« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 3ème dimanche de l’Avent – B

Chers frères et sœurs, chers amis, nous voici parvenus au 3e dimanche du Temps de l’avent. C’est toujours une étape un peu particulière, dans la mesure où ce dimanche-là retentit de manière très insistante une invitation à se réjouir. Comme une anticipation à la joie que nous laisserons éclater bientôt lorsque nous célèbrerons la Nativité du Sauveur. Cette invitation à la joie ne va pas nécessairement de soi. Par les temps qui courent, c’est peut-être davantage l’inquiétude et une forme de gravité qui nous habiteraient. Et pourtant, cette invitation à la joie, nous sommes vraiment invités à la recevoir et, d’un certain point de vue, ça se comprend assez bien si on repense à ce qu’est substantiellement le temps de l’avent.

On a déjà eu l’occasion d’essayer de le dire — à défaut d’y parvenir parfaitement — d’essayer de caractériser ce temps. Et une première chose que l’on peut faire, c’est dire ce qu’il n’est pas. Il n’est pas une attente, il n’est pas l’attente de quelque chose qui serait encore purement et simplement à venir, en avant de nous. Si on voulait caractériser ce temps, il me semble qu’il vaudrait mieux parler d’un mouvement intérieur. Mouvement intérieur qui nous porte à la rencontre de, non pas quelque chose de purement et simplement à-venir, mais qui est en train aussi de venir à notre rencontre.  Pour le dire encore autrement : nous sommes porteurs d’un désir, d’un désir de salut, d’un désir de sécurité, d’un désir de vie, de vie pleine et entière, et nous faisons constamment l’expérience de l’adversité. C’est-à-dire que ce désir, non seulement il est difficile à réaliser, à exaucer, mais même il est combattu, de quelque manière il est miné voire peut nous sembler compromis par tellement de circonstances de notre existence.

Et ce qui a muri au cœur  du peuple d’ Israël, qui faisait cette même expérience, c’est l’attente d’un Sauveur, le désir d’un Salut. Un Salut qui viendrait nécessairement de Dieu, mais par quel canaux ? cela reste toujours à découvrir. Nous sommes porteurs du même désir de Salut et, surtout, de Sauveur. Et ce Salut, nous savons qu’il n’est pas purement et simplement en aval de nous, il vient déjà à notre rencontre. Dans les conditions historiques qui sont les nôtres nous l’avons déjà reçu en la personne du Seigneur Jésus. Simplement, ce que nous faisons là, concrètement, maintenant, en nous préparant à célébrer ce Noël 2023, ce que nous essayons de faire c’est de nous mettre en condition pour expérimenter de quelque manière à neuf ce Salut perpétuellement donné. Aussi bien, nous réactivons notre espérance, nous nous re-mobilisons intérieurement pour aller au-devant de ce Sauveur qui vient, qui est toujours en train de venir, qui est toujours à l’œuvre dans nos existences.

Ce Sauveur, il a un prophète majeur dans le Nouveau Testament, quelqu’un qui l’annonce. Et vous l’avez bien entendu dans la bouche même de Jean. Jean ne se contente pas d’annoncer un absent qui serait purement et simplement à-venir. Il annonce bel et bien quelqu’un qui est déjà là, mais qui est inaperçu. Et d’ailleurs il y a une crainte : celle d’être pris justement pour Celui qui vient. Aussi quand on lui demande qui il est, il commence par dire qui il n’est pas : il n’est pas le Christ, il n’est pas celui qui apporte le Salut, il n’est pas le Sauveur. Il lui revient seulement de le désigner. Il le désignera comme Lumière, il le désignera comme Celui qui vient porter un baptême autrement plus grand que celui que Jean lui-même peut donner : non pas simplement un baptême d’eau pour la contrition, la rémission des péchés, mais un baptême d’Esprit qui porte nos existences au maximum de leur potentialité.

Ainsi « avent » égale « espérance ». Et l’espérance, en nous, est une vertu très très énergique parce qu’elle nous tourne résolument vers l’avenir, lors même que parfois les circonstances pourraient nous amener à en douter. L’espérance croit que l’avenir est possible, l’espérance croit que l’avenir est à construire et elle entend le construire. Peut-être que vous vous souvenez que dans l’œuvre de Péguy, prise entre la foi et la charité, l’espérance est cette « petite » vertu, cette énergie qui entraîne tout dans son sillage. C’est elle qui a regard à demain, c’est elle qui croit qu’un vrai renouveau peut exister, qu’une renaissance est possible.

Monsieur de Montferrand le disait récemment dans un bel édito consacré à l’œuvre « Astre » de Clara Daguin qui est justement exposée jusqu’à fin janvier dans notre église. Si on regarde cette œuvre, cette magnifique œuvre, elle est d’un bleu profond qui peut nous évoquer l’épaisseur ou la profondeur de notre espérance, et ce bleu profond est passementé de lumière. Ce pourrait être une  assez bonne image de ce que peut être l’espérance : une densité intérieure passementée de lumière, pas une obscurité. Parfois, oui, nous connaissons des chemins qui sont dans le clair-obscur, mais qui, pour autant, ne sont pas dépourvus de toute lumière.

Aujourd’hui, Jean désigne Jésus principalement comme « la Lumière ». On nous le dit : « Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière. » Espérance, profondeur intérieure passementée de la lumière que le Seigneur vient y semer, comme des semences de lumière qu’il nous revient de cultiver et de faire grandir.

Quand on franchit le cap du troisième dimanche du Temps de l’avent, cela veut dire qu’on est bien proches du terme. À la vérité, comme nous célébrons le troisième dimanche le 17 décembre, nous allons entrer dans cette semaine très particulière, la semaine du 17 au 24 décembre. C’est une semaine dite « préparatoire à la fête de la Nativité ». À l’image de notre espérance c’est comme si le Temps de l’avent se densifiait. C’est impossible ici, en quelques minutes, d’évoquer même les grands traits de cette semaine, tant les prières sont riches, tant la poésie en est riche, tant la prophétie est riche, tant les lectures même, les simples lectures de l’Évangile de chaque jour, sont riches. Tout va nous nourrir et nous sur-nourrir jusqu’à la fête de la Nativité.

Alors, comment habiter ces sept jours qui vont venir ? Il me semble que l’on peut faire une suggestion. C’est de vraiment concentrer nos pensées sur la personne de Celui qui vient — sur Celui que vient, la personne de Celui qui vient. En vous disant ça, me revient à l’esprit une formule que j’emprunte à un oratorien, le Père Louis Bouyer, lequel disait que, en définitive « le christianisme comme religion, c’est essentiellement une personne, la personne de Jésus », Celui à qui on peut absolument se fier, Celui à qui on peut absolument se confier. Alors, passer cette semaine en pensant à Lui, à Lui qui vient, mais à Lui qui vient tellement annoncé par l’Écriture que nous avons déjà matière à nous interroger sur ce qu’il est vraiment, ce qu’il est en sa vérité profonde.

D’ailleurs, vous l’avez remarqué, la question que l’on pose à Jean Baptiste : « Mais qui es-tu ? », c’est vraiment la question qui va se poser au sujet de Jésus pendant toute son existence. Qui est-il en vérité ? Alors, nous allons le confesser comme le propre Fils de Dieu ; nous allons le confesser aussi comme notre frère en humanité, non pas une manière de parler mais une réalité reconnue et confessée comme une vérité de foi ; nous allons le confesser aussi comme Celui qui, par l’amour qu’il va déployer, par sa Passion, sa mort et sa résurrection, va en effet nous apporter le Salut. Pas nécessairement les réponses à toutes les questions, ni les réponses à toutes les épreuves, mais quelque chose qui va être sa présence à nos existences dans les bons, les moins bons et parfois les mauvais et les plus durs moments. Penser à la personne du Seigneur, penser à Jésus, à Jésus Christ, à Jésus Fils de Dieu, à Jésus notre Seigneur et notre frère.

Au fond, nous lisons aujourd’hui, dans la deuxième lecture, un passage de la première lettre de Paul apôtre aux Thessaloniciens. Un beau passage où il nous invite à la joie, où il nous invite à la prière sans relâche, à l’action de grâce en toutes circonstances en nous précisant que « c’est la volonté de Dieu à notre égard dans le Christ Jésus » ; il nous invite « à ne pas éteindre l’Esprit » et à accueillir les prophéties, à discerner la valeur de toute chose. Et il conclut en nous disant ceci : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera. » Se garder dans la pensée du Seigneur pour l’accueillir à bras ouverts quand il viendra.

Ce petit passage de saint Paul aux Thessaloniciens m’a fait repenser à un autre passage qui, lui, est emprunté à l’épître aux Philippiens — encore une des grandes épîtres de saint Paul. Dans le dernier chapitre, le chapitre 4 de cette épître, au verset 7, il y a une formule que j’utilise parfois pour la bénédiction : « Que la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence, garde nos cœurs et nos pensées dans le Christ Jésus notre Seigneur. » La phrase de saint Paul est au futur, lorsque je l’utilise pour la bénédiction je la modifie un petit peu, je la paraphrase en quelque sorte. Mais au fond, c’est bien le vœu que j’aurais envie de formuler pour nous, au seuil de cette dernière semaine du Temps de l’avent, si immédiatement préparatoire à la célébration de la Nativité. En écho à l’invitation à la joie et à la prière que saint Paul adresse aux Thessaloniciens, nous adresser à nous, ce vœu :

« Que la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence, garde nos cœurs et nos pensées dans le Christ Jésus, notre Seigneur. »

Il est Celui qui vient, il est Celui que nous allons accueillir bientôt, il est Celui que nous allons commencer de découvrir bientôt, et s’il est une chose que l’on peut dire avec certitude, c’est qu’on en finit jamais de le découvrir. Non pas que l’on sache tout sur lui, ce n’est pas de ça qu’il est question,. Mais on n’en finit jamais de découvrir à quel point lorsqu’il vient jusqu’à nous, lorsqu’il vient au devant de notre désir, au devant de notre espérance, au devant de notre besoin de Salut, nous sommes assurés d’une présence absolument inépuisable. Il vient vers nous pour, véritablement, être avec nous.

La semaine prochaine, le 24, Celui que nous célèbrerons, c’est Jésus « Dieu-sauve », c’est aussi Emmanuel « Dieu-avec-nous ». Dieu avec nous dans la personne de Jésus. Un Jésus qui fait chemin avec toute existence humaine qui veut bien lui donner sa foi, c’est-à-dire lui faire confiance. Il ne fait pas acception des personnes, il accueille chacun, chacune ; chacun, chacune  tel qu’il est, telle qu’elle est, quelles que soient ses équations ; il accueille chacun et il assure chacun d’une fraternité indéfectible. C’est la modalité sous laquelle s’exerce sa seigneurie d’amour.

Alors demeurons dans la pensée de Celui qui vient, laissons-nous, laissons-nous polariser par lui. J’ai envie presque de citer ici saint Augustin qui, à la fin de sa règle, invite ceux et celles pour qui il a écrit, à se laisser aimanter, polariser, par la beauté spirituelle. Eh bien, laissons-nous polariser aimanter, attirer par la douce lumière de Celui qui vient combler tout désir de notre cœur , le Prince de la paix, le propre Fils de Dieu, notre Seigneur et notre frère, Jésus le Christ.

AMEN