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Quatrième dimanche de l’Avent, ce sont bientôt les fêtes de Noël, au cours desquelles nous n’irons pas adorer le « petit Jésus », car depuis plus de 2000 ans il a grandi ! Nous célébrerons en revanche le mystère de l’incarnation, paradoxe incroyable : en Jésus, Dieu s’est fait homme ; l’Incréé se fait créature ; l’Immortel se fait mortel. C’est tellement invraisemblable qu’on préfère ne pas y penser et se pencher sur l’Enfance, avec la nostalgie qu’éprouvent des adultes pour leur enfance passée et idéalisée. Mais cela n’est pas Noël !
Cette année, ce dernier dimanche de l’Avent attire notre attention sur une figure quelque peu oubliée de l’enfance de Jésus : Joseph. Si l’Évangile selon Luc s’intéresse particulièrement à Marie – pensons aux épisodes des deux premiers chapitres : l’annonciation, la visitation, le Magnificat, la présentation de Jésus au temple, et finalement Jésus retrouvé dans le temple au milieu des docteurs de la loi –, l’Évangile selon Matthieu, lui, évoque la figure du « père » de Jésus.
Mais son intérêt pour lui est presque platonique : on finit par ne pas savoir grand-chose de Joseph, mais ce qui est dit cache et protège des éléments essentiels de notre foi.
Joseph, le Juste
D’emblée Joseph est « l’homme de Marie », son époux, même s’ils ne vivent pas encore ensemble. C’est la période des fiançailles qui, alors, étaient déjà pratiquement un contrat de mariage.
Mais, au-delà de cela, l’important est que Joseph est « juste » et donc pleinement obéissant à la loi de Dieu. Or le voici devant un profond dilemme : sa femme, sans qu’ils aient eu de relations entre eux, se trouve enceinte. Ainsi Dieu s’est fait homme enfreignant sa propre loi. Mais cela, Joseph ne le sait pas. Pour lui, une seule hypothèse est plausible : Marie a un autre homme ; mais dans son amour pour elle, il ne veut pas la dénoncer comme adultère. Matthieu ne dit rien d’un échange de paroles entre eux, ce qui paraît tout de même invraisemblable. Tout ne s’est probablement pas joué dans le seul cœur de Joseph.
Si l’on admet ce dialogue, la justice de Joseph revêt un autre aspect : non plus le discret renvoi qui respecte sa propre dignité et celle de Marie, mais l’expression de sa foi : si Marie ne connaît pas d’autre homme (ce que Marie peut dire), et si l’enfant ne vient pas de Joseph (ce que Joseph sait), cet enfant vient de Dieu, et alors « comment moi, menuisier de Nazareth (ou de la région de Bethléem), pourrais-je prétendre être son père ? » Dans ce cas, sa justice n’est plus simplement cet acte de gentillesse à l’égard de Marie, mais l’expression de sa foi. Il accueille l’invraisemblable comme vrai ; vraiment la prophétie d’Isaïe, telle que transmise par la version des LXX, se réalise : « La vierge est enceinte, elle enfante un fils qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire Dieu-avec-nous »). D’un tel enfant, Joseph ne se sent pas autorisé à se dire le père.
Joseph, le songeur
Sur ce, Joseph s’endort et devient songeur, comme Joseph, le patriarche de la Genèse, fils de Jacob, comme lui. Non pas un rêve, mais une prémonition, une communication céleste, une révélation, un ordre venu d’En-haut auquel Joseph, le juste, ne saurait se soustraire : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Une fois encore, Dieu intervient et n’agit pas comme prévu.
Dans l’oracle d’Isaïe évoqué par l’évangéliste, qui est aussi la première lecture de ce dimanche de l’Avent, le prophète annonçait une naissance inattendue et menaçante, et avait conclu en disant que la vierge enfantera un fils « qu’elle appellera Emmanuel » (Isaïe 7,14 ; la version grecque des LXX dit en revanche « un fils que toi [Achaz] tu appelleras Emmanuel »). Joseph reçoit un autre ordre : « elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus ». Ce n’est donc pas la mère, mais le « faux » père qui devra donner le nom, et ce nom n’est pas celui qui avait été indiqué, mais « Jésus » (Yeshoua‘, nom hébreu qui signifie « Le Seigneur sauve »). En réalité, toutefois, Matthieu n’oublie pas le nom « Emmanuel » (= Dieu-avec-nous) ; il le garde pour le moment où Jésus, ressuscité et sur le point d’abandonner ses disciples, proclamera : « Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28,29).
Compris entre ses chapitres 1 et 28, l’Évangile selon Matthieu devient l’Évangile de la présence de Dieu dans la personne de Jésus et avec nous jusqu’à la fin des temps.
La parole du silencieux
Dernière observation : Joseph ne dit rien ; les Évangiles ne rapportent aucune parole de Joseph. À la différence de Marie, il est le silencieux par excellence, l’homme du silence, condition que chacun peut interpréter comme bon lui semble.
Toutefois, nous connaissons un mot que Joseph a prononcé ; un mot qui remplira toute sa vie et un mot que les Évangiles nous invitent, en ce temps de Noël, à mettre au cœur de tout ce que nous vivons et faisons. L’évangéliste conclut son récit ainsi : « À son réveil, Joseph fit ce que l’ange lui avait prescrit ». Certes, il prit Marie pour femme, mais surtout il prononça le mot de sa vie : « Jésus » – Dieu sauve, Dieu nous sauve, Dieu est le Dieu du salut. Que cela reste, malgré tout ce que nous voyons et entendons, notre espérance inébranlable !
Fr. Daniel