Frères et sœurs, chers amis, voici qu’aujourd’hui nous célébrons la fête de l’Ascension du Seigneur.
Cette fête constitue un moment très important sur notre chemin du temps pascal, avant même que de rejoindre le « temps de l’Église », le temps que nous appelons parfois « ordinaire ». Ordinaire certes, mais re-qualifié tout de même par tout ce que nous avons vécu et traversé avec le Seigneur dans sa Passion, sa mort et sa résurrection.
Moment important parce que c’est un moment de séparation, un moment où le Seigneur va quitter ceux qu’il avait choisis pour être avec lui, pour marcher avec lui.
Il va quitter ceux qui l’ont suivi, auxquels il s’est exposé et qui ont pour leur part essayé de le décrypter autant qu’ils ont pu au fil de leurs pérégrinations en Galilée, ou bien en montant vers Jérusalem, ou bien en traversant tout ce qu’ils ont pu connaître comme moments à Jérusalem, et singulièrement, les derniers moments.
Il est intéressant d’ailleurs de remarquer que Matthieu qui dit beaucoup de choses dans ces petits versets commence par noter que, même si on est après la résurrection, d’aucuns ici ont des doutes.
Et on les comprend : ils vont retrouver quelqu’un qui est bien celui qu’ils ont connu mais qui est en même temps quelqu’un de différent.
Ils avaient connu celui qui marchait sur le chemin, celui qui a été crucifié, ils l’avaient déserté à ce moment-là, à présent ils le retrouvent ressuscité, c’est à dire non pas relevant du « monde d’avant » – qui est encore d’ailleurs le leur – mais relevant de la Création nouvelle.
De sorte que Jésus va poser ce geste – car c’est un geste – de venir vers eux, et une fois encore de leur parler. On nous dit « Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles …».
Alors que va-t-il dire à tous ses disciples et notamment à ceux qui doutent ? Il va leur dire cette parole que nous recevons « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ».
Qu’est-ce que cela veut dire ?
La vérité c’est que pour la majorité d’entre eux, ils ont quitté et perdu de vue quelqu’un qui était défait par l’injustice et la méchanceté de ce monde, et voilà qu’ils se retrouvent devant quelqu’un qui revendique d’avoir « tout pouvoir au ciel et sur la terre ». Et ce pouvoir qui est sien, il va désirer le leur transmettre, il va le leur transmettre en effet.
Ce pouvoir quel est-il ? Nous le savons, mais il faut le redire toujours : c’est le pouvoir de la justice qui va jusqu’au bout, c’est le pouvoir de cet Innocent qui affronte l’injustice et la méchanceté sans caler, qui laisse le mal à lui-même mais qui ne lui cède pas un pouce de terrain.
Le pouvoir du Seigneur c’est ce pouvoir de l’amour qui va jusqu’au bout. On revient toujours aux paroles de saint Jean « nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » et le Seigneur donne sa vie pour ses amis.
Il règne par cette puissance-là, la puissance uniquement de la justice et de l’amour, une puissance à mains nues. Et lorsqu’il va transmettre cela à ses disciples, ce qu’il va leur dire c’est : « allez ! » Il va les mettre en mouvement. Et il va les envoyer, nous dit-on, vers toutes les nations, pour en faire quoi ? Des disciples.
Autant dire que lorsque ceux qui sont avec le Seigneur là vont aller au-devant de leurs semblables, ils ne vont pas les remplir d’un savoir, même s’ils vont pouvoir leur passer le témoignage de l’expérience qu’ils ont vécue, mais ils vont en faire des disciples, c’est à dire des « apprenants », des gens, en outre, qui vont devenir disciples du Seigneur – pas leurs disciples à eux – disciples du Seigneur pour apprendre toujours de lui.
Le baptême « au nom du Père du Fils et de l’Esprit » ce n’est pas autre chose que d’être plongés, comme dira saint Paul « dans la mort du Christ pour ressusciter avec Lui ». Plonger dans la mort du Christ pour mourir à tout ce qui dans nos vies ne peut que mourir, et ressusciter à la force qui peut renouveler nos vies et nous aider à aller de l’avant.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, après ces quarante jours, c’est pour les disciples un moment de « séparation ». C’est à dire que Jésus s’en va et ils restent tout seuls. Désormais les choses vont se passer sans sa présence physique, comme ils l’ont connue, et comme de quelque manière ils la retrouvent encore là pour un moment.
À vrai dire en célébrant cette fête, il y a quelque chose qui m’est revenu en mémoire et que je vous partage.
J’avais été extrêmement frappé (il vous en souvient, je vous l’avais dit d’ailleurs), lorsque le jour même de Pâques, nous célébrions l’annonce de la résurrection du Seigneur et en deuxième lecture nous avions un passage de l’épître aux Colossiens de Saint Paul.
Et saint Paul disait ceci : « Vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez donc les réalités d’en haut .» De sorte que saint Paul indiquait très clairement que la résurrection ne faisait pas entrer dans on ne sais trop quelle dimension inconnue, mais que la résurrection du Seigneur était quelque chose qui nous était donné pour notre vie ici et maintenant, et au fond lorsque le Christ ressuscitait, il nous entraînait tout de suite avec Lui dans sa résurrection, et il nous engageait dès lors à imprimer à nos existences une logique qui ne soit pas simplement disons terrestre ou simplement mondaine, mais une logique qui ait regard aux « choses d’en haut », on pourrait dire : la justice de Dieu, l’amour de Dieu, la beauté de Dieu, la beauté spirituelle, le souci du prochain, que sais-je… toute chose, tous ingrédients qui ont fait la vie du Seigneur Jésus .
Alors aujourd’hui que nous célébrons ce moment de partition, de séparation de Jésus d’avec les siens, eh bien oui, nous sommes effectivement renvoyés à notre présent, et nous sommes invités à, à la fois à habiter le présent avec le Seigneur Jésus, car s’il n’est plus avec nous comme il l’était avec ses disciples « aux jours de sa chair », il n’en demeure pas moins le compagnon intime de notre vie, le compagnon intime de la vie de l’Église, rejoint dans la prière, rejoint – et de quelle manière ! – dans l’eucharistie; et en même temps, il nous invite à avoir ce regard dont je parlais à l’instant : regard au ciel, c’est à dire regard à tout ce qui fait la beauté de Dieu, tout ce qui fait la beauté du monde ; avoir regard aussi à l’avenir dont la résurrection nous donne la force de l’envisager, avoir regard à tout ce qui est en avant de nous comme puissance d’accomplissement.
Il est assez frappant de voir que – c’est saint Luc en fait qui nous raconte à deux reprises l’ascension du Seigneur – et, comme le dit un commentateur, il y a un premier moment à la fin de l’évangile – à la fin de l’évangile – où l’Ascension nous est racontée.
À ce moment-là, tout est encore centré sur Jésus. L’Ascension racontée par Luc à la fin de son évangile, c’est la fin de la mission de Jésus parmi nous, c’est la fin de son passage parmi nous pour nous porter la Parole de son Père vers lequel il retourne en bénissant d’ailleurs les siens.
Et lorsque Luc nous reparle de l’Ascension au début du livre des Actes, alors là la lumière n’est plus tout à fait la même, là pour le coup le regard se déporte. Bien sûr que l’on regarde encore Jésus, mais surtout le regard va se poser sur cette « communauté », cette communauté qui dorénavant va devoir faire, composer, avec ce que le Seigneur Jésus lui a laissé.
Il y a une chose qui était assez intéressante, on nous dit que c’est quarante jours que le Seigneur s’est donné pour apparaître à ses disciples. Le chiffre 40, nous le connaissons bien, nous le fréquentons chaque année pendant la quarantaine du carême, mais nous savons aussi que c’est un chiffre que nous trouvons dans les 40 années de l’Exode, au livres des Nombres 14,23 ; nous savons aussi que c’est le temps que passe Moïse au Sinaï, on retrouve ça au livre l’Exode au chapitre 24 ; on sait aussi, c’est raconté dans le 4e livre d’Esdras (un livre qu’on ne fréquente pas beaucoup), mais c’est le temps qu’Esdras prend pour réécrire la Loi ; ou bien il y a encore les 40 jours que Jésus passe au désert.
Ce que note le commentateur, c’est que ce chiffre 40, je cite : « c’est la durée symbolique d’une période complète passée avec Dieu ». Je le traduis un peu librement en disant : voilà, le Seigneur a pris ces 40 jours pour parachever tout ce qu’il avait à dire, et au fond ce moment que le Seigneur a passé avec nous, il a été suffisant pour qu’il dise tout ce qu’il avait à dire, pour qu’il fasse tout ce qu’il avait à faire, pour qu’il envoie des signaux à scruter, à interpréter, et maintenant…, eh bien maintenant, c’est à la communauté de prendre le relai, sans chagrin, ni tristesse. Elle n’est pas invitée à regarder vers le ciel ou plutôt à rester les yeux rivés au ciel, elle n’est pas non plus invitée à rester dans l’entre-soi, cloîtrées dans on ne sait quel réduit à Jérusalem, non, il y a un envoi en mission, et la communauté est équipée de tout ce dont elle a besoin pour annoncer l’Évangile du Christ. Et c’est une « mise en route », c’est un « envoi en mission » à quoi nous sommes ici appelés.
Nous avons lu en première lecture le livre des Actes des Apôtres. Je vous invite à relire ce passage. Il y a quand même une question que les Apôtres posent encore à Jésus au moment où il va se séparer d’eux. Ils lui demandent « Seigneur est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » C’est curieux comme ces vieilles questions continuent de les traverser, à vrai dire !
La réponse de Jésus est la suivante : « il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixé de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Le Seigneur vraiment tourne les yeux de ses disciples vers le présent. Il leur dit qu’ils sont « équipés d’une force » pour faire ce qu’il attend d’eux.
Ils sont équipés en fait de la force du Christ qui l’a animé lui-même, qui l’a poussé à accomplir sa propre mission, et lorsqu’on lit l’épître de l’apôtre Paul aux Éphésiens, dans le petit passage qu’on a aujourd’hui au chapitre 1er, il est encore question ici d’énergie, de force, et de vigueur. Je relis juste le début de l’épître de saint Paul aux Ephésiens : « Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles et quelle puissance incomparable il déploie pour nous les croyants. C’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mises en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Toujours saint Paul et cette lecture de l’événement pascal. Et ici cette mention de la « force qui nous est donnée », de cette énergie qui nous est laissée pour que nous puissions vivre nos existences au quotidien avec la force de Dieu.
Je reviens et je re-cite encore ce passage que j’aime bien au chapitre 1er verset 16 de l’épître aux Romains, où saint Paul dit qu’il « ne rougit pas de l’Évangile, il est une puissance de Dieu pour celui ou celle qui croit ». Aussi bien nous sommes nous aussi maintenant avec le Seigneur, mais sous des modalités très différentes de celles qu’ont pu les connaître les disciples lorsqu’on était aux jours de sa chair.
Alors peut-être que nous pouvons maintenant dans cette neuvaine qui nous sépare de la Pentecôte, prier pour vivre avec ce mystère du Christ qui nous passe le relai, qui nous donne sa sagesse, qui nous donne sa lumière, qui nous laisse sa Parole, qui nous donne aussi sa force.
Prions le Seigneur de nous garder aussi près que possible du Christ, le Messie qui meurt par amour et qui ressuscite dans la puissance de l’amour. Considérons que ce jour de l’Ascension c’est à la fois un jour de séparation d’avec le Seigneur, mais c’est aussi un jour de retrouvailles, car c’est bien le Seigneur qui agit au cœur de la vie de chacun, c’est bien le Seigneur qui agit au cœur, à l’intime de la vie de son Église, et c’est aussi le Seigneur qui toujours, toujours, porte un regard de bonté et de bienveillance, de salut, de rédemption, d’amour sur le monde tout entier.
On ne peut jamais oublier ces belles paroles que le Seigneur dit lorsqu’il se tourne vers son Père avant de souffrir pour lui dire « je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Bien sûr, il y a le cercle proche, mais c’est toute l’humanité qui est dans la main du Seigneur et qu’il est venu pour sauver. Il n’est pas venu pour sauver quelques-uns, il a donné son sang pour les disciples, pour son peuple, mais aussi pour la multitude. Eh bien, épousons ce regard du Seigneur et travaillons avec lui, à partager le salut qu’il est venu nous offrir et nous donner.
AMEN