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Veillez !
Avec ce dimanche, nous entrons dans une nouvelle année liturgique qui nous fera parcourir une fois encore l’Évangile selon Marc ; évangile longtemps méprisé (les commentaires patristiques sont en effet rares) mais qui a été revalorisé depuis le début du siècle dernier : car étant le plus ancien et jugé moins élaboré théologiquement que les autres, on pensait qu’il était le plus à même de nous présenter le Jésus historique que les exégètes s’efforçaient de retrouver derrière les textes des évangiles. C’était une idée fausse qui pourtant a eu le mérite de redonner audience à cet évangile dont cette année nous permettra de redécouvrir les innombrables richesses.
Mais, jouant avec le temps liturgique de l’Avent, nous y entrons non par le début, mais par un extrait de l’extraordinaire chapitre 13 qui a souvent décontenancé les interprètes, au point de le considérer comme un intrus dans l’Évangile, alors qu’il est en réalité le commentaire que Marc propose des événements qui suivront : la passion et résurrection de Jésus.
Ne relire que les derniers versets, comme le fait la liturgie d’aujourd’hui ne permet guère de se faire une idée du sens de ce chapitre 13 qui ne se contente pas d’appeler à veiller. La question est : Quand viendra le Jour du Seigneur et quel en sera le signe ? (Mc 13,4). Jésus répond en deux temps.
Le “Quand ?” : Jésus évoque des catastrophes : faux-prophètes, guerres, tremblements de terre, famines, persécutions (vv. 5-13), Mais quel siècle n’a pas connu l’une ou l’autre de ces catastrophes ? C’est dire que le Jour du Seigneur arrive dans notre quotidien, dans l’ordinaire de nos existences. Jésus évoque enfin “l’Abominable Dévastateur installé là où il faut pas” (v. 14). L’évangéliste pense peut-être à un épisode du IIe s. av. J.-C., quand Antiochius Épiphane IV introduisit la statue de Zeus dans le temple de Jérusalem, ou à quelque épisode du Ier siècle de notre ère, quand un paysan du nom de Phanni, qui n’était pas de famille sacerdotale, fut élu grand-prêtre, ou quand Caligula plaça dans le temps de Jérusalem sa propre statue. Bref, à la question du “Quand ?”, la réponse n’est pas sans précision. Le Jour vient dans notre quotidien, voire même dans notre passé !
Le signe : Jésus évoque des signes cosmiques : le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles se mettront à tomber, les puissances du ciel seront ébranlées. “Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire… et il rassemblera ses élus” (vv. 26-27). Ces signes, qui font en partie référence aux écrits prophétiques (Is 13,10 ; Ez 32,7, Jl 2,12 ; Dn 7,13), étaient ceux qui devaient accompagner les catastrophes finales. Mais dans l’Évangile selon Marc, comme dans les autres Évangiles, ces signes se sont déjà avérés lors de la mort du Christ sur la croix : c’était vers midi et “il y eut des ténèbres sur toute la terre jusque vers trois heures” (Mc 15,33), “le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent” (Mt 27,51).
Le chapitre aboutit ainsi à cette conclusion : le signe de la venue du Jour du Seigneur a été donné lors des événements de Golgotha. Il n’y a donc plus de signe à attendre et les terroristes spirituels qui veulent nous faire croire que telle guerre, telle famine, telle pandémie, est signe de la fin du monde sont des menteurs. Mais, puisque le signe a déjà été donné, nous n’avons plus qu’à être vigilants : les feuilles du figuier ont déjà poussés, ses rameaux sont devenus tendres, le Seigneur se tient à la porte et frappe : heureux celui qui, entendant sa voix, l’accueillera, il sera de ceux auxquels le Seigneur déclare : “Entre dans la joie de ton Seigneur” (Mt 25,21 et 23).
Trois verbes caractérisent la vigilance : “prendre garde”, “rester éveillé” et “veiller”, ce dernier est même répété trois fois. Cela ne signifie pas que nous devons être aux aguets dans l’attente d’un signe, mais que nous devons apprendre à lire dans notre présent les venues, déjà réelles, du Christ dans notre vie. C’est pourquoi le Christ précise, “car vous ne savez pas quand ce sera le moment… si c’est le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin” (vv. 33 et-35).
Jésus évoque ici les quatre “heures” nocturnes de l’horloge romaine. Ce sont les quatre veilles qui rythment la nuit de Gethsémani. Le soir, célébrant la Pâque avec ses disciples, Jésus annonça la trahison de Judas et le reniement de Pierre ; à minuit, Jésus priait et les trois disciples intimes dormaient… c’est aussi le temps où tous les disciples prennent la fuite ; au chant du coq, Pierre, le premier des apôtres renie Jésus ; enfin, le matin est celui où Jésus est livré à Pilate par les autorités religieuses d’Israël (c’est le matin où tout le monde est contre Jésus), mais ce peut être aussi cet autre matin, où Marie de Magdala, seule ou accompagnée d’autres femmes, découvre avec stupéfaction, non seulement que le tombeau est vide, mais qu’“Il est ressuscité” (Mc 16,6).
Revenons maintenant à l’évangile d’aujourd’hui ; il est maintenant riche de sens ; il ne s’agit plus seulement de veiller car on ne sait pas quand le Jour viendra, notre veille se remplit d’une double présence : celle de l’enfant de Noël, aube de notre salut et celle de la croix sur le Golgotha, nuit de notre salut. Et nous sommes mis en garde par l’attitude même des disciples de Jésus – gardons-nous bien de penser que nous sommes meilleurs qu’eux – qui se sont lassés de veiller… au point de renier et de trahir Jésus. Nous sommes également stimulés par la veille attentive de Marie de Magdala et des autres femmes. Elles nous rappellent que veiller ce n’est pas “surveiller” ou “espionner” ; c’est au contraire “veiller sur… prendre soin de”. Non pas tant de Jésus – c’est lui qui veille sur nous – mais prendre soin des frères et sœurs avec qui nous vivons, et veiller à porter ensemble le fardeau de chaque jour. Alors la venue du Seigneur ne sera pas comme celle du voleur, ce sera la visite d’un ami, dont la venue nous remplit de joie.