’aimer.
Et ici il faut que nous en soyons extrêmement conscients, il ne faut jamais oublier cela. Ici [alors que nous lisons ce passage où cela se produit dans les tout premiers commencements] nous nous souvenons que nous devons rester conscients que notre Église, nos Églises, elles portent toujours ce contre-témoignage de la désunion. Comment attendre que le monde croie que le Christ a tout donné pour l’unité si nous persévérons à n’être pas les prochains les uns des autres, mais au contraire à nous satisfaire de la désunion, tant et si bien que nous ne puissions même pas communier au corps et au sang du Seigneur, à ce repas fraternel qu’il nous donne, dans lequel IL s’offre Lui-même pour notre salut et notre unité.

Il me semble qu’il faut porter cela avec une certaine douleur et surtout en luttant contre toute forme de résignation.
J’y pense d’autant plus que dans le monde qui est le nôtre, et au moment que nous traversons avec cette épreuve de pandémie dont on voit bien qu’après la crise sanitaire il va y avoir des secousses sévères, économiques, sociales, et il va y avoir beaucoup, beaucoup de dégâts, des gens qui risquent de rester sur le carreau, de voir leurs vies mises à bas, eh bien, il va falloir construire de l’unité.
Il va falloir aller les uns vers les autres, et pas simplement dans l’entre-soi des communautés croyantes, quelles que soient leurs confessions (et nous pouvons penser d’abord à nous les catholiques); il va falloir aller les uns vers les autres pour construire ensemble quelque chose, pour nous rencontrer, pour nous retrouver, pour discerner ensemble quel est notre bien commun par delà les différences de croyances, de confession, ou de non-croyance, et de non-confession, pour construire des sociétés où il fasse bon exister, et où chacun puisse faire son chemin humain et spirituel en toute sérénité, en toute sécurité, et en toute paix.  Aussi bien ce petit passage des Actes, dans la simplicité d’un histoire du quotidien, il nous dit déjà beaucoup de choses et il nous rappelle à un essentiel.

Alors bien entendu au-delà de ça, il y a le chapitre 14e de l’évangile selon saint Jean que l’on commence aujourd’hui en lisant les versets 1 à 12.
C’est plutôt la fin du chapitre 13 qui constitue l’introduction à ces discours d’adieu qui vont se succéder aux chapitres 14 et 15 et 16 avant que l’on entre dans la prière d’adieu du Seigneur, au chapitre 17, la grande prière sacerdotale.
Il y a là un moment tout à fait exceptionnel, où le Seigneur prend longuement la parole. On a vu comment s’est achevé la chapitre 13, il y a bien sûr la beauté du lavement des pieds, il y a tout ce que dit le Seigneur à ses disciples qui ont du mal à comprendre ce qu’il a fait.
À la conclusion de ce passage il y a ce début du drame avec Judas qui s’en va, qui va dans la nuit et qui va aller livrer son Maître
Et voilà que le discours parsemé de dialogues que nous commençons de lire aujourd’hui, va nous faire entrer dans l’intimité de Jésus.
Très souvent on a vu Jésus échanger avec ceux et celles qui étaient autour de lui ; on a vu Jésus essayer de convaincre ceux et celles qui étaient autour de lui de ce qu’il avait à leur dire, à leur dire sur lui-même, à leur dire sur Celui de la part de qui il vient, et voilà que dans ces chapitres-ci, on va entrer dans un registre plus intime.
Vous vous souvenez quand on a pu parler à tel ou tel moment de la « musique » de l’évangile de Jean. Il faut lire ces chapitres, section par section si l’on veut, mais aussi au long, pour entendre cette musique qui fait entrer dans une confidence, pour entendre cette musique qui fait entrer dans une  intelligence qu’on ne peut pas du tout gagner à la force du poignet.
Il y faut au contraire la docilité de l’écoute, la disponibilité de l’oreille du cœur, et puis il faut se laisser guider, parce qu’au fond, dans ces longs discours Jésus, à l’occasion nous avons des relais qui parlent pour nous.
Je pense aujourd’hui à Thomas, je pense aussi à Philippe. Lorsque le Seigneur parle avec beaucoup d’assurance de ce qu’il va faire ou de ce qu’il fait, quelquefois tel ou tel élève la voix pour demander une explication.
Lorsque le Seigneur dit « je pars vous préparer une place », « pour aller où je vais vous savez le chemin » Thomas lui dit « nous ne savons même pas où tu vas, comment est-ce qu’on pourrait savoir le chemin ! » et à chaque fois c’est l’occasion pour le Seigneur de re-préciser des choses et parfois de manière très lapidaire, par exemple ici à Thomas, il dit «  Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie »

Vous savez cette page d’Évangile, on la commente souvent, en tout cas je l’ai commentée très souvent lors de la célébration de funérailles. Et lorsqu’on l’écoute dans la célébration des funérailles, vous savez dans ces moments où on est perdu, où le chagrin brouille tout, où on ne voit pas le bout du tunnel, l’Évangile nous rappelle que notre seul point d’appui quand on ne comprend plus rien, c’est le Seigneur parce qu’il est là, avec son amitié, avec son amour et que si pendant un temps on est dans le brouillard, la fidélité du Seigneur – j’ai bien dit la fidélité du Seigneur – en dialogue avec la fidélité au Seigneur nous permet de traverser ces moments opaques pour plus tard, quand les choses se sont décantées, retrouver la lumière et la paix.

De la même manière un tout petit peu plus loin, vous vous souvenez de ces très nombreux passages où on a vu le Seigneur Jésus essayer d’expliquer à ceux et celles qui l’écoutaient qu’il vient “de la part d’un Autre”, qu’il est le visage de Celui qu’on ne voit pas, qu’il est la voix de Celui que l’on n’entend pas, sauf à telle ou telle exception dans l’Évangile.
Et voilà que Philippe demande au Seigneur « Seigneur montre-nous le Père et cela nous suffit. » et la réponse de Jésus à Philippe, elle est étonnante, tellement proche : « Il y a si longtemps que je suis avec vous , et tu ne me connais pas Philippe ! »
Et ensuite « Celui qui m’a vu a vu le Père. » Et voilà que se retrouve placé sous nos yeux, cette icône du visage du Fils.
Pensez à ces icônes, où votre regard peut croiser le regard du Seigneur ou, mieux encore, peut se laisser croiser par le regard du Seigneur. Ces icônes du visage du Fils, qui en transparence laissent deviner à quel point cet être ne fait pas écran entre nous et Celui de qui il vient, mais au contraire il fait le pont, il fait le passage, il nous y conduit.
Et pour nous éviter de nous égarer dans je ne sais quelles spéculations, il nous indique à chaque pas, que le vrai chemin pour aller vers Celui qu’on ne voit pas, ce Dieu que nul n’a jamais vu, c’est Lui, Lui Jésus, Lui Jésus dans son humanité, Lui Jésus dans sa geste d’amour qui va jusqu’au bout.
Il nous accompagne à chaque pas. Il peut dire à Philippe ces propos sur lesquels vous pourrez revenir « Croyez-moi, je suis dans le Père et le Père est en moi. » Et lorsque Jésus  se présente à nous, c’est tout notre rapport à Dieu qu’il nous fait revisiter parce qu’il vient vers nous avec une révélation originale de ‘’qui est Dieu’’ à notre égard. Il va nous révéler un Dieu non pas lointain, mais proche ; il va nous révéler un Dieu qui ne veut pas nous écraser mais qui veut nous relever ; un Dieu qui nous veut debout, un Dieu qui nous relève, un Dieu qui nous ressuscite lorsque nous ployons sous le poids du péché et de la mort.

En lisant ces chapitres de saint Jean, je voudrais que nous ne les tenions pas à distance de nous, mais que, même si parfois ils nous apparaissent un peu difficiles, nous nous y ouvrions avec beaucoup de simplicité. Alors bien sûr au début on ne comprend pas tout, mais la petite musique  (de saint Jean) nous accompagne, la voix du Seigneur nous accompagne, la voix de ce qu’a compris l’évangéliste nous accompagne, et il essaye de nous le restituer pour nous faire grandir en intelligence spirituelle.

Ce qui nous est demandé, c’est toujours la même chose, au fond, on revient à ce que nous disions au jour de Pâques, c’est l’AMEN de notre foi.
Consentir à cette proximité du Christ dans laquelle nous pouvons goûter la proximité du Père et dans laquelle nous est donnée aussi la présence de l’Esprit Saint dont Jésus nous dit, en tel ou tel endroit, que l’Esprit est à la fois notre mémoire, notre mémoire biblique, notre mémoire évangélique, notre mémoire christique, et Il est aussi notre intelligence. Et Il est aussi notre actualité, non seulement parce qu’Il nous donne de comprendre les textes lorsque nous les lisons au plus près d’eux-mêmes, dans leur jaillissement, mais parce qu’Il nous donne les textes et la lumière qu’ils peuvent nous apporter pour nous, ici aujourd’hui dans les circonstances que nous traversons.

Je n’en dis pas beaucoup plus ce matin. En ce 5e dimanche du temps de la Pâque, continuons d’avancer sur notre chemin de résurrection, continuons de suivre et d’écouter le Ressuscité, continuons de traverser cette cinquantaine de Pentecôte en accueillant le plus simplement possible toutes les paroles qui nous sont données. Comme le dit très souvent saint Jean, elles ne nous sont pas données pour que nous spéculions, pour que jouions “aux grands théologiens” ! Non ceux qui peuvent jouer aux grands théologiens ce sont ceux qui se sont laissés rejoindre dans la simplicité du cœur, par une parole qui est sans doute très riche mais qui doit toujours être aussi accueillie comme une parole simple.

Avançons sur notre chemin de résurrection et disons-nous que ces paroles, comme dit le Seigneur, elles sont pour nous « Esprit et Vie ». Elles nous sont données pour éclairer notre intelligence, mais plus encore pour nous affermir dans notre chemin de vie, nous éclairer sur le chemin où nous marchons, nous aider à tenir le coup, nous aider à nous relever, nous garder dans l’exultation de la Résurrection.

AMEN