Quel avenir pour l’Église catholique ?
Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio
Recueilli par Bruno Bouvet et Céline Hoyeau, paru dans La Croix le 1/10/2022
https://www.la-croix.com/Debats/Quel-avenir-lEglise-catholique-2022-09-29-1201235452
Il y a un an, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) révélait l’ampleur des abus sexuels commis dans l’Église en France depuis 1950. Comment celle-ci peut-elle être encore crédible dans la société ?
La crédibilité de l’Église a été remise en cause à plusieurs reprises dans l’histoire contemporaine. On lui a reproché d’être du côté des riches et du patronat, loin des pauvres et des ouvriers ; proche de Vichy en France et non de la Résistance, silencieuse sur la déportation des Juifs… On pourrait continuer la liste. Mais il y a une crise plus profonde dont la crise des abus sexuels est un triste aspect, un phénomène global que j’ai ressenti vraiment le soir de l’incendie de Notre-Dame. Ce n’était pas seulement le monument qui brûlait, mais l’Église tout entière. Et il était significatif que cela se produise à Paris et en France, qui ont été le laboratoire historique d’une rencontre entre Église catholique et modernité. Le concile Vatican II a une dette énorme à l’égard du catholicisme français… et pourtant, c’est en France que l’Église brûlait.
Quelles sont les causes de cette crise ?
La réponse n’est pas simple. Mais la maladie de l’Église n’est pas seulement une affaire catholique. Cette crise est celle du christianisme, de la société laïque, un phénomène européen, marqué par des symptômes différents d’un pays à l’autre : en Italie, la disparition de la Démocratie chrétienne ; en Espagne, le passage brutal d’un catholicisme lié au régime autoritaire de Franco à la sécularisation ; en Allemagne, les scandales d’abus sexuels mais aussi le chemin synodal, qui remet en cause certaines positions du Vatican.
Je m’interroge aussi sur la rupture dans la transmission de la mémoire. Vous me direz que les traditionalistes y ont répondu, mais il s’agit de la réponse minoritaire, sectaire, d’une petite Église nostalgique d’un passé recréé.
Dans votre livre, vous mettez en garde contre l’insignifiance de la pensée de l’Église. À quel moment a-t-elle perdu le contact avec l’histoire ?
Le père Marie-Dominique Chenu (l’un des experts en théologie de Vatican II, NDLR) disait qu’il y avait 86 citations du mot « histoire » dans le Concile, une nouveauté absolue pour les conciles œcuméniques. On parlait des signes des temps, on se posait la question de la politique, du tiers-monde, de la révolution, de la conservation. L’histoire était partout.
Notre époque, au contraire, a perdu le sens de l’histoire. Or regarder l’histoire donne la force d’affronter le futur, à travers la complexité des situations. La leçon de Vatican II, réactivée par le pape François, c’est qu’il faut vivre dans l’histoire. Cela signifie être capable de la lire avant de développer une prophétie, c’est-à-dire une imagination alternative dont notre société, si pauvre en visions, a besoin. Cette vision viendra de l’Écriture et de l’action des chrétiens, dans le service aux pauvres, dans le bénévolat. Jean-Paul II disait que la foi qui ne devient pas culture est une demi-foi. Non une culture académique, mais une culture populaire, une foi pensée et libre, mais aussi émotion et image.
La notion de crise traverse tout votre livre et pourtant, vous refusez la rhétorique du déclin : pourquoi ?
Dans la culture européenne, on parle du déclin de l’Occident depuis des années, et c’est devenu une manière de vivre ou de survivre. Je pense qu’il y a un lien entre le déclin européen et la crise de l’Église. Regardez l’élection de Jorge Bergoglio : son témoignage de catholique latino-américain a été un choc. Ratzinger symbolisait la crise européenne et la crise de l’Église ensemble, tandis que Bergoglio incarne l’énergie d’un catholicisme qui n’était pas lié à l’Europe.
Je ne néglige pas les années Jean-Paul II. On dit que son pontificat a été un marathon d’un quart de siècle et qu’avec sa personnalité, il a couvert, au fond, les faiblesses de l’Église. Wojtyla n’a pas été une illusion. Il a exercé un gouvernement charismatique. Or, pour être pape, il faut être charismatique. Ratzinger ne l’était pas et il a démissionné, semble-t-il avec raison. François, lui, a figuré le miracle, la sortie de la crise. De fait, son message est très important, avec la centralité du pauvre, la fin des valeurs non négociables, le message écologique, l’encyclique Fratelli tutti… Mais lui non plus ne possède pas de baguette magique. Les problèmes sont restés, à commencer par la chute des vocations et le problème du prêtre, que les abus ont mis en évidence.
Où l’Église trouvera-t-elle son salut ?
Je ne suis pas prophète, mais selon moi, l’espérance est dans la prière de l’Église. Il faut revenir à l’Écriture, avoir la capacité de parler aux hommes et femmes de notre temps, intégrer les étrangers, ne pas avoir peur. L’Église de saint Grégoire le Grand, pape et évêque de Rome, a intégré les barbares en créant une civilisation romano-barbare, et aujourd’hui en Italie, nous avons peur de dix barques qui portent des désespérés…
Ma conviction pour l’avenir, c’est que le christianisme ne fait que commencer. L’histoire n’est pas finie si nous découvrons les énergies profondes du christianisme. Concernant la crise des prêtres, par exemple. Peut-on laisser des communautés sans eucharistie ? Ne doit-on pas penser à un autre clergé ? On parle de clergé marié, mais j’insiste plutôt sur un clergé adulte, marié ou pas : non des jeunes qui sortent du séminaire, mais des hommes mûrs, avec une solide expérience de vie. Le christianisme a encore des ressources pour nous et notre Europe.