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La fin de l’Église catholique en France est souvent l’objet de la spéculation d’observateurs. Son effacement progressif dans la vie sociale et la baisse de la pratique religieuse tendent à annoncer sa marginalisation. La succession de scandales et la manière souvent désastreuse d’y faire face ajoutent au discrédit. Le temps est bien définitivement révolu de la tutelle de l’Église sur la société. Son monopole a disparu. La modernité, épaulée par la laïcité, a complètement rebattu les cartes, les atouts de l’autorité passant dans d’autres mains.
Les sociologues qui établissent scientifiquement ces tendances lourdes, se muent volontiers en prophètes de la fin du catholicisme. Ils n’envisagent pas un instant que l’Église catholique puisse se réformer afin que demeure vivante en France la foi au Christ Seigneur, ressuscité des morts. Les réflexions voulues par le pape François sur la « synodalité » (pour plus de communion au sein des communautés en chemin) ont pour objectif une telle réforme.
Clergé, paroisses, sacrements : un modèle malmené
La fin d’un modèle d’Église n’est pas la fin de la foi catholique en France. Elle signifie la transformation, ou plutôt la disparition imminente d’une figure familière : une église édifiée autour d’un clergé desservant des paroisses, offrant comme chemin de sanctification, la vie des sacrements.
Il est acquis que ce modèle n’a plus d’avenir. Les chiffres sont têtus et hélas, il faut s’en convaincre, la chute vertigineuse du nombre de prêtres en France signifie la fin de la possibilité même de dispenser les sacrements, donc de tenir le schéma paroissial traditionnel. Le document intermédiaire du Synode entrant dans sa phase continentale après la séquence en diocèse, souligne le défi de « la diminution du nombre de prêtres et de bénévoles qui conduit à l’épuisement » (« Élargis l’espace de ta tente » (Isaïe 54,2), Document de travail pour l’Étape continentale, n° 19). Ceci d’autant qu’on a formé « un clergé à un style de vie sacerdotale et négligé de le former à la coordination pastorale » (n° 83).
Pour bien comprendre les conséquences démographiques de cette régression, il faut se rappeler que toute l’architecture de la vie chrétienne a reposé sur la pratique des sacrements, communion et confession assurant le chemin de la sanctification des fidèles. Le clergé était alors la pièce maîtresse du dispositif. Voici pourquoi ce dispositif déjà malmené va disparaître dans les années qui viennent.
Un système intenable sans renouveau des vocations
En 2010, Henri Tincq proposait un tour d’horizon de la réalité statistique du nombre de prêtres en France : « Pour un prêtre ordonné chaque année, il en meurt huit. Le clergé est un corps anémié, privé de sang neuf et régulier, tombé de 41 000 hommes, au début des années 1960, à 36 000 en 1975, à 20 400 en l’an 2000, à 15 000 aujourd’hui. Un clergé de plus en plus âgé et épuisé : la moitié des prêtres français a plus de 75 ans. Depuis des lustres, des diocèses ruraux n’ont plus ordonné un seul prêtre. Ils fonctionnent avec moins d’une cinquantaine de prêtres, certains, dans des régions très déchristianisées, moins d’une vingtaine. »
S’il existe des différences dans les estimations, il est un fait qu’en moins de 30 ans le nombre de prêtres (diocésains et religieux réunis) a été divisé par deux, pour s’établir autour de 14 000 en 2021. La France perd 700 prêtres par an, soit 7 000 sur 10 ans. Faites-le compte sur ce que sera la situation dans 30 ans. En 2050, sans renouveau des vocations, il sera devenu absolument impossible de faire tenir le système tel qu’il existe aujourd’hui.
Ce déficit structurel emporte non seulement la capacité de gestion matérielle des paroisses même renouvelées, le palliatif des regroupements paroissiaux toujours repris ayant atteint ses limites, mais surtout le modèle de vie spirituelle proposé aux fidèles : la sanctification par la fréquentation régulière des sacrements.
Cette situation ne sera certes pas uniforme sur le territoire français. Les villes resteront moins affectées que les vastes territoires ruraux. Il demeure que « le temps est supérieur à l’espace », comme aime à insister le pape François. Il s’agira donc d’initier des processus qui permettront d’annoncer la foi par l’intensité des expériences sacramentelles et la qualité des rencontres.
Une priorité : la permanence de la foi
La chute du nombre de prêtres oblige donc dès à présent à un effort d’anticipation, non seulement pour repenser l’organisation pratique, mais aussi pour élargir la doctrine. Peut-on continuer d’enseigner un modèle dont la mise en pratique sera de facto impossible demain ? Il y a là un non-dit de la tension entre les fidèles de la messe du missel préconciliaire et la messe des Français (et des Européens) résolument affranchie de la pratique religieuse.
Le témoignage de la permanence de la foi au Christ Sauveur dans tant de pays du monde, privés de prêtres durant des décennies, prouve que la vie chrétienne n’est pas exclusivement dépendante de la vie cultuelle, même si naturellement elle appelle son expression rituelle avec la participation des fidèles. La sanctification par la charité, le service des pauvres, la liturgie familiale et l’étude de la parole de Dieu vont dès lors trouver de nouvelles lettres de noblesse. La foi chrétienne s’exprimera dans le sacrement des frères et sœurs, dont l’humanité sauvée dans le Christ redevient le cœur du témoignage.
La permanence de la foi chrétienne en France doit demeurer la seule préoccupation des évêques, plus que la desserte des paroisses par un clergé fatigué. Soixante ans après l’ouverture du concile Vatican II, l’heure est venue de repenser la manière dont nous organisons la vie des communautés, et surtout repenser la manière de faire vivre une communauté à l’ère du monde numérique.
Il faudra trouver des appuis nouveaux dans les nouvelles technologies pour dialoguer et enseigner, selon des modes inattendus et innovants. Il faudra aussi déterminer de nouveaux modèles de rencontres dans la vie réelle entre les fidèles, pour les fêtes notamment, qui ne seront plus nécessairement exclusivement la célébration de la messe. Des assemblées de chrétiens autour de l’étude de la parole de Dieu, des temps de services et de partages vont remettre au centre la vie réelle des gens. Vie au centre de laquelle se découvre la présence du Seigneur qui se fait chair de notre chair.
Un effort de créativité et d’écoute
La consécration eucharistique n’est pas seulement la consécration du pain et du vin, mais bien la consécration de l’assemblée réunie ; elle fait de cette assemblée le Pain vivant, pénétré de l’Esprit du Seigneur, donné pour consoler et réconforter ceux qui peinent. La messe aura-telle un caractère plus exceptionnel du fait de sa rareté ?
Le futur ne sera pas une continuation linéaire du passé. Pour maîtriser pour une part au moins notre avenir sans subir les effets des mutations contemporaines, il nous revient de produire un effort de créativité et d’écoute. L’écoute de ce que l’Esprit dit à l’Église et aussi de ce que le monde dit à l’Église, conscients que « la Parole de Dieu passe seulement par les paroles humaines » (Benoît XVI, 13 septembre 2008, « Discours au monde la culture », Collège des Bernardins).
Tel est bien l’enjeu de la réflexion synodale. Alors la foi au Seigneur demeurera vivante et joyeuse en France, et l’Église catholique, servante de l’espérance et signe du salut, pourra inspirer la société dans sa quête d’unité et de fraternité.