« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

3ème DIMANCHE DU CARÊME – Encore cette année !

Luc 13,1-9

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’ Mais le vigneron lui répondit : ‘Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ ».

Le carême est un voyage. Le premier dimanche en indiquait le point de départ : notre faiblesse aux prises avec les tentations. Le deuxième dimanche nous a révélé la direction : notre transformation en Christ qui nous veut semblables à lui, êtres de lumière. Cela ne se réalise pas en un instant ; cela demande du temps. Tel est l’objet de ce troisième dimanche de carême : le sens du temps que nous vivons.
Il est peut-être difficile de repérer, à première vue, le lien existant entre les deux événements de chronique rapportés au début de l’évangile de ce dimanche et la parabole finale du propriétaire excédé par la stérilité du figuier qu’il avait planté. D’un côté, en effet, la mort a fait irruption sans aucun signe avertisseur. Absence de temps : les Galiléens ont été massacrés et la tour s’est effondrée sur ces dix-huit personnes sans un instant qui leur donnât la possibilité d’échapper à la catastrophe. De l’autre, dans la parabole, le vigneron intervient auprès du propriétaire pour obtenir un délai – et donc du temps – qui donnera peut-être au figuier la possibilité de produire le fruit attendu.
Et pourtant, c’est justement dans la tension entre ces deux tableaux de l’évangile d’aujourd’hui que se situe le sens du temps qu’il nous est donné de vivre.

La première section nie d’abord catégoriquement une réflexion, qui reste malheureusement ancrée dans nos pensées, que nous soyons chrétiens ou non : celle qui entend établir un lien de cause à effet entre un malheur qui survient et une faute de celui ou de celle qui en est la victime. Le vieux refrain qui nous revient à l’esprit chaque fois que quelque chose ne va pas : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? » n’a simplement rien à voir avec la foi ! Non, ni les Galiléens ni les dix-huit victimes de Siloé n’étaient plus pécheurs que leurs contemporains : là n’est pas la cause de leur catastrophe. Pour les Galiléens, la cause en est simplement la cruauté légendaire d’Hérode qui, suite à un massacre semblable à celui que notre texte évoque, fut rappelé à Rome ; pour les victimes de la chute de la tour, la cause en est un défaut de construction ou d’entretien. Deux types de causes qui restent tragiquement très actuelles dans les désastres dont nous pouvons lire ou entendre les récits quasi quotidiennement.

Il y a toutefois une manière croyante de lire ces événements : non par rapport aux victimes (« Qu’est-ce qu’ils ont fait ? »), mais par rapport à nous : « Qu’est-ce que cela me dit ou signifie pour moi ? ».
Dans ce cas, nous découvrons que nous aurions parfaitement pu être la victime de l’une ou de l’autre catastrophe, et donc que c’est nous qui avons échappé à la mort. Mais pourquoi ? Ou plutôt pour quoi ? Dans quel but ?
Jésus ne nous fait pas attendre : si jusqu’à présent la catastrophe ne nous a pas rejoint, c’est afin que nous profitions du temps qui nous est donné pour nous convertir. Conversion qui n’est pas fondamentalement une « repentance » impliquant exercices ascétiques, confession des péchés, contrition et pénitence, comme on le croit souvent, mais changement de route : au lieu de nous éloigner de Dieu, poursuivant la direction de nos propres pensées, faire demi-tour et nous tourner vers Dieu : revenir à Lui. Comme le dit Jérémie : « Si tu veux revenir, c’est vers moi que tu peux revenir » (Jér 4,1). Ici, une petite note marginale mais importante : on traduit souvent : « Si tu veux revenir, c’est vers moi que tu dois revenir » ; mais cette parole de Dieu n’est pas un ordre, elle souligne bien plutôt que, malgré nos égarements, Dieu est toujours prêt à nous accueillir à nouveau, comme le père du fils prodigue que nous rappellerons dimanche prochain (cf. Lc 15).

Nous nous trouvons ainsi dans la situation du figuier sur lequel est tombé le décret du propriétaire : « Coupe-le ! », mais auquel l’engagement du vigneron épargne momentanément la mort : « Laisse-le encore cette année… je m’en occuperai, etc. ». Nous découvrons alors que la conversion dont parle la première section : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (vv. 3 et 5) n’est pas simplement un impératif auquel il faut obéir, mais, en premier ressort, le résultat de l’œuvre du vigneron : c’est lui qui bêchera et mettra le fumier ; c’est lui, le Christ, qui opère en nous cette conversion nécessaire. Ici aussi Jérémie l’avait bien compris, lui qui, s’adressant à Dieu, déclare : « Fais-moi revenir, et je reviendrai, car c’est toi qui es le Seigneur mon Dieu » (Jér 31,18).

Alors vivre le temps qui nous est donné n’implique pas tellement que nous nous demandions ce qu’il nous faut faire pour nous convertir et revenir au Seigneur, mais plutôt que nous demandions au Seigneur de nous rendre malléables pour qu’il puisse nous faire revenir de tout notre être vers lui, la source de notre vie, et qu’ainsi nous produisions le fruit qu’il attend de nous.
Et, avec la vie que nous recevons de lui, nous trouverons aussi la joie d’être l’instrument de l’œuvre de Dieu.

Daniel Attinger, frère de Bose