Chers frères et sœurs, chers amis, pourquoi aujourd’hui, quatrième et dernier dimanche de
l’Avent, ne pas commencer par réentendre le petit passage de l’épître aux Romains que nous offre
la liturgie de ce jour ?
À Celui qui peut vous rendre forts selon mon Évangile qui proclame Jésus Christ :
révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence, mystère maintenant
manifesté au moyen des écrits prophétiques, selon l’ordre du Dieu éternel, mystère porté
à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi, à Celui qui
seul est sage, Dieu, par Jésus Christ, à lui la gloire pour les siècles. Amen.
C’est une doxologie. C’est un moment où Paul rend gloire à Dieu. Et cette doxologie nous redit
beaucoup de choses. A commencer par la portée universelle de ce qui est advenu en Jésus Christ :
il est venu proclamer un salut non pas « réservé » mais largement donné, dispensé, à qui veut bien
le recevoir. Et nous savons combien cette perspective, sous la plume de saint Paul est significative,
lui qui a longtemps eu tant de mal à franchir les limites de l’élection, les limites d’un salut
« réservé à quelques-uns » … jusqu’à ce qu’il comprenne que le Peuple Élu était – et demeure – le
témoin premier et privilégié d’un don qui le dépasse, tout comme il dépasse d’ailleurs quiconque
le reçoit. C’est que, être récipiendaire du salut révélé et donné dans la Torah et les prophètes, ou
révélé et accompli en Jésus Christ, ne fait de personne le propriétaire de ce salut ou de cet amour,
mais n’en fait au contraire que très simplement et très modestement le témoin ; un témoin qui
n’arrête rien à lui, qui ne reçoit pas pour garder, mais qui reçoit pour partager.
Alors que l’Avent, temps d’attente et de désir arrive à son paroxysme d’intensité et tout bientôt à
son terme (qui est en fait un début, comme on l’a déjà dit et comme il faudra peut-être y revenir),
nous pouvons nous placer dans la lumière de l’exultation de Paul pour vivre aujourd’hui ce qui est,
à la vérité, un moment d’intimité et presque de secret : le dialogue (et comme ce mot est
important ! J’y insiste : le dialogue) entre l’attente fragile et forte de la terre et du monde des
hommes incarnée en Marie, et la réponse puissante et douce du ciel manifestée par une
magnifique figure archangélique. Reprenons cela.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est un dia-logue. Dialogue singulier entre deux
interlocuteurs que tout semble séparer : une jeune fille, rejointe à la fois dans son quotidien, dans
sa maison et au cœur de son espérance (on serait même tenté de mettre à ce mot un « E »
majuscule tant l’enjeu est important), voilà pour le premier interlocuteur ; et l’autre, un être
céleste dont « l’ordinaire » (si l’on peut ainsi parler) est tout d’éternité et céleste – très très au-delà
des contingences de ce monde (à commencer par les plus banales, voire les plus triviales ou, pire
encore et surtout, les plus insupportables [la souffrance, le malheur du monde et la mort] ). Mais
dia-logue il y a. Et je voudrais dire d’abord un dialogue sous le signe de la joie. La première
salutation, la première parole que dit l’ange c’est : « Réjouis-toi Marie ! » – « Réjouis-toi Marie ! »
L’invocation adressée à Sion qui doit se réjouir du salut qui vient jusqu’à elle. Et ensuite après
cette invitation à la joie, à entrer dans la joie du salut de Dieu, il y a ce dialogue libéré de toute
crainte, avec ce qui est quand même comme un refrain de toutes les annonciations que nous
pouvons rencontrer sur notre chemin : « Sois sans crainte ! ». « Sois sans crainte ! » adressé à
Marie ici ; chez Matthieu « Sois sans crainte ! » adressé à Joseph ; « Sois sans crainte ! »adressé à
Zacharie le père de Jean Baptiste dans l’Évangile de Luc, … Combien de fois, au fil des
Annonciations méditées ces jours-ci, avons-nous entendu cette brève et libérante phrase !!!
C’est donc un vrai échange de paroles qui a lieu. La parole divine ne vient pas éteindre la parole
humaine en lui imposant des solutions ou des réponses qui répondraient à tout, tout de suite, dans
l’instant. Au contraire : la parole divine vient au devant des attentes et des espérances de
l’humanité. Comme si elle ne voulait préjuger de rien, mais souhaitait entendre formulé le désir et
l’attente de ceux et celles qui, de tout leur être, tendent au salut. Jésus, au cours de sa vie, ne dirat-il pas si souvent :
« Que veux tu que je fasse pour toi ? ». Et il faut lire là la délicatesse de Dieu
qui ne sauve personne malgré lui ou malgré elle, mais attend d’entendre le désir profond de celui
ou celle qui aspire au salut.
Dialogue encore lorsque l’humain qui accueille la parole divine, loin de s’écraser ou de s’exécuter
platement ou servilement (eu égard à l’incomparable autorité de celui qui parle), s’éveille à la
proposition qui lui est faite, et s’enquiert des chemins que cela va prendre. On repère ici deux
attitudes de fond invisibles à l’œil nu, humain, mais que perce l’ange : soit, comme Zacharie, le
cœur résiste à la proposition de salut, pas sans raison à vrai dire, mais au titre de l’évidence de
tout ce qui s’y oppose (dans le cas de Zacharie : la stérilité, le grand âge…). Toutes choses qui
relèvent de fait, qui sautent aux yeux. C’est alors un fond d’incrédulité qui résiste à la proposition.
Ou bien alors, soit que, comme Marie – c’est un autre cas – le cœur se livre au-delà de toute raison,
et en dépit de toute évidence pour vivre l’aventure du salut dans une confiance éperdue et une
disponibilité incroyable à y prendre non seulement sa place, mais aussi sa part. Toute sa place et
toute sa part… fût-ce – et on peut dire, comme c’est vrai de la Mère de Dieu ! – sous le signe de la
plus grande humilité et discrétion. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Marie a une manière
tout à fait à elle, d’être présente à tout l’Évangile, mais sous les espèces d’une discrétion qui ne
laisse de donner à penser;
On ne peut que noter – car cela répond à une exigence profonde de la Révélation, de la logique de
la Révélation – on ne peut que noter le mouvement naturel de Marie d’entrer comme
naturellement en dialogue avec l’archange. La Révélation suscite en effet, ou devrait toujours
susciter la question ou le questionnement humain. Il n’est jamais question, dans toute l’histoire
sainte qui est la nôtre – et d’abord celle du Peuple Élu — de « recevoir » sans, à son tour, prendre
la parole, sans s’éveiller à ce que le Seigneur veut dire, sans chercher à comprendre le don que
Dieu fait dans sa Parole et son salut. « Comment cela va-t-il se faire ? » demande Marie. Et son
propos n’exprime en rien qu’elle doute de la parole de Celui qui, à travers l’ange s’adresse à elle.
Elle ne doute pas de son Dieu (et tout son Magni&icat en rendra très largement témoignage).
Néanmoins, elle veut entrer dans les vues du Dieu qui l’appelle à prendre sa part dans la
réalisation du Salut, et cela ne va pas, ne peut pas aller sans question … Ce dont il s’agit ici en effet,
c’est une relation d’être à être, de personne à personne : le Très-Haut qui attend que l’humain
s’engage pour marcher comme le faisait Jean le Baptiste sur les chemins de la justice et de la
vérité.
Ce que je relève, c’est qu’on voit que Marie a tout un chemin à faire pour finalement – pour
finalement donner son « Fiat », c’est à dire l’acquiescement, non seulement de son intelligence,
mais aussi en même temps l’implication de toute sa vie… D’emblée, à l’image de l’enfant qui va
prendre forme humaine en son sein, elle se met à l’écoute de son Dieu, car elle est d’abord cela la
Vierge, attentive à la parole, et ensuite elle se fait obéissante à sa volonté. Et comment ne pas
rappeler que dans ce mot de « obéir » il y a encore la trace d’une écoute poussée à l’extrême. Pour
le dire autrement – mais c’est vraiment redire la même chose avec d’autres mots – Marie, elle
entre en consonance avec le dessein d’amour de Dieu sur l’humanité, et elle accepte que la
réalisation de ce dessein aimant passe par elle.
Et je me dis qu’ici, chacun, chacune de nous peut se poser la question de sa propre disponibilité.
Une disponibilité qui est à deux versants : d’une part disponibilité pour accueillir le salut que Dieu
offre à chacun, et que chacun chacune se pose la question de : « que signifie ce salut » pour moi ?
mais aussi – autre versant – eh bien, disponibilité à ce salut que Dieu offre aussi pour les autres,
pour tous les autres, de sorte à s’en faire le témoin, le témoin libéral de quelqu’un qui est et qui
peut être vraiment très généreux avec quelque chose qui ne lui appartient pas puisqu’il l’a reçu par
pure grâce, c’est le don de Dieu, mais qui n’attend que d’être partagé, et très largement partagé.
Parvenus au quatrième dimanche, nous sommes bien près de notre but, et bien près de faire les
tout derniers pas jusqu’à Bethléem. Là, on se l’est souvent dit, tout nous sera donné… mais en
même temps tout restera à découvrir, car à Bethléem ce sera le début seulement de la
manifestation de « Celui qui vient au nom du Seigneur », ce sera Jésus enfant, il y aura encore tant
de chemin à faire avec Lui.
Comme le disait le Père Souletie (doyen de la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris,
qui prêchait cette année l’Avent à la paroisse Saint-Eustache à Paris), au fil de l’Avent le voile se
lève sur le mystère de l’enfant, c’est à dire sur le mystère même de notre humanité. L’humanité de
chacun, l’humanité de chacune, l’humanité tout entière, cette communion d’êtres vivants,
humains, en quête de plus en plus d’humanité accomplie, en quête de sens, en quête de bonheur,
en quête de paix, c’est-à-dire de justice et d’amour. Alors que nous sommes si près du but, ne
relâchons pas notre attente !
Et comme je l’ai fait tous ces derniers temps, je conclus avec vous ces quelques mots par l’antienne
« Ô » de ce jour, que nous chanterons ce soir avant justement le Cantique de la Vierge Marie, le
Magnificat. C’est une antienne en forme d’invocation. Elle dit chaque soir notre désir, notre
impatience même d’accueillir le Seigneur. Et ce soir nous chanterons :
Ô Clé de David,
et sceptre de la maison d’Israël,
Toi qui ouvres et nul ne ferme,
tu fermes et personne n’ouvrira.
Viens Seigneur pour délivrer ceux qui habitent les ténèbres !
Viens Seigneur !
Viens nous sauver !
Oui Seigneur, toi qui es la clé de nos vies, ne tarde pas à venir combler notre désir et nous donner
la plénitude de ta joie !
AMEN