« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

B – Homélie Pentecôte

Frères et sœurs, chers amis, nous voici donc arrivés au jour où nous célébrons la Pentecôte, le don de l’Esprit. Avec ce jour, c’est une longue séquence de notre année liturgique qui se clôt, comme un long temps fort spirituel qui a commencé, on s’en souvient, le jour du Mercredi des cendres, avec cette invitation qui nous était faite de nous convertir et de croire à l’Évangile. Et toute la première partie du chemin que nous avons faite, que nous avons accomplie, c’était bien pour nous rendre plus disponibles, pour remettre un peu à neuf notre écoute et arriver à Pâques un peu désencombrés, disponibles pour entendre, dans toute sa fraîcheur, la proclamation de la résurrection du Seigneur.

Nous avons pendant quarante jours, en quelque sorte “jeûné d’alleluia”. C’est un marqueur assez fort du carême, que l’absence de cette louange, de cette acclamation. Nous avons jeûné d’alleluia, pour redécouvrir au moment de Pâques, la puissance de cette louange, de cette action de grâce pour
le don de la résurrection du Seigneur ; c’est-à-dire le don de cette vie, de cet amour, qui peut vaincre toutes les morts et qui peut aussi vaincre tous les manques d’amour, tous les “non-amours”,si l’on peut dire.

Ensuite de quoi, nous avons aussi continué notre chemin. Car une fois que nous nous étions rendus disponibles à l’annonce de l’Évangile, au noyau de l’Évangile, au cœur du cœur : la résurrection, eh bien, nous avions encore du chemin à faire. Car cette proclamation, on l’a souvent dit, elle retentit à
nos oreilles, elle parle à notre cœur, et en même temps, elle nous interroge. On n’insistera jamais assez je crois sur l’inévidence, sans doute aussi la gravité, en tout cas l’étrangeté de toutes ces pages d’évangile qui nous parlent de la résurrection ou plutôt du Ressuscité : du Ressuscité venant vers
les siens, retrouvant les siens par-delà la mort. On n’insistera jamais assez sur l’étrangeté, au fond, de ces pages d’évangile qui nous parlent de l’expérience qu’ont fait les disciples du Seigneur en le retrouvant par-delà la mort.

Il faut interroger cela. Qu’est-ce que cela signifie : “Christ est ressuscité” ? Et qu’est-ce que cela signifie pour nous – en entendant encore ce que disait saint Paul aux Colossiens – qu’est-ce que cela signifie pour nous d’ « être ressuscités », d’être déjà ressuscités avec le Christ, et du coup d’être appelés — c’est vraiment saint Paul qui disait ça – à « rechercher les réalités d’en haut » ? Qu’est-ce que cela signifie pour nous de vivre en fidélité à la profession de foi au Christ ressuscité ? C’est cela qui nous fait chrétiens : notre profession de foi au Christ mort et ressuscité. Qu’est-ce que cela signifie de vivre notre vie à la lumière de ce mystère de résurrection, alors que la mort semble avoir tant de prise sur le monde, être à l’œuvre dans tant d’endroits du monde et dans le cœur de l’homme – qu’est-ce que cela signifie, de croire qu’en fait, elle n’a pas le dernier mot, que le Prince
ce monde, celui qui sème la mort a, comme dit le Seigneur, a été vaincu, a été évincé » ? Qu’est-ce que cela nous dit du comportement que nous pouvons avoir, de l’espérance que nous portons et dont vous avons à rendre témoignage ? Qu’est-ce que cela signifie de vivre notre vie dans l’amitié
avec le Ressuscité ; en recevant cette amitié d’abord de lui et en la partageant entre nous ?

Vous voyez que ce chemin, ce questionnement, en fait, c’est un questionnement qui n’a pas de fin. La vérité, c’est que ce questionnement-là, il est vraiment au cœur de notre vie spirituelle, c’est même le nerf de notre vie spirituelle. De quelque manière, il faudrait toujours se redire que notre
vie spirituelle ne consiste pas essentiellement dans une mise en conformité qui serait toute en morale. Non ! Notre vie spirituelle consiste à explorer sans cesse cette irruption de la vie dans un monde qui semble voué à la mort. L’irruption de cette puissance de vie qui conteste toutes les
puissances de mort et qui les conteste pour les vaincre. Voilà le nerf de notre vie spirituelle, avec toutes les conséquences ensuite que cela peut emporter.

On l’a beaucoup dit et on le ré-entend encore aujourd’hui dans l’Évangile selon saint Jean : lorsque nous nous mettons devant le Mystère de Dieu tel que nous le confessons, tel que nous le confessons grâce à la révélation que nous en a faite Jésus de Nazareth, le Seigneur, celui qui est mort et
ressuscité pour nous ; lorsque nous nous mettons en présence du Dieu de Jésus Christ qui est aussi le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu de Moïse, nous découvrons que ce Dieu, comme on l’a souvent mentionné, il est échange d’amour. C’est un infini d’aimer qui est en
acte, un acte plein, entier, absolu, qui dépasse absolument l’entendement, dont il est quasiment impossible de parler mais auquel il n’est pas impossible de se rendre sensible. Il est même, et c’est le Seigneur qui nous le dit, il est même possible non seulement de s’en approcher mais même d’y entrer. Et nous avons vocation à, littéralement, faire corps avec cet acte d’infini amour qu’est le Mystère de Dieu. C’est très précisément ce que nous faisons lorsque nous célébrons l’eucharistie. : nous nourrissons en nous la vie de Dieu ; dans notre vie humaine, telle qu’elle est, l’amour de Dieu
entre et par capillarité peut irriguer tout notre être dans toutes ses dimensions – spirituelle, bien évidemment, mais on peut le dire aussi — et il faut sans doute le dire, faut pas l’oublier en tout cas — corporelle.

Alors, frères et sœurs, lorsque nous méditons le Mystère de Dieu, échange d’amour d’un côté, et notre mystère à nous, il me semble que nous tenons la clé pour poursuivre notre chemin avec le Seigneur. Et en arrivant au terme de toutes ces méditations, je souhaitais vous citer un tout petit
passage du livre d’un certain Père Tillard qui était un dominicain. Il a écrit ce beau livre qui s’appelle : « Chair de l’Église, chair du Christ. » Le sous-titre : « Aux sources de l’ecclésiologie de communion. » Ça fait un peu technique dit comme ça, mais il me semble que ça vaut la peine
d’entendre ce qu’il dit. Je cite : Quiconque lit d’un trait le Nouveau Testament est frappé de constater que les parénèses (ou exhortations), qui forment une large part des documents les plus importants, insistent beaucoup plus sur la glorification de Dieu et le comportement à adopter à l’endroit des
autres que sur une éthique centrée sur l’individu lui-même. Certes, on ne nie en rien les devoirs du croyant envers son propre corps, sa propre âme, ses propres biens. Mais ils sont toujours inscrits dans un ensemble qui d’une part les déborde et d’autre part les conditionne. Dans cet ensemble, ce sont Dieu et les autres, qui pour l’essentiel donnent à l’existence chrétienne ses coordonnées. Celle-ci est une existence d’Église. Cette
constatation est capitale.
Voilà une entrée en matière, mais c’est surtout pour les mots qui suivent que je voulais vous citer ce passage :
S’il fallait caractériser d’un mot l’inspiration fondamentale du comportement chrétien, nous parlerions en effet de communion — communion avec Dieu et les autres dans la foi, la charité, l’espérance — et non pas simplement d’une motivation de charité qui se résumerait dans la volonté de « faire du bien aux autres ». Car elle implique tout autant que le service, la volonté d’être avec les autres dans la confession commune du Dieu et Père de Jésus dans le dynamisme du Royaume.
Je poursuis encore un petit peu :
On ne se trompe pas en affirmant que, dès qu’il est question de l’existence formellement évangélique nécessairement menée devant Dieu, l’autre se trouve toujours à l’horizon à cause de Dieu.

Je pourrais poursuivre cette lecture mais l’essentiel est dit. Et lorsque nous arrivons à ce jour de la Pentecôte, eh bien, nous sommes mis devant le mystère de notre vocation. De la même manière que le Seigneur est venu pour tout réconcilier en lui, nous avons vocation à prendre le relai, et à nous
faire à notre tour et en Christ, dans le Christ Jésus, des réconciliateurs. Saint Paul nous invite à nous laisser réconcilier. C’est l’expérience que nous faisons lorsque nous sommes disciples du Seigneur. Mais une fois que nous avons vécu cette expérience de réconciliation, à notre tour, nous avons vocation à aller vers le monde pour être des êtres de réconciliation, des semeurs de paix, des donneurs de vie. Nous avons vocation à créer du lien dans ce monde qui ne cesse de se déchirer, parfois même de s’atomiser, de se disperser… C’est notre vocation que de faire du lien, que de rapprocher, que de pacifier, que de réconcilier — ce mot sonne si bien ! Et vous vous souvenez que si nous faisons cela, c’est en fidélité à ce que nous avons beaucoup lu ces temps-ci, le chapitre 17 de l’Évangile de Jean : combien de fois n’a-t-on pas entendu le Seigneur prier pour que tous soient un,
comme lui et le Père dans l’Esprit et avec l’Esprit, sont UN. C’est là tout son vœu, c’est là toute la raison d’être de la mission. C’est là la motivation la plus profonde de son Mystère pascal.

Vivre et offrir. Un mystère de réconciliation dans un geste d’amour fou, qui ouvre la voie à la possibilité d’une humanité qui vive en harmonie, réconciliée avec elle-même et vivant en présence de Dieu. C’est là toute notre vocation : être des êtres de communion. J’ai cité à l’occasion la
définition de l’Église que donnait le Concile de Vatican II dans Lumen gentium. C’est la première phrase : La lumière des nations, c’est bien le Seigneur, et c’est à lui que nous rendons témoignage. « Aussi bien l’Église est dans le Christ [Elle est dans le Christ : elle arrive en second mais elle est
dans le Christ ] le sacrement, c’est-à-dire, le signe et le moyen de la communion intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. » Tout est dit. Et l’Église n’est pas du tout une fin en elle-même, elle est un moyen, un signe et un moyen — on appelle ça un sacrement — au service de la communion avec Dieu et au service de l’unité pacifiée du genre humain.

Nous concluons donc finalement sur la béatitudes des artisans de paix, de ceux qui travaillent à ce que le monde vive non seulement dans la tranquillité, mais aussi vive une vie de plénitude, dans le partage et dans l’amour et dans le lien.
Chers frères et sœurs, chers amis, ainsi s’achève notre parcours qui nous reconduit à la béatitude des artisans de paix.
Demeurons en communion, obéissant à l’Esprit, cet Esprit qui nous conduit, qui fait notre unité et qui est notre lien. Demeurons en communion dans la prière et demeurons surtout en communion au service de ce monde en quête de vie pacifiée, de ce monde en quête d’une véritable
harmonie.
À tous et à toutes, une belle entrée dans le Temps ordinaire et à très bientôt !