« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie 3ème dimanche de Pâques (Luc 24, 13-35)

Frères et sœurs, chers amis, au seuil de cette longue page de l’évangile selon saint Luc, je n’hésite pas à redire ce que je suggérais déjà cette semaine alors que (pour les messes de semaines) nous nous apprêtions à entrer dans le long chapitre 6 de l’évangile selon saint Jean. L’invitation était la suivante : laissons-nous rejoindre par ce que l’évangéliste veut nous dire ! Laissons parler l’Évangile.
Si souvent nous croyons si bien connaître l’histoire qui nous est racontée qu’on ne l’écoute plus vraiment … et nous passons à côté, à cause d’une écoute usée qui est devenue une vraie indisponibilité à la Parole.
En effet, il ne s’agit jamais d’écouter pour la ennième fois la même histoire. Il s’agit toujours de laisser retentir la proclamation évangélique, ici et maintenant, comme à neuf.
Il s’agit de recevoir l’annonce de la résurrection dans toute sa fraîcheur et son potentiel de renouvellement. Or donc, il s’agit d’être attentifs à la Parole, « auditeurs, -trices » de la Parole, ausculteurs même de cette Parole vivante et vivifiante.
Selon une expression que j’ai déjà eu l’occasion d’utiliser, la Parole, chaque fois qu’elle est proclamée, elle fait deux choses : d’une part elle sollicite notre écoute – aussi disponible que possible, mais aussi elle suscite notre parole, et celle-ci se fait d’abord question pour interroger ce qui nous est dit, pour chercher à comprendre ce qui nous est dit.

Ici notre piété se fait écoute. Qui plus est, écoute attentive.

L’enjeu pour nous, dans le temps pascal que nous vivons, il est bien de laisser résonner ce que le Père Focant lorsqu’il commente l’évangile selon saint Marc appelle l ’’’Heureuse Annonce ”, l’Heureux annonce de la résurrection.
Et on a déjà eu l’occasion de dire combien il s’en faut que l’accueil de cette Bonne Nouvelle aille de soi ! Il n’allait pas de soi pour tous ceux et celles qui la recevaient comme « à  fleur d’événement », mais il ne va pas de soi non plus pour nous.
Si l’on veut en recevoir la lumière comme la force, il faut se laisser rejoindre par l’Heureuse annonce, il faut l’accueillir dans notre vie telle qu’elle est. Et comme nous le disions déjà dimanche dernier : cela c’est l’œuvre d’une vie entière de patiente écoute.

Vous aurez noté l’expression : « se laisser rejoindre »… et Il n’est pas question d’autre chose dans la page d’évangile que nous lisons aujourd’hui : deux personnages font route de Jérusalem vers un village qui n’est tout de même pas tout près (deux heures de marche). Et ils parlent, ils parlent de « tout ce qui s’est passé » durant les derniers jours.
Saint Luc en très peu de mots (ceux de l’introduction puis quelques autres un peu plus loin), nous suggère l’espace dans lequel se meuvent ces deux personnes : ils évoluent dans un jour sombre. Ils cheminent avec leurs espérances, leurs espérances mises à mal, ils font (ou peut-être n’arrivent pas à faire) le deuil de leur maître et de leur ami. Le deuil de leur espérance aussi.
Et ce ne sont pas les quelques éléments un peu curieux qui leur ont été rapportés au sujet de la disparition du corps, qui sont de nature à les rasséréner : Jésus est mort et il n’est plus là. Et ils s’en tiennent à ces faits bruts.

Et quant à celui qui les suit et finalement les rejoint, vous aurez remarqué qu’ils ne le reconnaissent pas. Non seulement ils ne le reconnaissent pas mais on nous dit même qu’ils le voient comme un « étranger ». Eux, dont l’évangéliste nous dit cette formule curieuse : « Ils sont ‘’empêchés’’ de le reconnaître. »

Pour autant un dialogue va se nouer. Je souligne juste ce mot de dialogue, c’est un échange de paroles, c’est à dire qu’ils vont s’ouvrir et ils vont confier à cet étranger ce qui les habite, ce qui les dévaste.
Et l’étranger, en retour, va éclairer les ténèbres de leur cœur en même temps qu’il va ouvrir leur esprit à l’intelligence des Écritures. De sorte que, au fur et à mesure que le chemin se fait (c’est une expression très importante ça « que le chemin se fait ») , la présence de ce singulier compagnon de voyage va se faire plus prégnante.
Et c’est bien cette présence qui compte.
Une présence qui s’approche, une présence qui emboîte le pas, et une présence qui finalement fait pièce aux ténèbres du cœur endeuillé.
Une présence aussi qui illumine du dedans toute intelligence de ce qui est leur trésor spirituel à eux : l’Écriture. « Il leur interpréta, dans toute l’Écriture, (c’est à dire la Torah et tous les prophètes, Moïse et tous les prophètes) ce qui le concernait ».
D’ailleurs si vous voulez détailler un peu ce qu’il en est de cette lecture de l’Écriture à la lumière du Mystère du Fils, c’est assez simple, il vous suffit de jeter un coup d’œil aux deux premières lectures de ce jour : dans les deux cas – puisqu’on lit un passage des Actes des Apôtres avec un discours, et puis on lit aussi un passage de la première lettre de Pierre – dans des deux cas eh bien, vous entendrez précisément la voix de Pierre qui s’élève pour parler du Ressuscité, qui s’élève pour annoncer le Ressuscité en citant abondamment des passages du Premier Testament.

Ce dont nous vivons quant à nous aujourd’hui encore, c’est cette même présence du Seigneur ressuscité à son Église. Il faut ajouter que c’est aussi la présence du Seigneur ressuscité au monde par le témoignage aimant « en paroles et en actes » de ceux et celles qui croient au Christ ressuscité.
N’est-elle pas saisissante la conclusion de la rencontre singulière entre les disciples d’Emmaüs et cet l’étranger qui a, tout ensemble et dans un même mouvement, pacifié et enflammé leur cœur. Pacifié parce qu’il a apaisé leur peine et enflammé parce qu’ils ont enfin compris, ils ont enfin vaincu ce qui enténébrait non seulement leur cœur, mais aussi leur intelligence.
Surprenante conclusion parce que : dans l’instant même où ils reconnaissent à qui ils ont affaire, lui-même se soustrait à leur vue. Dans le moment même où il disparaît, les deux comprennent le cheminement intérieur, brûlant, sur lequel il a été leur guide. Et j’aime ici à rappeler les mots du commentaire que fait monsieur de Daniel Marguerat : « Au voyageur visible mais non reconnu succède aussitôt le Ressuscité reconnu mais non visible ».
Et pour nous aujourd’hui oui : confessé, mais non visible. Et enfin sans attendre, ils vont partager leur expérience aux Onze, toujours à Jérusalem et, du coup d’ailleurs, ils vont ajouter leur propre témoignage aux témoignages qui existaient déjà. Ils les avaient d’ailleurs évoqués au début de cette page d’évangile mais sans guère y croire davantage.

À l’image des deux disciples d’Emmaüs, la communauté des croyants n’en finit pas de faire chemin avec le Ressuscité.
Sans cesse, l’espérance de cette communauté est mise à l’épreuve par les épreuves qu’elle traverse. Sans cesse la foi de la communauté est sollicitée pour s’approfondir, s’affermir, se purifier, se reformuler, encore et encore.

Ce qui est décisif et nous le savons bien, c’est de demeurer en chemin avec le Seigneur. C’est aussi de demeurer à l’écoute de ce qu’il a à dire aux cœurs des croyants, tout aussi bien d’ailleurs que ce qu’il a à dire à tout cœur humain ; ce cœur qui est toujours trop « lent à croire » , ce cœur qui est si prompt à se laisser désespérer, ce cœur qui est toujours trop prompt à pâtir de ses faiblesses.

Toute eucharistie que nous célébrons nous rappelle cela : que nous sommes en chemin, car chaque eucharistie nous est un « viatique », c’est à dire que c’est une nourriture pour la route, c’est une nourriture pour le chemin. C’est une nourriture que le Seigneur nous donne lorsqu’il « qu’il nous parle sur la route » (comme diraient les disciples d’Emmaüs) comme aussi, lorsqu’il rompt le pain.
Et lorsqu’il rompt le pain c’est toujours pour activer notre mémoire vive de ce qu’il a fait pour nous. Il rompt le pain pour nous rappeler qu’il est Lui-même, dans sa personne, dans ses mots, dans ses gestes, il est la Parole d’amour que Dieu nous dit et qui va jusqu’au bout sans se dédire.  « Ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous » = c’est moi, qui me donne pour vous, pour le salut, et pour la vie du monde.

Un tout dernier mot si vous permettez : alors que nous avançons dans le temps pascal, alors que nous célébrons le temps pascal, nous attendons encore le moment (et sans doute avec une impatience grandissante !) de nous retrouver assemblés, de nous retrouver tous ensemble, célébrant l’eucharistie. Et je sais bien, je le vis aussi avec tout un chacun, que le temps se fait un peu long.
Juste un vœu : puisse notre impatience être sans tristesse ! Christ est ressuscité !
Qu’au contraire d’ailleurs, ce manque ne soit pas subi, mais qu’il soit plutôt une expérience authentique – Il faut faire feu de tout bois !!! alors saisissons l’occasion !!! Qu’il nous soit l’occasion de faire une expérience authentique, une expérience spirituelle, et l’occasion de renouveler en profondeur notre intelligence de la présence du Seigneur à nos vies, à la vie de chacun, à la vie du monde – car il faut se le redire : il est là et il est bien là !  Comme avec les pèlerins d’Emmaüs, dans les circonstances que nous traversons, il fait route avec nous. Alors eh bien, faisons route avec Lui.

AMEN