« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie 2ème dimanche de Pâques (Jean 20, 19-29)

>> Ecouter ci-dessus l’homélie du 2ème dimanche de Pâques
>> Télécharger l’homélie en version PDF ICI


Chers frères et sœurs,
Chers amis,

Aujourd’hui encore la Résurrection du Christ nous est proclamée.
Et elle l’est comme au premier jour, comme dimanche dernier lorsque nous célébrions le grand et saint jour de Pâques.
Et il en sera ainsi au long de ces sept dimanches qui vont se succéder et baliser le temps dit « pascal ».
C’est un temps particulier, temps spécifique de la première annonce et qui nous est donné pour que, le plus simplement possible, nous nous laissions rejoindre par cette surprenante nouvelle : « Christ est ressuscité! ».

Je sais bien que c’est une précision que l’on fait tout le temps, mais elle me semble malgré tout pertinente : tous ces dimanches à venir sont bien dimanches “ de pâques ”, et non pas des dimanches ‘’ après Pâques’’.
En effet, ces temps et ces moments ne jalonnent pas un éloignement du moment originel, comme si Pâques allait disparaître dans la brume du souvenir d’un jour tout particulièrement heureux.
Ces temps et ces moments ne sont pas davantage comme une espèce de sur-place qui refuserait, au contraire, de quitter ledit “jour heureux et béni”.
Ces temps et ces moments sont inscrits dans le temps réel de nos vies, un temps qui, nécessairement passe, mais qui nous offre cette possibilité de garder la mémoire de ce qui a été vécu, de l’actualiser même, en se le racontant encore et encore, en revenant sur la manière dont l’ont vécu les premiers témoins : cette semaine de l’octave qui vient de s’achever, que nous achevons aujourd’hui, nous avons chaque jour, passé un peu de temps à relire des pages d’évangiles qui nous remettaient en présence de l’expérience des femmes au tombeau, des disciples d’Emmaüs, des apôtres retrouvant le Seigneur après sa résurrection…

Pour le dire avec d’autres mots, le temps qui s’est ouvert et où nous allons demeurer, demeurer un peu, c’est un temps privilégié de ce que nous appelons au fond l’anamnèse, un temps privilégié d’anamnèse, de mémoire vive, mémoire vive de ce qui s’est passé après les jours de la passion ” (pour reprendre les mots que nous avons entendus justement au jour de Pâques).

Après que l’on a lu la semaine dernière, vous vous en souvenez, cette page où Pierre et le disciple que Jésus aimait courent au tombeau après que Marie-Madeleine, le premier témoin, leur a signalé la disparition du corps de Jésus, nous retrouvons aujourd’hui cette page célèbre de la rencontre entre Jésus ressuscité et Thomas.
De cette page, qui est aussi extrêmement riche, je ne retiendrai en fait que deux choses.
La première c’est ce par quoi Thomas nous ressemble (à moins que ce ne soit par quoi nous ressemblons à Thomas !) – ce en quoi en quelque sorte il est notre “jumeau ”.
La deuxième chose, ce sera ce par quoi justement nous ne lui ressemblons pas.

La première chose. Thomas, on le sait, a manqué une première manifestation de Jésus qui a, au demeurant, été l’occasion d’une sorte de prélude à la pentecôte, lorsque Jésus a répandu son souffle sur les disciples en vue de la mission.
Lorsque les disciples en question retrouvent Thomas, ils lui font part de ce qu’ils ont vécu, et Thomas a la réaction la plus habituelle dans ce cas : Il refuse d’ajouter foi à ce qu’on lui raconte. On l’a vu à maintes reprises cette semaine : ce que l’annonce de la résurrection suscite en premier lieu, c’est le scepticisme, c’est plutôt la peur, c’est plutôt le refus.
Il me revient en mémoire simplement la finale de l’Évangile selon saint Marc qu’on a lue pas plus tard qu’hier, samedi de Pâques, et c’est assez éloquent.
Au vrai, lorsque Thomas se récrie, au fond qu’est-ce qu’il demande, en fait il ne demande pas autre chose que d’être traité comme tous les autres l’ont été.
Après tout lorsque Jésus vient vers eux personne ne lui demande rien, c’est Lui, de son propre mouvement semble-t-il, qui leur montre ses plaies, ses mains, son côté. Et c’est sans doute bien pour cela que Saint Jean nous le met en scène comme il le fait.
C’est par là que Thomas nous ressemble : il reçoit connaissance de la résurrection d’abord par l’annonce que lui en font ceux et celles qui en ont été témoins.
De même que nous, au moment qui est le nôtre, nous recevons aussi connaissance de cette même résurrection, de la même manière, par une annonce. Par là, oui, Thomas et nous, nous sommes au même régime. Certes, il aura, lui, l’occasion de rencontrer le ressuscité quand même huit jours plus tard.
Mais dans l’écrin de cette rencontre huit jours plus tard, se trouvera une béatitude, une grande béatitude et que nous recevons pour nous-mêmes : « Heureux ceux (et celles) qui croient sans avoir vu ». C’est bien l’annonce du ressuscité qui sollicite notre réponse de foi, l’“AMEN” de notre foi.

Mais quand même très vite, nous nous différencions de Thomas, car enfin il revient à chacun de faire son chemin propre.
En effet, si les conditions de notre acquiescement ressemblent beaucoup à ce que furent les siennes ; si nos résistances peuvent aussi ressembler- et peut être beaucoup -, à ce que furent les résistances de Thomas, dès que nous faisons nôtre la confession du Ressuscité, alors nous commençons un chemin de foi tout personnel.
Ce chemin bien sûr, nous l’inscrivons dans la vie du corps de l’Église à laquelle nous appartenons, nous ne cheminons pas tout seuls, mais il revient à chacun et à chacune de donner une réponse personnelle, et de plus en plus personnelle, à l’invitation à croire.
Cette réponse « de plus en plus personnelle » ce n’est pas une réponse simplement qui gagne en intensité ou en ferveur. C’est aussi une réponse de plus en plus personnalisée qui fait que nous ne confessons pas la résurrection comme une réalité abstraite, comme un évènement tout extérieur, comme une généralité lointaine, peut-être même tout simplement comme un dogme.
Non, nous confessons la résurrection bel et bien comme quelque chose qui affecte toute notre vie et toute notre personne selon ce que nous sommes, pour autant qu’il y a en chacun, chacune d’entre nous des freins à notre acte d’exister, à notre capacité d’aimer, il y a des pesanteurs, des lenteurs, il y a des puissances de morts ou des puissances de ce que j’appelle de “moindre vie” qui nous grèvent.
Alors ce dont il est question, c’est de se laisser rejoindre par cette puissance de résurrection qui va contrer tout cela, qui va élargir, embellir, étayer notre acte d’exister ; ce dont il va s’agir ici c’est de laisser résonner la parole du Seigneur qui veut « que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance ». Au sens fort : la résurrection du Seigneur, elle est pour tous, et elle est pour chacun, chacune ; POUR chacun, chacune.

Au fond, si je repense à ce que citait Olivier Clément, le grand théologien orthodoxe, d’un certain Isaac le Syrien, il ne s’agit pas d’autre chose que de se rendre sensible à la résurrection, – se rendre sensible à la résurrection – se rendre sensible à cette puissance de vie qui nous est offerte.
Ce dont il est question c’est de se laisser rejoindre par ce mystère que l’on ne comprend ni en une seule fois, ni en plusieurs fois, mais au long d’une longue fréquentation de cette heureuse annonce : « Christ est ressuscité ! »
Alors si on essaye de chercher ce que ça peut signifier, je crois qu’on peut utilement repenser aux rencontres de Jésus dont nous avons été témoins durant le carême. Nous pouvons repenser à la rencontre avec la Samaritaine, avec l’aveugle-né, avec Marthe, avec Marie, d’une certaine manière aussi avec Lazare.

Que signifie la résurrection lorsque ma quête spirituelle ne sait plus trop ou elle va, ou bien lorsque les liens qui font ma vie ne sont pas assez harmonieux ?
Que signifie la résurrection lorsque je suis dans le noir dans ma vie et parfois dans ma foi ?
Que signifie la résurrection lorsque, comme Marthe et Marie, la mort vient endeuiller mon âme et me voler ceux ou celles que j’aime ?
Et on pourrait décliner, chacun, chacune selon son tempérament, selon son ou ses expériences au fil du temps et de l’existence…, décliner pour que cette puissance de résurrection se fasse à chaque pas que l’on fait dans la vie, peut-être plus concrète ; qu’elle jette une lumière, qu’elle sème une vie dans les moments que nous vivons de plus difficiles, de moins évidents.

Je sens bien en vous en parlant, qu’on cherche toujours ses mots pour parler de la résurrection, on cherche les mots pour se le formuler à soi-même, on les cherche aussi quand on essaye de les partager avec d’autres.
Alors j’ai envie de vous dire :  qu’on ne s’y trompe pas cependant, la résurrection ne cesse de nous interroger.
Elle nous accompagne chemin faisant comme une proclamation qui toujours nous déconcerte. Elle nous remet sans cesse devant notre vocation à « vivre en ressuscités » (comme disait saint Paul) et cela nous est réellement comme une question, mais comme une question lumineuse : « vivre en ressuscité, quest ce que cela peut vouloir dire pour moi, maintenant ? »

Frères et sœurs, chers amis, ceux et celles qui composent le corps du Christ ressuscité, l’Église de Dieu, sont ceux et celles qui cheminent en portant tout à la fois l’heureuse annonce et leurs questionnements (au pluriel). L’important c’est que le questionnement, ou bien les pesanteurs de la vie, n’éteignent pas l’heureuse annonce, mais qu’au contraire l’Heureuse annonce nous aide à habiter nos questionnements, nos doutes parfois ou nos douleurs pour que la lumière, la vie et l’amour aient toujours le dernier mot.

Un mot important apparaît encore dans cette page d’Évangile, c’est la salutation propre du Ressuscité. Lorsqu’il vient vers les siens, et on l’a vu pratiquement d’entrée de jeu dans la page d’évangile que nous avons lue, lorsqu’il vient vers les siens, lui qui a traversé tout refus, toute souffrance, et toute mort, il dit : « La Paix soit avec vous ». C’est le Shalom que le Christ nous offre, l’intégrité de notre être, la possession pacifique, lumineuse, de l’invitation à vivre, et à vivre pleinement dans l’amitié avec le Seigneur et dans l’amitié avec nos frères et sœurs.
Et je pense toujours quand je dis « frères et sœurs » bien sûr, aux croyants, à ceux et celles qui partagent notre foi, mais je partage aussi avec tous ceux qui sont hors les murs et vers qui nous essayons d’aller et nous devons aller en toute fraternité.

Alors frères et sœurs, accueillons cette paix qui nous est offerte, accueillons-la tous ensemble, en Église, dans une grande communion de foi, d’amitié. Accueillons-la aussi chacun, chacune, pour notre part. Que cette paix entre dans notre vie et dans tous les aspects de notre vie. Cette paix, accueillons-la et partageons-la.

Notre mission c’est cela : partager la paix que le Ressuscité nous apporte.

A tous et à toutes, un très très beau, lumineux, fervent et fécond temps pascal !
De tout cœur.
AMEN
ALLELUIA !

Frère GH. Masson
Voir la biographie du fr. GH. Masson