« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 4ème dimanche de l’Avent – B

Chers frères et sœurs, chers amis, ce dimanche 24 décembre, nous célébrons le 4e dimanche du Temps de l’avent. Et les choses sont ainsi faites que la liturgie nous amène à célébrer, le matin de ce dimanche 24, le 4e dimanche de l’avent et ce soir, dès ce soir, nous entrerons dans la solennité de la célébration du Mystère de la Nativité. Et avant d’entrer dans le Mystère, nous nous retrouvons à ce moment où en définitive tout a commencé : ce moment où se vit, effectivement, l’Incarnation, grâce à l’acquiescement de la vierge de Nazareth. Un ange (et même un archange!), Gabriel, vient la visiter. Et celle que l’on décrit dans telle ou telle hymne monastique comme « la Vierge attentive à la Parole » va accueillir ce messager qui vient la visiter, elle, pour lui dire quelle sera sa part dans l’accomplissement du dessein de Dieu.

Une toute première chose que je voudrais noter et sur laquelle je voudrais vraiment attirer notre attention. Le moment de l’Annonciation à Marie, à Nazareth, ce n’est pas simplement un monologue que ferait l’ange à destination de Marie, pour lui indiquer, en quelque sorte, sa « feuille de route ». Non ! c’est un dia-logue, une vraie rencontre entre le porte-parole de Dieu et cette jeune fille, rejointe dans son quotidien pour être sollicitée par le Tout-Puissant. Aussi bien, il est vrai que l’ange est celui qui parle le plus. Pour commencer il invite Marie à ne pas craindre. On pourrait tout aussi bien dire qu’il invite Marie à se réjouir, comme on invite Sion à se réjouir de la venue du salut de Dieu : « Réjouis-toi comblée de grâce ! » « Réjouis-toi Marie car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. »

La première annonce de l’ange, c’est une invitation, tout de suite, à la confiance, par delà les craintes légitimes qui pourraient s’éveiller en elle. Mais néanmoins, lorsque l’ange déploie son discours en présentant ce qui va advenir, on imagine que Marie écoute. Mais Marie n’écoute pas passivement. Elle reçoit le message qui lui est adressé, elle le reçoit pleinement, néanmoins, c’est un message qui pose beaucoup de questions car elle ne voit pas très bien comment tout cela va advenir. Alors elle n’hésite pas à poser simplement la question à l’ange :« Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? »

Il me semble intéressant et important même de noter cet éveil de la Vierge Marie, soucieuse de  comprendre, autant que faire se peut, ce qui lui arrive, ce à quoi elle est appelée, et peut-être – peut-être – essayer de comprendre un peu les chemins que va prendre l’accomplissement de l’œuvre de Dieu par elle. A la question qu’elle pose, l’ange apporte cette réponse : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-haut te prendra sous son ombre… »

On pourrait développer encore, mais tout de même, lorsque j’entends la réponse de l’ange, je me demande ce que Marie a pu en saisir exactement. Ce qu’elle a compris incontestablement c’est que cette œuvre, dans laquelle elle est engagée, est d’abord l’œuvre du Tout-Puissant, l’œuvre de Celui à qui rien n’est impossible, l’œuvre de Celui qui, de toujours à toujours, entend sauver son peuple. Et au fond, cette toute-puissance du Tout-Puissant lui suffit, et elle fait confiance, de sorte que finalement les paroles qu’elle dit, durant ce passage, sont assez brèves, mais elles sont aussi d’une telle densité : d’abord une question : « Comment cela va-t-il se faire … ?» Et ensuite (et enfin), la conclusion du dialogue : « Voici la servante du Seigneur, que tout m’advienne selon ta parole. » C’est le « Fiat » de la Vierge de Nazareth.

Marie, une femme de beaucoup  d’écoute, une femme à l’écoute éveillée. Une femme de peu de mots mais une femme d’engagement complet, une femme qui donne son acquiescement inconditionnel et total à son Dieu qui la sollicite.

Pour vivre cette dernière étape du Temps de l’avent, il nous est bon, non seulement de contempler ce tableau de l’Annonciation, mais d’y entrer aussi et d’essayer d’y trouver tous les détails qui peuvent nous parler de notre propre dialogue avec le ciel pour que le dessein de Dieu nous rejoigne, c’est-à-dire  qu’il entre, bien sûr, dans la vie de l’Église, dans la vie du monde, mais aussi dans la vie de chacun et de chacune d’entre nous, à l’intime.

A vrai dire, en ce dernier dimanche, on peut se dire que les chemins qu’emprunte le Seigneur sont pour beaucoup  conditionnés par notre propre manière de mener les choses. Ainsi de ce que nous rapporte la première lecture qu’on nous a invités à entendre, tirée du deuxième livre de Samuel au chapitre 7. De quelque manière, c’est un des récits fondateurs de la grande Histoire de l’espérance messianique. Et comme on aime à le rappeler, il y a là un moment vraiment étonnant lorsque David, probablement dans un mouvement de piété, compare sa situation à celle de Dieu, de l’Eternel. David a désormais un beau palais, alors que l’Arche de Dieu demeure sous  un abri de toile, et le roi David va se mettre en tête de bâtir à l’Eternel, à l’Arche, une maison digne de Lui, digne de l’Arche d’Alliance. Si dans un premier temps Nathan confirme la valeur de cette intuition, dans un second temps, après une nuit au cours de laquelle Dieu vient vers le prophète, il retourne vers le roi pour lui dire : « Eh bien non ! Non, ce n’est pas une bonne idée parce que tu mets les choses à l’envers. Tu as conçu ce dessein de t’occuper, de prendre soin de Dieu, et tu oublies que c’est inverser les rôles que de faire cela. C’est le Seigneur qui s’occupe de nous et qui mène tout.

Et David de renoncer. Néanmoins, finalement, si ce n’est pas David, ce sera Salomon qui construira le Temple. Mais il nous est bon de noter que le Seigneur ne voulait pas de Temple, d’ailleurs pas plus qu’il n’avait voulu de roi. Mais il compose, il compose avec nous, il en passe en quelque sorte par nos manières d’appréhender les choses. Avec la Vierge Marie les choses, si je puis dire, reprennent le cours que l’Eternel leur souhaite, en ce sens que désormais, l’Arche, la nouvelle Arche d’Alliance, ça va être cet être de chair et de sang, cet être humain qui acquiesce à la sollicitation de Dieu. Et le Verbe va entrer dans notre condition via cette femme, il va s’établir parmi nous, non plus sous un abri de toile, non plus que dans une maison de pierres – si magnifique soit-elle ! -, non, il va s’établir dans notre humanité, dans notre condition d’humanité, dans notre condition de pauvreté, dans notre condition si fragile et friable. C’est là qu’il veut s’établir, c’est là qu’il veut faire chemin avec nous.

Si l’on entend, dans la deuxième lecture, saint Paul, il n’est pas inintéressant que, aujourd’hui, on proclame la toute fin de la relativement longue épître aux Romains, la fin du chapitre 16e, dernier de cette épître aux Romains. En quoi consiste donc cette lecture ? Elle consiste en ce sur quoi je voudrais nous laisser : une doxologie. Si vous lisez ce texte, il vous évoquera immanquablement la doxologie que nous disons tout le temps à la messe, à la fin de la prière eucharistique : « Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu, le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Et saint Paul qui a traité de tellement de sujets vraiment importants dans cette longue épître, conclut par une doxologie. Pourquoi ? parce que toujours tout se conclut dans l’action de grâces, rien ne peut aller au-delà de la prière, rien ne peut aller au-delà du fait de rendre toute gloire à Dieu. Il est aussi simple de vous la relire :

« Frères, à Celui qui peut vous rendre forts selon mon Évangile qui proclame Jésus Christ : révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence, mystère maintenant manifesté au moyen des écrits prophétiques, selon l’ordre du Dieu éternel, mystère porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi, à Celui qui est le seul sage, Dieu, par Jésus Christ, à lui la gloire pour les siècles. Amen. »

Il y aurait tellement de choses à dire sur ce passage. Je retiens simplement ce trait : « révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence, mais maintenant manifesté. »

La Vierge Marie s’est laissée rejoindre dans une écoute attentive, un cœur silencieux, accueillant à la Parole de Dieu, à cette Parole de Dieu : le Verbe qui va prendre chair et vie en elle. J’aime toujours rappeler ce que disait saint Augustin : « La Vierge Marie a conçu dans son âme avant même que de concevoir dans sa chair. » La Vierge Marie est cet être d’accueil, de silence. Un être de disponibilité à ce que le Seigneur attend d’elle.

Peut-être que pour nous-mêmes, aujourd’hui, nous pouvons demander — alors que nous sommes juste au seuil de la célébration du mystère de la manifestation du Seigneur — peut-être que nous pouvons demander de garder vraiment jusqu’au bout, jusqu’au moment où nous commencerons de célébrer Noël, de vraiment, garder un cœur silencieux, un cœur éveillé, un cœur attentif, un cœur  accueillant à la Parole  du Seigneur.

Pendant toute cette semaine chaque jour, avant le Magnificat, nous avons chanté ces grandes antiennes Ô dont chacun sait que la première lettre de chaque phrase prononcée de soir en soir, finit par former un acrostiche : en latin «  ero cras »  : demain je serai là !

Nous avons pris le temps de vivre ce compte à rebours du 17 au 24 décembre, désormais, au seuil du Mystère, nous nous apprêtons à accueillir Celui qui vient. Faisons-nous vraiment tout accueil pour Lui !

AMEN