Frères et sœurs, chers amis, nous voici parvenus au 2e dimanche du temps de l’Avent. C’est notre huitième pas sur le chemin que je nous indiquais la semaine dernière.
Pour ne pas les oublier, je souhaite tout de suite une bonne fête aux Nicolas. C’est une fête qui est très importante, ça coïncide cette année avec le 2e dimanche de l’Avent, ce qui fait que sans doute Nicolas va se faire voler un petit peu la vedette par la célébration de l’espérance qui nous conduit vers Noël…
Nous lisons aujourd’hui le début de cet Évangile qui va nous accompagner pendant l’année, l’Évangile selon saint Marc. Peut-être qu’on peut rappeler simplement qu’au fond l’inventeur reconnu de ce genre littéraire qu’on appelle « Évangile », c’est l’auteur du second Évangile qui nous transmet ce qu’il en était de la première catéchèse apostolique. On l’a souvent rattaché à Pierre, mais plus largement ce qu’il nous restitue, c’est ce qui s’est dit, ce qui s’est prêché au tout début de l’ère chrétienne. Nous savons que c’est un Évangile qui est ramassé, c’est un Évangile qui est court, un Évangile qui est dense.
Je voudrais nous inviter aujourd’hui, à nous poser pour entendre ce qu’il nous dit, alors que va entrer en scène très rapidement une figure qui va nous accompagner ce dimanche et le troisième dimanche de l’Avent : Jean le Baptiste, Jean le précurseur. Aujourd’hui, intronisé par Marc et la semaine prochaine nous le retrouverons, mais dans la lumière où le place le quatrième Évangile.
L’Évangile de Marc, c’est très frappant, entre en matière de manière tout à fait abrupte. Ré- entendez ceci : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. » Si je prends le temps d’énumérer chacun de ces mots, c’est que dans ce premier verset, il y a déjà tous les éléments qui nous sont donnés et qui sont même articulés. Ils ne sont pas simplement juxtaposés, ils sont articulés, parce qu’ils sont référés à la personne de Jésus, qui en définitive seule compte, on va le voir, lorsque le Baptiste va s’effacer devant Jésus. Mais enfin, arrêtons-nous peut-être sur chacun de ces mots.
À commencer par le premier : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ,… » « Commencement ». L’Évangile à vrai dire, ne fait-il jamais autre chose que de commencer ? L’Évangile à vrai dire, la prédication de l’Évangile, ne fait-elle jamais autre chose que de commencer ? Ce que je veux dire c’est : est-ce que cette annonce…, est-ce que cette annonce est jamais autre chose que nouvelle ? Elle n’est pas répétitive dans son énoncé et la vie qu’elle entend générer C’est à chaque instant qu’elle doit être régénérée. Aussi bien, l’entrée en matière de Marc nous intéresse beaucoup parce que, évidemment, il nous indique que son Évangile, son récit, ce qu’il va dire a un “commencement”, comme toutes les choses de ce monde ont un “commencement”. Mais peut-être que la manière que je vous propose de l’entendre aussi dans un second écho n’est pas inintéressante, en ce sens que s’agissant de l’Évangile, chaque fois qu’on l’entend proclamer, c’est comme si advenait justement à nos oreilles et dans nos vies, l’annonce qui nous est faite du Royaume qui vient et qui est déjà là, dans une nouveauté absolument perpétuelle, dans une nouveauté qui s’auto-renouvelle à chaque proclamation. Entrée en matière donc, avec référence à un “commencent” car il faut bien commencer quelque part.
Ce qui commence ici (et c’est le deuxième mot) c’est « l’Évangile » (eu-angelion). Le Père Focant qui est un des grands commentateurs de l’Évangile selon saint Marc aime parler de cette « Heureuse annonce » : c’est la même chose que « Évangile » mais peut-être que ça nous dépayse un peu par rapport à un mot « Évangile » que nous connaissons bien. « Heureuse annonce », heureuse proclamation, heureuse proposition, heureux énoncé qui va commencer de se dire. Et cette proclamation, sur quoi va-t-elle porter ? Et là tout de suite, nous touchons le pivot : la proclamation, elle va porter sur ce vers quoi nous marchons, cette humanité qui va s’offrir à nos regards lorsque nous irons à Bethléem. L’humanité de ce Jésus de Nazareth, homme parmi les hommes ; pas n’importe quel homme pourtant puisqu’il va être l’objet de tant et tant de questionnements.
Encore une fois, objet de questionnements en son temps, mais objet de questionnements en notre temps aussi, et dans la vie de chacun d’entre nous. Comme on le dit souvent à propos d’un autre passage évangélique, la vraie question qui fait le ou la disciple, c’est celle que Jésus lui-même pose à chacun/chacune après s’être enquis de ce qu’on dit de lui : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Et j’aime bien la mettre à la deuxième personne : « Et toi, que dis-tu ? Pour toi qui suis-je ? » C’est bien un Jésus de chair et de sang vers lequel nous marchons et que nous allons rencontrer, honorer, vénérer, fêter à Bethléem. Et cette humanité de Jésus, elle va être, nous disent les théologiens dans un mot qui n’est pas très joli : « l’instrument conjoint de notre salut », c’est-à-dire qu’elle va être pour nous, vraiment notre point d’appui. Il vient dans notre humanité pour que notre humanité puisse la rencontrer, la sienne ; pour que ces deux humanités-là se rencontrent et pour qu’elles puissent se comprendre.
Et de toutes les questions que l’on peut se poser à propos de Jésus, voilà que Marc semble tout de suite donner la réponse, et il juxtapose : « l’Évangile de Jésus / Christ », donc Jésus reconnu comme Messie, Jésus reconnu comme objet de cette espérance pluriséculaire du peuple élu, du peuple d’Israël. Et il va même plus loin : « Christ » mais aussi « Fils de Dieu ». Et qu’est-ce que cela veut dire ? Ces deux expressions qui accompagnent toujours la personne de Jésus de Nazareth repérable dans ses contours, ces deux qualifications de « Christ » et de « Fils de Dieu », elles donnent lieu à tellement de malentendus, elles demandent vraiment à être élucidées.
Et ça va être tout l’objet de l’Évangile, et lorsque le Père Focant commente cet Évangile il montre à quel point Jésus, pour conduire les uns et les autres, les unes et les autres, à la vérité de son être sauveur, va passer son temps à les dérouter, à tromper leurs attentes, parfois même à les scandaliser. Certes il est « Christ », mais il n’est peut-être pas tout à fait le Christ qu’on attend ; certes il est « Fils de Dieu », mais dans quel sens cela s’entend-il ? Est-ce que cela s’entend simplement de quelqu’un qui est Fils de Dieu par une honorable vie d’observance des commandements ? Ou bien est-ce que…, est-ce que cela signifie que Jésus est effectivement le propre Fils de Dieu, participant de la vie de cet Être invisible, Celui qu’il appelle son Père ? Les deux mots demandent, et demandent toujours, et jusqu’à maintenant, à être soigneusement explorés. « Jésus », « Christ » et « Fils de Dieu », oui mais, qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Et au seuil de son Évangile, Marc va mettre son lecteur sur un chemin où petit à petit il va falloir en quelque sorte purifier son espérance, purifier les pré-compréhensions, les attentes que l’on a par rapport à Jésus, pour encore une fois, mais on a déjà eu l’occasion de le dire si souvent, laisser Jésus se révéler pour ce qu’il est.
Si l’on avance dans le récit, on a tout de suite une présentation, c’est ce que j’ai appelé « l’intronisation » de cette figure majeure qu’est Jean le Baptiste : « Il est écrit dans Isaïe, le prophète :’’ Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Alors Jean, celui qui baptisait parut dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés.’’ »
Une première notation. Ça peut paraître un détail, mais ce n’est pas inintéressant. Il est intéressant en effet de voir comment Marc en use avec l’Écriture. Il nous dit qu’il y a des choses qui sont écrites dans le prophète Isaïe, alors qu’en réalité cette citation emprunte aussi bien à Exode (23,20), qu’à Malachie (3,1), mais aussi, c’est vrai, à Ésaïe (40,3). Intéressante cette notation de voir comment l’évangéliste n’hésite pas à faire d’un centon de citations, une seule citation imputée à Isaïe, mais pour que faire ? Pour introniser Jean le Baptiste. Et ici Jean le Baptiste va être essentiellement celui qui est une « voix » : il est annonciateur de Celui qui vient ; et dire qu’il crie “dans le désert”, ça ne veut pas dire qu’il crie dans le vide, ça veut dire qu’il crie justement dans ce lieu où le Seigneur toujours se manifeste, où l’Éternel toujours vient se dire, se montrer, se manifester, donner ses paroles. Et son invitation elle va être forte. Adressée à tout le peuple, pas simplement au singulier concret, mais au peuple élu, à cette communion du peuple : une proposition de se convertir, de « préparer les chemins du Seigneur », de « rendre droits ses sentiers » .
Dans la ligne de la tradition prophétique, Jean appelle à la conversion. Son nom signifie johannan : « Dieu fait grâce ». Mais il appelle à la conversion, et on l’a vu il pose un geste ; il pose un geste qui est le baptême d’eau dans lequel il accueille le repentir de tous ceux et celles qui viennent vers lui.
Il y a sans doute un trait qu’il est bon de remarquer : Jean est une figure prophétique, c’est même la fine pointe de toute la tradition prophétique. Tous ses devanciers ont, comme dit Jésus dans un autre passage, voulu voir, ce que désormais on va voir ; voulu entendre, ce que désormais on va entendre – dès lors qu’on sera en présence de Jésus -, mais ils ne l’ont ni vu ni entendu, le moment n’était pas venu.
En fait le « jour de Dieu », c’est lorsque Jésus va se présenter. C’est pour ça que Jean le Baptiste ici, il est dans les traits de Élie, le prophète des derniers temps, le prophète de l’ultime accomplissement, tel que dépeint au deuxième livre des Rois (1, 8). Jean, il est celui qui dit : « Attention, tout ce qui a été promis, tout ce qui est attendu, tout ce qui est espéré, va se réaliser. » Et cela va se réaliser dans la personne de Jésus : « Voici venir derrière moi celui qui est plus fort que moi ; tant et si bien que je ne suis même pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. » Jean le Baptiste, comme toute la tradition prophétique, n’a pas d’autre vocation que de s’effacer devant « celui qui vient au nom du Seigneur » pour tout accomplir. Et si Jean, lui, accueille le repentir du peuple de Dieu dans le geste d’eau, Jésus lui, va apporter le pardon du Seigneur, dans ce qu’on appelle ici un « baptême d’Esprit Saint ». Oui, ce sera cet énigmatique “baptême” que sera pour Jésus, la Passion, la mort, la résurrection et le don de l’Esprit, in fine cet Esprit qui renouvelle la Création tout entière.
Vous relirez cette page de l’Évangile selon saint Marc, une page qui est une entrée en matière abrupte, très carrée ; une page qui est très dense, qui est très scandée ; une page qui nous donne en fait un peu la cadence de cet Évangile où constamment on lit : « et aussitôt …, et aussitôt…, et aussitôt …, » comme si Marc voulait nous mener au pas de charge sur le chemin de la Révélation la plus vraie, la plus pleine et entière du Seigneur Jésus.
En première lecture nous avons un passage du livre du prophète Isaïe, justement au chapitre 40, précisément là où est mentionnée cette voix qui proclame qu’il faut préparer dans le désert les chemins du Seigneur. Ce passage du livre d’Isaïe, c’est ce qu’on appelle « le livre de la Consolation ». Après que des oracles précédents dans le livre d’Isaïe ont été plus imprécatoires, plus des oracles de jugement, voilà que le Seigneur vient apporter la consolation à son peuple. Je ne dis cela que parce que cette partie du livre du livre d’Isaïe (40), on dit qu’elle renvoie à une époque où le peuple est en déportation à Babylone. Même si peut-être une restauration se laisse déjà entrevoir, néanmoins la consolation, la voix de la consolation, s’élève dans un lieu de désolation. C’est une manière de rappeler sans vouloir évidement amoindrir nullement la joie de Noël, qu’il y a dans la démarche que nous faisons, une vraie gravité. Le Seigneur vient dans un monde qui est souffrant, qui est malade ; dans un monde qui a du mal à marcher sur les chemins de la justice et à y demeurer ; mais la voix du prophète retentit comme une voix d’espérance, et le prophète n’apporte pas tout, il annonce celui qui pourra tout prendre sur lui pour renouveler l’être profond de l’homme, comme l’être profond de la Création.
Aujourd’hui, contentons-nous de laisser résonner cette voix, et comme je le faisais tout à l’heure pour la question que Jésus pose à chacun de ses disciples, à chacune de ses disciples : « Et toi que dis-tu ? Pour toi, qui suis-je ? » Eh bien, mettons ce que vous pouvons mettre à la seconde personne, pour que le Seigneur dise à chacun : « Prépare les chemins du Seigneur, rends droits ses sentiers, laisse-toi approcher, toucher par la Parole du Seigneur, laisse-toi approcher toucher par la parole du prophète, du baptiseur, du précurseur, qui annonce Celui qui vient : Jésus, l’enfant de Bethléem, l’homme de Nazareth, celui que l’on appelle Christ, celui qui est Fils de Dieu, et qui avec ce qu’il est, tel qu’il se révèle, vient nous apporter le salut et la consolation de Dieu dans l’amour. »
AMEN