« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Célébrer et transmettre la Pâque : de l’église à la maison et de la maison à l’église

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En quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?
Le récit ne peut débuter que si la génération nouvelle interroge la précédente.
Il surgira sous la forme d’une réponse à une demande,
et non comme la simple répétition d’un récit rituel.
Ainsi se conçoit la transmission…[1]

La lune de printemps est là, pleine et belle en ce jour dit des Rameaux.
C’est le signal cosmique du début de cette semaine sainte qui nous conduit au Triduum pascal, les trois jours de la Pâque chrétienne.
La pandémie est toujours bien là mais elle n’aura pas pour autant le dernier mot.

En accolant l’adjectif « chrétienne » à la Pâque 2021, nous voulons saluer nos frères aînés dans la foi qui célèbrent aussi, cette semaine, Pessa’h, la Pâque juive. Cette rencontre des calendriers vient périodiquement stimuler nos communautés chrétiennes dans l’approfondissement d’une mémoire, dans la conscience renouvelée d’une appartenance à un récit commun qui nous précède et nous fait.
Pour nos sœurs et frères juifs, la Pâque est la fête de la libération commémorant la sortie d’Egypte. C’est l’occasion dans les familles, dans les maisons, à côté des célébrations à la synagogue, de transmettre à tous et particulièrement aux jeunes enfants le cœur du judaïsme. Ainsi c’est à travers un récit, la haggadah, ponctué de questions, de réponses, de gestes, de goûts partagés, de symboles expliqués, de dialogues où le jeu se mêle aux chants, que toute une liturgie est déployée autour de la table familiale à la mesure de ce que chacun peut porter mais dans un ordre (seder) finement défini.
Cette profonde sagesse dans l’art de transmettre, liant le plus corporel au plus spirituel ne peut laisser les chrétiens que nous sommes insensibles.

L’expérience de la Pâque 2020 pour les Églises chrétiennes « en pandémie » a permis, par un « confinement » forcé dans nos maisons, certes de goûter au manque douloureux du rassemblement vital de nos assemblées, mais aussi de découvrir que la maison a vocation à être ce lieu où l’espace est signe d’une présence commune des uns aux autres, d’une expérience de foi les uns par les autres.
Il ne s’agit pas de remettre en question l’assemblée, lecclesia, qui reste le lieu premier de « socialisation » d’une foi chrétienne, mais il est urgent aujourd’hui de se souvenir aussi que lecclesiola, est un lieu source, voire natif, de la même ecclesia.
Nulle opposition donc entre l’église et la maison mais, au contraire, l’expression d’une même respiration à deux poumons.
Allons plus loin : comment pourrions-nous intérioriser la Vie de la Pâque reçue par et dans l’assemblée, sans l’accueillir sous nos toits pour lui laisser prendre toute sa place transformatrice ?
Oui, l’enjeu du témoignage au monde de la Pâque dépasse les murs de nos églises. C’était l’intuition de Nicolas Fedorov, philosophe russe, qui invitait déjà au XIXème siècle à ce que la Pâque puisse être célébrée bien au-delà du sanctuaire. La liturgie familiale elle-même initie les membres à participer plus activement et consciemment à la liturgie de la communauté paroissiale. L’inverse est également vrai.

La pandémie de façon bien mystérieuse reste notre maître en continuant à bousculer nos habitudes. Les contraintes sanitaires en cours devraient heureusement permettre de célébrer la Pâque 2021 dans nos assemblées mais avec des limites d’effectifs et un « couvre-feu » ne permettant pas les rassemblements nocturnes. Ainsi la Vigile pascale sera « bousculée » cette année car soit anticipée dans l’après-midi du samedi, soit célébrée au petit matin du Dimanche.

Alors quallons-nous faire de retour dans nos maisons pour préparer et prolonger ces célébrations que nous vivrons dans nos églises ?
Allons-nous prendre du temps pour nous extraire de notre quotidien, de notre travail souvent épuisant, de nos écrans, de nos rêveries « smartphoniennes » en osant « couper » pour partager l’extra-ordinaire de ces jours denses avec ceux qui habitent sous le même toit ou que l’on pourra accueillir ?
Vous trouverez sur ce site des propositions concrètes que nous avons déjà pu vivre l’an dernier.
Ainsi par exemple, le Jeudi Saint, en rentrant à la maison après la célébration de la sainte Cène, il y a le geste du lavement des pieds. C’est un « évènement » à vivre ensemble pour entrer en quelque sorte, de « plain-pied », dans ce triduum.
Il y a le partage de ce repas unique dans notre année qui rompt le jeûne pascal, temps à la fois festif et grave introduit par une grande bénédiction autour de la table, où jeunes et moins jeunes pourront dialoguer et se réjouir ensemble.
Le repas sera prolongé par une veillée pour écouter les dernières paroles du Seigneur, dans son sermon tiré de l’Évangile de Jean. Puis la grande prière litanique qui rejoint toutes les intentions pour notre monde dans la nuit. Au soir du vendredi saint, avant la collation, il y a la mémoire de la mise au tombeau que l’on pourra poser par un geste aussi simple que saisissant rappelant le rite de l’épitaphios de la liturgie byzantine.
Pour ceux qui célèbreront la Vigile pascale au petit matin du Dimanche, il y aura ce long samedi de l’attente, de l’absence et du désir que l’on pourra habiter de temps spécifiques (office des ténèbres, vêpres du Samedi Saint, lecture des actes des apôtres dans la soirée) pour nous conduire, dans cette nuit des nuits, jusqu’aux lumières de la résurrection.

Lexpérience dune foi pascale célébrée dans les maisons est un enjeu vital qui dépasse la simple proposition circonstancielle liée à la pandémie en cours. Récemment, le cardinal Mario Grech, secrétaire général du synode pour les Evêques, n’a pas hésité (dans une interview pour civiltacattolica.com), à rappeler cet enjeu comme « une clef qui ouvre des horizons d’espérance[2] ».

Alors en quoi ce triduum, ces trois jours seront-ils différents des autres jours pour nous ?
Peut-être qu’une réponse à cette question implique une décision de notre part, une décision mettant en œuvre une imagination que l’on peut dire chrétienne. Le mot « imagination[3] » n’est pas ici une pieuse rêverie déconnectée du réel mais tout au contraire le réveil d’un enjeu théologique[4], le réveil d’une responsabilité pour tous les baptisés à prendre au sérieux la réception du récit fondateur de la Pâque du Christ comme une action transformatrice pour le monde ici et maintenant.
N’est-ce pas cela la force de la Résurrection ? N’est-ce pas cela faire œuvre de tradition, c’est-à-dire de transmission ?

Sainte et grande semaine à toutes et à tous.

En la fête des Rameaux 2021.
François Meusnier

 

[1] Delphine HORVILLEUR, Comment les rabbins font les enfants. biblio essais. p 89

[2] Cardinal Mario GRECH, Interview sur civiltacattolica.com, oct 2020. La citation complète est la suivante : « La grande Église communautaire est composée de petites Églises qui se rassemblent dans des maisons. Si l’Église domestique échoue, l’Église ne peut pas exister. S’il n’y a pas d’Église domestique, l’Église n’a pas d’avenir ! L’Église domestique est la clé qui ouvre des horizons d’espérance » ! Texte en entier ICI

[3] Sylvain BRISON, L’Eglise et sa pratique face à la crise sanitaire :  les nouveaux défis d’une ecclesiologie politique ?  colloque de l’ISL 2021

[4]Cf. William T. CAVANAUGH, « The Myth of the State as Saviour », dans Theopolical Imagination, p. 9-52 (Amplification de : William T. CAVANAUGH, « Le mythe de l’État comme sauveur », dans Eucharistie- Mondialisation, p. 19-61).