« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 1er dimanche de l’Avent

Chers amis, chers frères et sœurs, voici que nous entrons dans ce temps que nous appelons le « Temps de l’avent ». « Avent » (a.v.e.n.t) : traduction du mot latin « adventus » qui signifie « venue ». Ce qui nous indique d’emblée que nous n’entrons pas dans un temps d’expectative, nous n’entrons pas simplement dans un temps d’attente de quelque chose qui serait en aval de nous. Plutôt, nous nous rendons disponibles à quelque chose qui d’ores et déjà vient vers nous. Peut-être même quelque chose qui d’ores et déjà nous est donné, mais qui attend encore de trouver son achèvement, son accomplissement final.

Si l’on parle de venue, il s’agit bien de la venue du Seigneur. Et c’est bien ce dont nous parle l’Évangile de ce jour, saint Luc au chapitre 21 : « En ce temps là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue. » Et c’est bien de cette venue multiple, multiforme, aux diverses dimensions, dans les divers aspects de notre vie que nous allons parler pendant toutes ces semaines ; c’est cela que nous allons explorer, car elle est l’objet de notre attente, de notre désir. Elle est l’objet de notre espérance, elle est aussi l’objet de notre confession de foi.

Mais pour commencer, il s’agit pour nous vraiment de prendre le départ. Un nouveau départ, même si nous ne repartons pas de zéro. Nous achevons – nous venons d’achever – une année liturgique et notre vie se poursuit avec toutes ses vicissitudes. Néanmoins, ce qu’il nous faut absolument renouveler, au moment où nous sommes, c’est notre disponibilité à ce que le Seigneur veut nous dire et à ce que le Seigneur veut nous donner.

La semaine dernière, vous vous en souvenez, parlant du dimanche où nous célébrions le « Christ, Roi de l’Univers », je rappelais que cette solennité qui conclut le Temps ordinaire est comme la grande doxologie de notre année. Elle est le dimanche qui nous rappelle que notre prière, tout comme notre vie dans son ensemble, a un axe : elle est tournée vers le Père. Du Père nous recevons tout par le Fils, en ce sens il nous précède, il nous fait advenir à l’existence ; et au  Père, nous rendons tout, et nous nous rendons nous-mêmes, encore une fois par le Fils, qui nous fait cheminer, et qui par sa Passion, sa mort et sa résurrection, nous donne déjà part au Salut qu’il apporte au monde, ce salut qui travaille un monde qui poursuit sa course dans l’histoire.

Aussi bien, il nous faut être conscients que, après ce dimanche, nous avons eu toute une semaine, la dernière semaine, la 34e semaine du Temps ordinaire pour — si je puis dire — d’un côté atterrir, nous poser, achever cette année qui se terminait, et déjà nous disposer à commencer un cycle nouveau. Car on n’entre pas dans un cycle nouveau, liturgique, en partant de rien, mais tout de même, il faut y entrer avec une certaine capacité à la nouveauté. Nous ne sommes pas dans la répétition, mais nous sommes dans un perpétuel approfondissement de ce que l’Évangile a à nous proposer.

Probablement que c’est souvent que, lorsque nous recommençons une année liturgique, je cite ce psaume qui dit : « Une fois Dieu a parlé et deux fois j’ai entendu. » Ainsi la Parole de Dieu s’adresse à nous, non pas d’ailleurs en un seul écho, mais en des échos multiples. De la même manière : la Parole de Dieu parle à chacun et chacune d’entre nous d’une manière spécifique, tout comme elle parle à l’assemblée ou aux assemblées des croyants de manière spécifique, au gré des circonstances qui sont les leurs.

Le mot-clé, certainement, au moment d’aborder ce nouveau cycle liturgique, c’est celui d’ « espérance », c’est celui de « désir ». Et on n’y reviendra jamais assez : si nous voulons nourrir notre espérance, si nous voulons affiner notre désir, si nous voulons l’ajuster pour que, in fine, il rencontre le désir de Dieu, alors, il nous faut absolument nous mettre dans des dispositions renouvelées d’écoute. Il nous faut ouvrir notre oreille intérieure, pour qu’elle entende le battement profond de la Parole de Dieu. Cette Parole qui est venue du cœur de Dieu parle au cœur de chacun.

Nous le savons bien, le temps de l’avent, son terme immédiat, ce sera la célébration de la Nativité : moment où nous nous pencherons sur le Verbe fait chair qui se présentera à nous sous les espèces d’un nourrisson. Néanmoins, nous ne perdons pas de vue que dans cette venue-là, dans l’humanité, se joue quelque chose de beaucoup plus large. En réalité, lorsque le Sauveur entre dans l’humanité ce n’est pas pour clore, d’un coup d’un seul, le cycle de l’histoire, c’est plutôt pour y déposer quelque chose, y déposer justement ce germe d’espérance, dont nous avons tant besoin pour avancer.

Lorsqu’on lit cette page de l’évangile selon saint Luc, nous l’entendons pleine des fracas du monde.  Et il vous en souvient peut-être, durant cette dernière semaine du Temps ordinaire, nous avons eu tout le loisir de lire le chapitre 7e — et pas seulement — du livre de Daniel, avec ses visions, ses visons qui sont comme des visions de cauchemar, qui sont comme des visions psychédéliques. Des visions qui à leur manière traduisent ce qui est parfois indescriptible : l’effroi du monde, les fracas du monde, les horreurs du monde … Et lorsque Jésus parle ici, eh bien, une fois encore, il évoque le monde avec ses craquements, un monde qui a véritablement de quoi faire peur. Mais de la même manière que Daniel lui-même dans sa vision voit venir sur les nuées un Fils d’homme, de la même manière Jésus évoque ce Fils d’homme, et là, c’est Lui-même qui vient justement dans ce fracas du monde. Il ne va pas le survoler, il ne va pas tourner autour, il ne va pas simplement en parler, il ne va pas comme l’“exorciser” en se tenant à distance, non !  il va entrer dans ce monde qui sans cesse craque de toute part ; ce monde qui gémit, ce monde qui pleure,  ce monde qui crie.

Nous entendons d’ailleurs en première lecture un passage du livre de Jérémie. Jérémie, le prophète à l’âme sensible, le prophète qui aurait voulu prêcher la paix et le prophète qui, bien malgré lui, contre vraiment tout ce qui était sa nature, a été envoyé vers son peuple pour lui annoncer la catastrophe qui venait. Une catastrophe qui était tout entière contenue dans l’infidélité au Dieu vivant, une sorte d’inconscience qui fait qu’on fait soi-même son malheur, et finalement un beau jour on se trouve livré à l’ennemi, on se trouve livré à celui qui veut vous détruire,  en l’espèce pour le Peuple élu, parce qu’il n’a pas su s’en remettre suffisamment à Dieu. Et pourtant, lorsque l’on entend cette page de Jérémie d’aujourd’hui, on ne penserait pas à tous les oracles de malheur qu’il a pu prononcer. En effet ce que nous entendons tiré de ce livre de Jérémie au chapitre 33e, après bien des oracles de malheur, c’est une promesse de salut.

Ces mots, ils résonnent ensemble : « désir », « espérance », « promesse », « salut ». Et comme je l’ai déjà dit, en parlant de promesses, ce ne sont pas simplement des promesses pour des lendemains, des surlendemains…. Il y a de la promesse quelque chose qui est déjà donné. À vrai dire il n’y a pas quelque chose, il y a plutôt quelqu’un. Et lorsque nous écoutons la Parole de la Première Alliance pour commencer, nous savons bien que c’est le Salut de Dieu qui est déjà en chemin vers le cœur des croyants. Saint Jean le Baptiste le dira à sa manière, lui qui est la dernière figure des prophètes de la Première Alliance. Il dira bien que le Salut de Dieu s’avance, non pas seulement dans les paroles, les faits et gestes des prophètes, mais aussi le Salut s’avance dans Celui que les prophètes ont annoncé et que lui-même, Jean, pourra bientôt désigner.

Alors frères et sœurs,  en entrant dans cette nouvelle année liturgique, ce dont il est premièrement question pour nous, c’est d’habiter notre monde tel qu’il est. Et ces jours-ci, nous voyons à la télévision ces malheureuses personnes qui trouvent la mort, alors même qu’elles cherchent la liberté, entre les rivages de France et les rivages de l’Angleterre ; nous entendons, parler de ces catastrophes naturelles ; nous sommes toujours aux prises avec ce virus et ses variants qui maintiennent dans une forme d’intranquillité tous les pays et la planète entière, de telle sorte que oui, nous pouvons être traversés par l’inquiétude. Justement, c’est dans cette vie-là que le Seigneur vient. Non pas la vie rêvée mais la vie vécue, non pas la vie fantasmée mais la vie réelle, celle que nous connaissons. Et outre cela, outre ces malheurs du monde, ces craquements du monde comme je l’ai dit, il y a aussi la vie de notre propre cœur ; notre propre chemin de foi avec le Seigneur, avec nos frères et sœurs ; il y a notre quête de Dieu – pour certains, c’est plutôt une quête de sens – peu importe les mots, l’important, c’est d’être en chemin les uns aves les autres. Et quant à nous, il va s’agir pour nous, croyants, disciples du Seigneur, de nous disposer à recevoir de nouveau la lumière de la nuit de Noël si apparentée à la lumière de la nuit de Pâques.

Le Seigneur nous invite à la vigilance. Et saint Paul dans la deuxième lecture que nous entendons, tirée de la première aux Thessaloniciens, nous invite à habiter ce monde autant que nous le pouvons avec « un amour — dit-il — de plus en plus intense et débordant. » C’est cela qui fera que nous serons prêts pour la venue du Seigneur, c’est cela surtout qui fait que, à chaque jour qui passe, nous vivons de cette venue déjà présente, déjà donnée, mais qui ne demande qu’à s’installer de mieux en mieux et de plus en plus profondément dans nos existences, dans l’existence de nos sociétés et dans la vie du monde tout entier.

Frère et sœurs, nous allons faire ensemble ce chemin de l’avent : quatre dimanches avant de célébrer l’Incarnation du Sauveur. Alors aujourd’hui, je nous propose de laisser simplement résonner ces mots que j’ai déjà évoqués et mis en résonance les uns avec les autres : espérance, désir, promesse, salut. Nous pouvons les décliner à l’infini, et nous ne manquerons pas de le faire durant ces quelques semaines. Le plus important, c’est d’entendre la Parole du Seigneur qui, plus que jamais, nous invite à nous ressaisir ou à nous mobiliser : « Restez éveillés, et priez en tout temps. » Tout cela pour n’avoir peur de rien, ne pas avoir peur, ne pas être sidérés ou tétanisés par les effrois de ce monde mais vivre plutôt en présence du Seigneur qui vient comme un vrai Sauveur, au-devant de tout ce qui peut nous faire peur ou de tout ce qui peut nous menacer. Être croyant ce n’est pas être “rêveur”, c’est être croyant.

Et je voudrais avant de conclure, évoquer une image qui est une image forte. Vous savez, la grande crainte que nous pouvons avoir, c’est la crainte de la mort, et je repense aux sœurs de Lazare qui perdent leur frère, et qui se disent : Mais si le Seigneur avait été là, ça ne serait pas arrivé !  Et elles ne manquent pas de le dire au Seigneur, quand il revient vers elles : «  Si tu avais été là, notre frère ne serait pas mort ! » Et la seule question que Jésus pose à Marthe, à Marie, à ceux qui sont là, directement ou indirectement, c’est « Croyez-vous en moi ? »… « Croyez-vous en moi ? »

Laissons-nous nous-mêmes interpeller par le Sauveur qui vient dans le monde, pour nous aider à vivre nos vies telles que nous avons à les vivre, avec toutes les inconnues dont elles sont si riches ; et mobilisons-nous, entrons dans la prière, veillons avec confiance, posons notre acte de foi.

Et déjà, faisons cette prière qui est vraiment celle de l’avent : « Viens Seigneur ! ne tarde pas ! »

AMEN