« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – Christ Roi de l’univers – A

Frères et sœurs, chers amis, nous voici donc parvenus au terme de notre année liturgique même si la semaine qui s’ouvre sera encore du Temps Ordinaire, le dimanche que nous célébrons, 34e dimanche du Temps Ordinaire, conclut notre cycle. Il se trouve que c’est un jour de fête et qu’il porte une titulature bien spécifique : c’est aujourd’hui aussi la solennité du « Christ Roi de l’Univers ». Il est toujours intéressant de regarder quelles sont les titulatures que l’on donne aux jours particuliers.

Juste pour mémoire mais cela nous conduira assez vite à la première chose sur laquelle je veux m’arrêter, juste pour mémoire, le souvenir de la création de cette fête en 1925. À la vérité à l’époque, parmi quelques autres motifs, ce que le pape Pie XI voulait instaurer, c’était cette « Royauté de paix » dans un monde qui avait été malmené par des guerres successives et notamment la dernière, la guerre de 14-18 qui avait fait tellement de dégâts et blessé si profondément l’Europe, et même très au-delà de l’Europe. Cela devait laisser des traces jusqu’à aujourd’hui.

Vous vous souvenez peut-être qu’en d’autres temps cette fête était célébrée non pas à la fin de l’année mais un peu avant la Toussaint vers la fin d’octobre. Aujourd’hui la thématique a un tout petit peu glissé, de sorte que ce dimanche survient comme conclusion de l’année liturgique, et que, au Christ Roi on a ajouté cette précision : on célèbre le Christ « Roi de l’Univers ». Et c’est la première chose sur laquelle je voulais m’arrêter. Aujourd’hui, laissons-nous inviter à cette grande contemplation qui nous remet devant le sens de l’Histoire, de la grande Histoire.

La première chose que je voudrais dire, c’est que célébrer ainsi le Christ Roi de l’Univers, Roi du cosmos, c’est se mettre devant Lui, devant sa grandeur, devant ce grand Christ pantocrator pour reprendre la mesure de notre propre petitesse et humilité, dans ce grand univers, dont nous faisons partie, dont nous sommes partie intégrante, qui nous est confié, que malheureusement nous malmenons beaucoup, dont nous usons de manière pas toujours heureuse, à notre profit, sans beaucoup de mesure, sans beaucoup de discernement.

On se souvient et c’est important, il faut le rappeler, que le pape nous a donné quelques années pour méditer sur l’encyclique qu’il avait écrite : Laudato si, qui nous invite justement à envisager le créé dans toute son extension – ce que l’on en connaît, ce que l’on n’en connaît pas encore – l’envisager pour bien s’y situer ; l’envisager pour bien s’y insérer ; l’envisager aussi pour bien le servir, et pas simplement s’en servir. Bien sûr, la Création nous est donnée, et le livre de la Genèse nous le dit, mais elle est nous est donnée pour que nous en usions à bon escient et que nous exercions en son sein une lieutenance, c’est-à-dire que, à la manière dont le Seigneur le ferait, eh bien nous prenions soin de ce qui nous est donné.

Et aujourd’hui lorsqu’on lit cette page de l’évangile selon saint Matthieu il me semble qu’il faut demeurer dans cette perspective de grandeur. Je relis simplement les premiers versets : « En ce temps-là Jésus disait à ses disciples : ‘’ Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ’’» Permettez-moi juste d’insister pour demeurer devant cette scène qui est grandiose, qui nous renvoie à ce Jour que nous ne pouvons nullement anticiper, ce jour où tout sera accompli, et où effectivement sera rendu un « jugement ».

Alors il ne s’agit pas de « jouer à se faire peur » comme peut-être parfois on l’a fait avec cette crainte d’un jugement terrible de Dieu qui tomberait sur nous, il ne s’agit surtout pas de cela ! Mais tout de même il s’agit de se laisser impressionner, et de considérer que cette entrée en matière où Jésus nous met devant son Mystère à Lui et devant le Mystère de Dieu, nous appelle à prendre très au sérieux notre vie tout bonnement, et notre agir, en nous plaçant devant la grandeur de Dieu. Le risque n’est pas petit ne serait-ce que pour effacer les mauvaises représentations du passé, de ne pas prêter suffisamment attention, de ne pas faire suffisamment droit à ce moment de grandeur, que Matthieu nous décrit à la fin de son chapitre 25. Il s’agit bien de se mettre en présence de Dieu, et devant Lui de pondérer nos actes.

Lorsque le Seigneur nous est présenté ici, il se présente vraiment comme « le Seigneur », celui qui a effectivement le pouvoir. J’avais été tout à fait frappé de noter ce qui nous est dit ici : le Fils de l’homme qui vient dans sa gloire, tous les anges avec lui, et il est sur son trône de gloire. Je vous cite juste un petit passage de ce que disait Dom Dupont : « Cette description reporte sur le personnage du Fils de l’homme trois attributs qui dans la tradition biblique et juive qualifient la venue eschatologique de Dieu Lui-même. » Et le Père André Feuillet allait un petit peu plus loin  avec une affirmation nette : « C’est l’affirmation la plus forte de la divinité de Jésus. »  Tout ça pour dire que ce passage de Matthieu n’est pas simplement un petit examen de philanthropie, il nous invite à mesurer notre agir avec une certaine gravité, devant le Mystère même de Dieu qui nous a créés pour que nous fassions le bien. Et d’ailleurs, il est étonnant de voir comment ce Seigneur Jésus pose ou repose à nouveaux frais dans le moment du Jugement le geste qui avait présidé à la Création : la séparation, le fait d’individuer les choses, de les sortir de l’indistinction, de la confusion, de les faire venir à l’être, de les donner à elles-mêmes et de les mettre, on pourrait dire, sur leur orbite, et chacun d’entre nous sur sa trajectoire d’humanité.

Tout cela encore une fois, devant Dieu. Et effectivement ensuite il y a cet « examen » du Roi. Et ici on pourrait dire beaucoup de choses. La première chose, c’est que in fine, au bout du compte, lorsque vient ce moment du jugement final (ça m’a toujours frappé et je vous l’ai certainement déjà dit), il n’y a pas de questions qui soient théoriques sur le Mystère de Dieu. Seule se pose la question de la qualité de notre agir à longueur de vie : Est-ce que, oui ou  non, on a fait ce qui est bien, bon, juste et vrai ? Est-ce que oui ou non, on a posé ces actes qui sont autant d’œuvres de miséricorde : nourrir, donner à boire, accueillir, vêtir, visiter, aller jusqu’au prochain ? Une autre tradition (la tradition biblique) ajoute deux autres bonnes œuvres : secourir la veuve et l’orphelin, et même ensevelir les morts. C’est là-dessus et là-dessus seulement, que va porter l’examen.

Et en même temps, il y a une notation qui va être tout à fait importante pour nous : cet agir bon qui concerne notre agir vis-à-vis de nos frères et sœurs (et on pourrait sans doute pousser jusqu’à notre agir vis-à-vis de la Création, comme je le disais tout à l’heure, selon le soin que nous en prenons), cet agir-là, lorsqu’il atteint nos frères et sœurs, il nous est dit à deux reprises : que lorsqu’il atteint le plus petit, c’est le Seigneur Lui-même qu’il atteint. Ici reparaît ce que nous appelons le sacrement du frère. Ce sacrement du frère qui ne « représente » pas simplement le Christ, mais qui « est » le Christ.  C’est exactement ce que le Seigneur dit ici : « Quand vous l’avez fait à l’un de ces petits, à moi vous l’avez fait. Quand vous ne l’avez pas fait, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » Ce n’est pas que vous ayez manqué d’obéissance à ma Parole, ce n’est pas que vous ayez oublié d’accomplir mes commandements, non, c’est moi que vous n’avez pas servi, c’est moi que vous n’avez pas rencontré, c’est moi que vous n’avez peut-être même pas envisagé, c’est moi que vous n’avez pas reconnu.

Et voilà quelque chose qui nous dit une vérité très profonde sur le ressort de notre agir. Pensons seulement à ceci : lorsque nous nous servons les uns les autres, lorsque nous posons notamment ce geste qui est le geste de tous les services, le geste du lavement des pieds, c’est bien le Seigneur que vous servons.

On peut être étonnés de ce que aussi bien ceux qui sont à droite que ceux qui sont à gauche, ceux qui ont fait le bien et ceux qui ne l’ont pas fait, sont très surpris, soit de l’avoir fait, soit de ne l’avoir pas fait. Et ici c’est sans doute une invitation pour nous à être vraiment présents à notre vie – présents tout bonnement à notre vie -, à investir notre agir, et à rechercher le bien à chaque instant. Il est écrit quelque part que le Seigneur se dote d’un peuple « ardent à faire le bien » et faire le bien sans repos; j’allais presque dire « faire le bien sans y penser », comme dans un mouvement naturel, faire le bien parce qu’il est là, et qu’il attend d’être accompli.

Cette page d’évangile qui nous est donnée, elle ne nous est pas donnée pour nous installer dans la peur du jugement. Elle nous est donnée plutôt pour nous rassurer. La figure grandiose du Juge qui est devant nous, elle a été passée au crible elle-même du jugement : Jésus, le Seigneur, ressuscité, trônant sur son trône de gloire, le Fils de l’homme dans toute sa splendeur, il a comparu au tribunal des hommes, et il n’a pas été reçu, il a été éliminé, il a été broyé, il a été tué. Lorsqu’il ressuscite au-delà de tous ces maux, de tous ces refus, il ressuscite dans l’amour et dans la bonté, et c’est Lui qui juge, c’est Lui qui nous invite à le suivre à la trace, lorsqu’il ouvre pour nous le chemin du bien qu’il est en notre pouvoir de réaliser. Encore une fois, non pas pour nous faire peur, mais plutôt pour nous encourager, et nous encourager aussi à pondérer les choses avec leur réelle gravité, non pas un poids trop grand, mais une réelle gravité et un réel sérieux.

Il est frappant de voir, on l’a dit pas mal ces temps-ci en méditant, il est frappant de voir comment ici comme ailleurs, il est question de la logique du Royaume. Le Royaume qui vient, il est déjà au milieu de nous et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, à chaque fois qu’il y a la moindre manifestation du Royaume, eh bien le Royaume, il est là tout entier. De la même manière, à chaque fois que sont posées les œuvres de miséricorde, à chaque fois que sont posées des œuvres bonnes, c’es la vie éternelle qui fait irruption, et qui n’est pas simplement « acquise » si on peut dire à ceux et celles qui posent des œuvres bonnes, mais qui est offerte, qui s’ouvre, et cette vie éternelle, c’est exactement la logique dans laquelle nous avons été mis lorsque la Création a eu lieu. Nous avons été créés pour le bien, nous avons été créés pour la lumière, nous avons été créés pour l’amour, et nous avons été créés pour l’amour éternel et pour la vie éternelle, c’est à dire la vie et l’amour en plénitude.

Alors la fin de l’évangile nous le dit, il y a tout de même un tri qui se fait : les uns s’en iront au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle. Redisons-nous toujours ceci, qu’on a déjà eu l’occasion de dire : in fine, au bout de toute chose, le jugement appartient à Dieu et n’appartient qu’à Lui. Mais ce Dieu qui nous juge ne nous conduit jamais par la contrainte ou la terreur, en revanche il nous conduit par l’appel (c’est notre « vocation ») : l’appel à faire le bien, c’est-à-dire l’appel à aimer, c’est-à-dire équivalemment l’appel à la sainteté.

En concluant cette année liturgique, vivons ce dimanche en entendant cet appel renouvelé à faire le bien. Le Seigneur Lui-même qui nous y appelle, l’a fait avant nous, et il l’a fait pour nous ; et ce dimanche il est en quelque sorte dans l’année, comme une doxologie. Vous savez la doxologie, c’est cette prière par laquelle nous rendons “gloire au Père et au Fils et à l’Esprit », ou bien cette prière par laquelle nous rendons « gloire au Père par le Fils et dans l’Esprit », c’est une prière que nous entendons à chaque eucharistie. À la fin de l’anaphore, de la grande prière eucharistique, nous entendons parler du Seigneur Jésus : « Par Lui, avec Lui, en Lui, à toi Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur, toute gloire pour les siècles des siècles. » Est-ce que vous entendez comment cette formule qui nous est tellement familière, est tout à fait en phase avec cette image grandiose et les appels à la sainteté qui nous sont proposés dans cette page de l’Évangile selon saint Matthieu au chapitre 25.

Eh bien, faisons aussi de toute notre vie, par nos œuvres bonnes, une doxologie ; qu’en voyant nos bonnes œuvres, les gens rendent gloire à Dieu, qu’ils ne se centrent pas sur nous, mais qu’ils aient regard au Père, de la même manière du reste que Jésus a posé tellement de gestes de bien, n’arrêtant jamais le regard à lui, mais renvoyant toujours à son Père, source de tout amour et source de tout bien.

Oui, vivons ce dimanche, dernier dimanche de l’année, dimanche du Christ Roi de l’Univers, en prenant notre juste place dans le créé, en honorant notre place au sein de l’humanité, en cherchant toujours à faire le bien, rendant par là gloire à Dieu et de nombreux services les uns aux autres.

AMEN