Nous le disions dimanche dernier, ce dont il est question dans le chapitre 25 de l’évangile selon saint Matthieu (que nous lisons en son entier lors des trois dimanches qui concluent l’année liturgique), c’est le Royaume. Jésus n’a cessé de le promulguer, de l’annoncer, de le manifester, en paroles et en actes.
Il le manifestera encore lors de sa Passion, mort et résurrection. Mais d’ores et déjà il entend interroger ses auditeurs et ses disciples sur le point de savoir où ils en sont par rapport à ce qu’ils ont pu entendre, voir et comprendre de ce « Royaume des cieux » qui appelle l’engagement de toute leur vie.
La parabole des dix vierges disait à quel point le Royaume appelle une vigilance de chaque instant.
À tout moment, il faut être prêt pour lui : prêt pour la moindre de ses manifestations dans des actes de justice ou de bonté ou de consolation ou d’invitation à la joie ; comme prêt aussi à son avènement plein et entier, à son dernier accomplissement.
Du reste, de l’un à l’autre, il n’y a qu’un pas : dès qu’il apparaît, dès qu’il travaille la réalité de ce monde et chacune de nos vies on peut croire le Seigneur qui dit : « Le Royaume de Dieu est au milieu de vous ».
Expression qui se décline : il est au travail en chacun, à l’intime, comme il l’est aussi dans la société des hommes et la création tout entière.
Vigilance et disponibilité sont donc deux maîtres mots si l’on ne veut se rendre étranger à cette réalité vivante du Royaume qui vient, qui même est déjà là.
Aujourd’hui nous entendons une parabole que nous connaissons bien, très bien. Peut-être même trop bien. Et très souvent il m’est arrivé de l’entendre commentée d’une façon qui ne me satisfaisait pas tout à fait.
Et cela au bénéfice d’un malentendu, dû à une sorte de « faux ami » en français : le mot talent.
Dans le texte il s’agit de cette portion de « ses biens » à lui que le Maître confie à des serviteurs. Mais lorsqu’on entend le mot en français on pense plutôt aux « talents » (« la France a un incroyable talent ») c’est à dire aux dons, aux virtualités ou au potentiel de chacun.
De sorte que très souvent tout se passe comme si la parabole nous mettait surtout en présence de nous-mêmes et de notre responsabilité morale par rapport à nos « talents », à nos capacités, notre potentiel (puisque c’est un mot souvent utilisé en l’espèce).
Nul doute qu’il n’y a pas que du faux là dedans : si nous nous trouvons munis de quelque talent, c’est bien pour le faire fructifier pour notre accomplissement et pour le service d’autrui et cela peut bien évidemment participer de l’avènement du Royaume.
Mais il me semble que la parabole nous met bien plutôt en présence de la confiance du Maître qui confie à quelques-uns son propre bien.
À chacun, selon sa capacité, d’en prendre soin mais de le faire comme s’il s’agissait de son bien propre. Le mot clef ici serait alors celui de responsabilité. Responsabilité devant le Maître qui fait confiance (les deux mots de responsabilité et de confiance semblent bien inséparables), mais aussi responsabilité quant au bien dont on a reçu la garde ou la charge.
En l’espèce, dans le passage de l’évangile qui nous concerne, c’est comme si on nous disait : le Royaume est bien le Royaume des cieux ou Royaume de Dieu mais il est confié à chacun comme s’il s’agissait de son bien propre, de ses propres affaires.
Et au bout du compte, c’est bien cette attitude là qui est évaluée à la fin de l’histoire, c’est bien l’implication à l’égard du Royaume qui est examinée par le Maître lorsqu’il reparaît au terme de son voyage « longtemps après »… nous dit le narrateur.
Le moment de l’ « évaluation » qui conclut la parabole se présente bien sûr comme un moment de sanction du travail bien ou mal accompli…
Mais surtout il se manifeste aussi comme un révélateur : les bons gestionnaires avaient de leur maître une image positive et, pourrait-on dire, ils ont « joué le jeu ». Le mauvais gestionnaire – qui en réalité n’a rien géré du tout – lui est resté hors du coup : il s’était fait de son maître une image mauvaise et est resté tout à fait étranger à la responsabilité qui lui était pourtant confiée, comme aux deux autres… on se prend à penser : quel dommage !
Il n’est pas très difficile de re-parcourir la parabole pour nous demander nous-mêmes où nous en sommes par rapport au Royaume.
Et aujourd’hui de nous poser la question de savoir si nous reconnaissons qu’il nous est confié à tous, à chacun et à chacune comme relevant vraiment de notre responsabilité, responsabilité que le Seigneur a en propre et à laquelle il nous donne part pleine et entière.
Et à chacun est confié ce que chacun, chacune peut porter selon ses capacités, ses talents.
Mais il est confié avec sa puissance de transformation et toutes ses exigences que nous avons déjà eu l’occasion d’énumérer : exigences de justice, de bonté, de pardon. En dernière instance, exigence d’amour qui va jusqu’au bout : c’est ce que dira le signe de la Croix du Seigneur.
Et la manière dont on investit cette responsabilité que le Seigneur nous confie, dépend largement de la qualité de la relation que nous tissons avec lui, de la connaissance de lui que nous cherchons toujours à approfondir : cette relation est à base de bonté et de confiance. Elle est aussi marquée par la gratuité, la grâce.
Tout ce que le Seigneur donne, il le donne gratuitement. L’amour qu’il donne, il le donne gratuitement. Et son invitation est limpide: « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ».
Le Royaume nous est confié par le Maître du Royaume qui entend que nous en fassions « notre affaire » et que nous prenions soin de son advenue dans le monde pour le bien de celui-ci.
À nous de répondre à la confiance du Seigneur pour finalement entrer un jour dans sa joie !
AMEN.