Chers frères et sœurs, chers amis, 25e dimanche du temps de l’Église. Et aujourd’hui, nous entendons un passage du livre de la Sagesse au chapitre 2e, un beau passage aussi de la lettre de saint Jacques au chapitre 3e et ce passage de l’Évangile selon saint Marc au chapitre 9e. C’est par
lui que je voudrais commencer.
Le premier temps de cette page d’Évangile nous renvoie à cette discrétion dont Jésus entoure l’enseignement qu’il peut dispenser sur lui-même, sur son propre Mystère, son propre chemin, son propre devenir ou sa propre réalité. Je parle d’un « enseignement » que Jésus dispense.
Naturellement il ne le fait pas comme nous-mêmes nous le faisons avec le recul de deux mille ans et l’élaboration d’un discours théologique calibré qui cherche ses mots, qui a réussi – peut-être – à comprendre un certain nombre de choses.
Non : Jésus est proche des siens. Il fait passer ce qu’il a à faire passer dans le quotidien qu’il partage avec eux. Et on n’imagine pas aisément Jésus tenant des discours trop ésotériques, même si ça et là il y a des propos sur lesquels on achoppe : Jésus dit des choses difficiles. Par exemple, il dit que sur son chemin, il y aura le fait d’être livré aux mains des hommes (il y aura donc de la trahison), il y a aura de la mort. Rien que cela est difficile à entendre, d’autant que il se présente aussi comme « Celui qui vient au nom du Seigneur », donc comme une puissance de libération et — à maintes reprises dans l’Évangile — comme une puissance de pardon. Et ici, c’est tout le contraire qui est énoncé puisque, au bout du chemin, semble-t-il, il y aura comme une sorte de réduction à néant, en tout cas une mise à mort.
Plus énigmatique encore. Jésus ajoute que, trois jours après sa mort, il « ressuscitera », il se relèvera. Par où il donne à entendre — à supposer que l’on parvienne à comprendre un peu ce qu’il dit — que, finalement, sa mort ne sera pas la fin de l’histoire. Il y aura un après. Mais c’est une parole d’Évangile que nous entendons juste après cet énoncé de Marc : « Les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger. » Autrement dit, avec son premier cercle, Jésus voyage comme un incompris, quelqu’un qui a du mal à se faire comprendre, même et surtout lorsqu’il parle de lui, de son devenir, de la mort qui l’attend et de cet « au-delà de la mort » qu’il envisage aussi.
Reconnaissons-le, le discours n’est pas en termes de mots ou en termes de développements, en termes de réflexion, il n’est pas très compliqué. La perspective de la mort est compréhensible, même si elle est inacceptable. Quant à la perspective du relèvement, de la résurrection, elle, on
peut comprendre le mot « se relever », « se relever d’entre les morts »… de là à mettre précisément quelque chose dessous, c’est quand même beaucoup plus difficile. Est-ce qu’il est si risqué que cela, de se dire que, même nous, aujourd’hui, nous n’en finissons pas de scruter ces deux aspects marquants de la vie de Jésus ? Pas simplement d’un moment de sa vie, mais de l’ensemble de sa vie, parce que toute sa vie, en quelque sorte, se précipite dans ces deux moments : sa mort et sa résurrection.
Nous n’en finissons pas de questionner sa mort, parce que sa mort, c’est la mort du Juste, c’est la mort de l’Innocent. Parce que sa mort, elle est aussi à mettre au nombre des morts les plus atroces qui se pouvait envisager pour lui : la mort par la crucifixion. Mort injuste, mort horrible.
Quelque chose qui nous résiste toujours, la question qui nous vient immanquablement, c’est toujours celle-ci : fallait-il vraiment en passer par-là ? Était-ce vraiment le seul chemin ? Jésus, de quelque manière, nous livre une réponse lorsqu’il dit que : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » Par où il faut comprendre que Jésus a fait de l’humanité pécheresse, des pécheurs et des pécheresses que nous sommes, il en a fait des amis. Il a voulu donner sa vie pour eux et, ce faisant, il a voulu leur regagner leur vie, racheter leur vie, les remettre en possession de leur vraie vie, une vie qui serait non pas marquée par la mort, l’injustice, le péché, mais qui serait plutôt marquée par la vie, la justice, le bien et in fine l’amour.
Je mentionnais tout à l’heure le petit passage de la Sagesse que nous lisons aujourd’hui (au chapitre deuxième). Il vaut la peine de l’évoquer, pourquoi ? Parce que c’est ce que nous lisons lorsque, justement, nous célébrons le mémorial de la Passion, mort et résurrection du Seigneur. Comme on l’a entendu il n’y a pas si longtemps, c’est encore une contemplation du mystère du Serviteur souffrant, du mystère du Juste souffrant, du mystère de l’Innocent qui est traqué, qui est mis à l’épreuve et qui est finalement moqué. Qui n’arrive pas à se soustraire à son sort mais qui est bien plus grand que ce qui lui arrive et bien plus grand aussi que ceux qui, autour de lui, se moquent de lui, sans véritablement parvenir à atteindre au cœur de son Mystère.
Le livre de la Sagesse, lui aussi, envisageait non seulement le moment de la mort, mais aussi le moment d’un relèvement. Évidemment dans le livre de la Sagesse, ici, ce sont des propos que l’on trouve dans la bouche sarcastique de ceux qui sont moqueurs : « Condamnons-le (le Juste) à une mort infâme puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui. » Ces paroles qui remontent à quelque temps pourtant avant Jésus, trouvent un écho assez fort dans le propos de Jésus, aujourd’hui, qui annonce qu’il mourra, mais aussi qu’il se relèvera. Et il se relèvera moyennant l’intervention du Père qui le relève d’entre les morts, même si Jésus possède en lui-même, aussi, une puissance de résurrection.
La conclusion de tout cela, pour ne pas trop tourner en rond, c’est peut-être l’invitation à ne pas nous lasser de nous laisser interroger par ce singulier devenir de Jésus. Singulier devenir qui passe par la mort, qui passe par le relèvement ; une mort qui aura toujours le statut de question et une résurrection, a fortiori, qui aura toujours aussi le statut de question. Même si nous savons, parce que le seigneur nous l’a dit expressément, que sa vie « nul ne la prend, c’est lui qui la donne ». Dans les paroles de la consécration eucharistique, à chaque instant, nous revenons sur le motif du don de la vie de Jésus. « Prenez et mangez, ceci et mon corps. Prenez, buvez, ceci est mon sang, le sang de l’alliance nouvelle, éternelle, versé pour vous, pour la multitude, en rémission des péchés. »
Donc, il y a là un enjeu extrêmement considérable pour nous. L’enjeu c’est notre coeur, l’enjeu c’est notre vie, l’enjeu c’est notre salut. Mais il ne sert à rien d’épouvanter les gens en les menaçant de la damnation éternelle. Mieux vaut les mettre en présence de ou leur faire prendre conscience de leur péché pour qu’ils deviennent responsables, qu’ils reconnaissent, qu’ils s’en remettent au Seigneur, et qu’ils fassent un travail d’amendement, mais surtout qu’ils fassent un travail de confiance, un acte de foi par lequel ils se remettent au Seigneur qui, seul, peut les racheter, les sauver de la mort et les racheter de leur péché.
La résurrection du Seigneur. En concluant cette première partie de méditation, c’est sur cette réalité que je voudrais m’arrêter, pour redire une chose que j’ai dite souvent, mais dont je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment profondément inscrite dans les esprits, à savoir que — pour reprendre les paroles d’un grand théologien, François-Xavier Durrwell — « la résurrection de Jésus [est aussi] Mystère de salut ». C’est-à-dire que ce n’est pas simplement la mort de Jésus qui nous vaut d’être sauvés, pardonnés ; c’est cette puissance de justice et d’amour, cette puissance de miséricorde, pour le dire en un mot, qui est dans le Seigneur Jésus et qui se manifeste dans le don qu’il fait de sa vie, comme elle se manifeste aussi dans cette vie retrouvée, cette plénitude de vie retrouvée — dans un registre tellement nouveau qu’il est inimaginable pour nous, dans la résurrection au matin de Pâques.
Laissons-nous toujours interroger par cette Résurrection du Seigneur Jésus, qui n’est pas simplement l’issue inespérée par laquelle il se tire du mauvais pas (le piège de la mort) dans lequel il s’était laissé enferrer, non, elle fait partie intégrante du geste de salut du Seigneur, l’unique geste de salut : la Passion, mort et résurrection du Seigneur Jésus.
La deuxième partie de cette page d’évangile nous remet devant notre condition de disciple. Être « disciple » comme chacun sait, cela vient du verbe « discere » (« apprendre », « se laisser enseigner »), être disciple donc, c’est donc se mettre à l’école du Seigneur Jésus, et à son école, apprendre à bien situer l’essentiel. Alors que Jésus leur parle de son devenir à lui : de sa mort, de sa résurrection à venir, les disciples, eux, en sont à discuter entre eux pour savoir « qui d’entre eux est le plus grand ». Discussion d’une parfaite vanité, tellement décalée par rapport au don que le Seigneur fait de sa vie, déjà, même au moment où il marche avec eux, où il vit avec eux un compagnonnage dans lequel d’ores et déjà il se donne.
Et aussi bien, vient ce verset que nous gardons en mémoire : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Jésus n’a aucune espèce d’ambition d’être le premier, même s’il est le premier-né, de facto, d’une multitude de frères, lui qui est le propre Fils de Dieu. Il n’a aucune espèce de velléité de prendre la première place. D’ailleurs il ne la prend pas, il choisit d’emblée la dernière. Et donc, lui-même inscrit dans sa vie ce qu’il propose à ses disciples de faire : il prend d’emblée la dernière place. Lui le Juste, lui le Saint, lui l’Innocent, il se rend solidaire des pécheurs. Il marche avec eux, il marche au milieu d’eux, il n’est même pas discernable au milieu d’eux. Et donc, il nous laisse là une invitation et un exemple : ne pas nous préoccuper de ce qui est futile mais choisir l’essentiel : la logique du don, la logique du don dans l’amour, la logique du service.
Ensuite il nous donne à penser que rien n’est trop petit devant Dieu. Lorsqu’il prend un enfant pour le placer au milieu d’eux, au milieu de ses disciples, il prend quelqu’un qui, à l’époque de Jésus, n’avait certes pas la même importance que celle que l’on attribue à l’enfant aujourd’hui.
Aujourd’hui l’enfant est au centre de toute l’attention, à l’époque de Jésus, certes pas. On le considérait peu ou pas. Jésus, lui, le considère, l’accueille, se montre affectueux et le met sous les yeux de ses disciples, en leur disant cette parole, que je rappelle aussi : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci — c’est-à-dire un être sur lequel on ne poserait a priori même pas les yeux — c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » Il vaut la peine de se laisser rejoindre par ce propos de Jésus qui rétablit la hiérarchie de nos priorités.
Je ne m’étends pas trop longtemps sur la lettre de saint Jacques, je l’évoque simplement. Pourquoi ? simplement parce qu’à plusieurs reprises j’ai eu l’occasion de le dire, Jacques peut se montrer très âpre, très dur. On l’entendra sans doute dans les dimanches à venir. Mais les derniers dimanches et aujourd’hui encore, nous l’entendons nous donner des avis très précieux pour notre vie spirituelle. Et je reviens sur une chose que j’ai déjà dite. Il y a en ce moment des réveils religieux, y compris dans notre propre religion et ils sont parfois à l’image de choses que l’on croyait relever du passé : il y a de la menace, il y a de l’imprécation, il y a une très grande insistance sur le péché, il y a une insistance à revendiquer son identité…
Aujourd’hui, ce que nous entendons, ce que nous lisons dans la lettre de Jacques est un peu à rebours de tout cela. Je cite : « Bien-aimés, la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. » Mais surtout ensuite : « Au contraire, la sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix. »
Laissons-nous rejoindre aussi par ces propos de saint Jacques. Ce sont des propos qui sont d’une grande douceur à recevoir. Il faut néanmoins mener un vrai combat, authentiquement spirituel, pour se gagner à cette dynamique évangélique que nous avons à imprimer à nos existences si nous voulons être reconnus comme des artisans de paix, c’est-à-dire comme d’authentiques disciples du Seigneur, d’authentiques frères du Seigneur, notre premier-né ; d’authentiques fils et filles du Dieu de miséricorde.
AMEN