« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – Nuit de Noël

Chers frères et sœurs, chers amis, 24 décembre, et c’est déjà Noël ! La première chose que j’ai envie de nous dire, c’est que oui, c’est bien Noël ! Nous savons, puisque nous le vivons, les circonstances qui sont les nôtres et qui font que, par exemple, le nombre de places dans nos églises est limité ; nous savons que les circonstances sont adverses ; nous savons qu’il va y avoir pas mal de gens qui seront privés des rassemblements auxquels nous sommes si attachés.
Néanmoins, néanmoins… et il faut y insister, la grâce de Noël sera donnée à tous et à chacun. Et la joie de Noël aussi. Car dans ces temps un peu moroses, nous avons certainement beaucoup besoin de joie, nous avons besoin d’attention, nous avons beaucoup besoin de tendresse. Nous pouvons nous les prodiguer les uns aux autres, mais cette soirée de Noël, cette veillée de Noël, cette nuit de Noël, elle nous invite d’abord à accueillir joie, réconfort, consolation, et même tendresse de la part du Seigneur. Donc, un vrai Noël ! Quelles que soient les circonstances, le Seigneur vient dans nos nuits quelles qu’elles soient – il y en a tellement – pour y mettre un peu de lumière et un peu de chaleur aussi.
C’est ce qu’on entend dans le livre du prophète Isaïe. Je vais y revenir à l’instant, mais c’est vrai que dans tous ces textes de la nuit de Noël, que ce soit la messe de la veille, de la nuit, de l’aurore ou du jour, c’est une immense profusion de textes qui nous est donnée, soit dans Matthieu, soit dans saint Luc, saint dans Jean (on y sera demain matin) – et bien sûr vous pouvez aller lire ce texte, ne vous en privez surtout pas (en général les missels les conservent) même si toutes les messes ne sont pas ni toujours célébrées, ni encore moins toujours très très suivies.
Et je reviens à Isaïe. Cette nuit, nous lisons d’abord le prophète Isaïe. Et le premier verset dit déjà tellement de choses : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson. » L’introduction à la liturgie de la Parole par Isaïe, nous place sous le signe de la lumière et nous place sous le signe de la joie. Et Isaïe continue, en contemplant de loin la figure du Messie et en dirigeant nos regards vers un enfant : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. » Et ce soir, oui, c’est bien vers un enfant que nous venons. C’est vers un enfant que nous avons marché pendant tout le temps de l’Avent : cet enfant dont l’existence a commencé il y a déjà un certain temps et qui désormais va apparaître à nos yeux, va être livré à notre regard.
Encore qu’il y ait une nuance à apporter, parce que cet enfant que nous voyons ce soir, cette nuit, demain…, ensuite, pendant de très nombreuses années – une trentaine d’années – il va de quelques manières, non pas se cacher, mais être tellement enfoui dans notre humanité, dans le quotidien et le banal de notre humanité, que de quelque manière, on ne va plus guère y prêter attention. Et pourtant, et pourtant, ce soir nous regardons cet enfant, et l’évangéliste Luc nous dit que cet enfant vient nous apporter le salut.
Vous savez, il faut toujours se rappeler ceci : saint Luc, comme tous les évangélistes d’ailleurs, a un véritable génie de la composition, il met les choses en récit de manière tout à fait remarquable.
Lorsqu’il commence son évangile, il nous indique tout le soin qu’il a apporté à établir ce document. Vous vous souvenez de l’entrée en matière qui est un peu méthodologique, je cite pour mémoire : « Plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui dès le début furent les témoins oculaires, et sont devenus les serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus. »
Oui, saint Luc fait attention à bien documenter ce qu’il va nous dire. Mais il faut se souvenir que Luc est un évangéliste, il n’écrit pas un compte rendu, il n’écrit pas un reportage. Au sens où nous nous l’entendons aujourd’hui, il n’écrit pas une histoire, une biographie de Jésus, même si évidemment les éléments historiques et biographiques ne vont pas faire défaut. Mais comme tous les évangélistes, et avec tout le soin qu’il met à sa documentation, il est d’abord quelqu’un qui annonce la Bonne Nouvelle et qui rend témoignage à la vérité de Jésus.
C’est vrai que cette nuit, elle est essentiellement centrée sur la vérité de l’humanité de Jésus, sur la vérité de l’humanité de cet enfant, dont les anges vont chanter la gloire et que les bergers vont voir. Cet enfant qui est vraiment le Sauveur.
Ce n’est pas une quelconque autorité munie de puissance tout humaine qui est sauveur, c’est cette humanité issue de l’amour divin et qui est même le propre amour de Dieu qui vient jusqu’à nous, qui va apporter à la terre Salut, parce qu’elle est toujours en butte à la difficulté, au malheur, au mal, à la mort, à l’injustice, que sais-je … ? Qui va apporter au monde aussi sa paix et sa joie.
Et donc, premier regard fixé sur cet enfant. Luc tout de suite, dès cette première page au chapitre 2, n’hésite pas à le désigner avec tous les titres qui sont les siens : « Aujourd’hui dans la ville de David vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » Retenons ces trois mots : Vous est né un « Sauveur », et ce Sauveur il est « Christ », et il est « Seigneur ». C’est un concentré de tout ce que le Seigneur Jésus, de tout ce que l’Enfant Jésus est dans la vérité de son être.
Mais pour le savoir – et c’est ça qui commence pour nous ce soir – pour le savoir, il va nous falloir nous mettre en chemin et continuer d’être attentifs au développement de la manifestation du Seigneur Jésus. Oui, comme j’ai eu l’occasion de le dire, Bethléem, le rendez-vous de Bethléem, c’est le début de la manifestation du Seigneur Jésus ; et à partir de ce moment-là d’ailleurs, tout va être manifestation, tout va faire signe, tout va dire quelque chose de la vérité de Jésus qui est vraiment l’un de nous – notre frère en humanité – et qui est vraiment, comme disait le Père Le Guillou « Celui qui vient d’ailleurs », l’Innocent, Celui qui vient d’ailleurs, Celui qui vient de Dieu.
Et vous vous souvenez comment, par exemple Matthieu, lorsqu’il écrit ses généalogies, prend soin de laisser les espaces nécessaires et suffisants pour que l’on comprenne que Jésus, même s’il est
ancré dans une lignée humaine n’est pas enfermé dans cette lignée. Certes, il y est bien ancré, certes il est descendant de David, mais il est aussi, le Fils de Dieu qui vient jusqu’à nous.
Nous aurons remarqué, et je crois que ce n’est pas nul de le remarquer, qu’il y a dans la région autour de Jésus, des bergers qui vivaient dehors, qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. Il est intéressant, et un commentateur le souligne, que c’est à ces bergers que la Bonne Nouvelle d’abord va être proclamée par l’ange du Seigneur, qui leur dit précisément les quelques versets que j’ai cités : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une Bonne Nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » L’intérêt de ces bergers, c’est que ce ne sont pas des gens hautement considérés, ils sont pauvres, ils ne sont pas très bien vus, ils sont en bas de l’échelle sociale. C’est là très précisément que Jésus les rejoint, il les rejoint dans les marges : il n’y a pas de place pour lui et les siens dans la salle commune, il va naître dans une étable, il va naître à l’écart – tout comme d’ailleurs plus tard, bien plus tard, il mourra à l’écart et hors les murs. Et ce sur quoi j’insiste, c’est la nature de ces destinataires premiers de la Bonne Nouvelle : des pauvres, des gens qu’on regarde de travers, bref ils sont déjà de ceux que Jésus préférera, vers qui son mouvement naturel le portera d’abord.
Et il y a un dialogue qui se noue entre ces bergers, si terre à terre, et un être céleste, puisque c’est l’ange du Seigneur qui se présente devant eux pour leur annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile, c’est-à-dire la Bonne Nouvelle de la naissance de Jésus. Et in fine, cet être céleste – cet être céleste – va être rejoint par une troupe, nous dit-on, « innombrable qui va louer Dieu en disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » C’est typiquement le chant des anges et typiquement le chant de Noël, même si d’ordinaire nous le reprenons tous les dimanches.
Nous nous en sommes abstenus pendant tout le temps de l’Avent, nous nous en abstiendrons pendant tout le temps du Carême, mais c’est bien le chant de ce soir : avec les anges et avec toute la Création, nous rendons « gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime ». Rencontre heureuse entre le ciel et la terre.
Dernier moment de cette méditation, et là je reviens vers la lecture de l’épître de saint Paul apôtre à Tite, qui dit des choses extraordinairement simples : « Bien-aimé, dit-il à Tite, la grâce de Dieu
s’est manifestée pour le salut des hommes. » Et c’est ici que l’on se souvient qu’un Évangile, ça n’est pas simplement fait pour nous rappeler le passé, c’est surtout fait pour nous dire comment la
Parole de Dieu fait irruption dans notre présent et doit modeler notre intelligence, notre agir, au présent, aujourd’hui, ici et maintenant. Cette Parole, lorsqu’elle surgit, et saint Paul le dit très bien à Tite, « elle nous apprend à renoncer à l’impiété, aux convoitises de ce monde, elle nous apprend à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se
réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. »
Oui, la Parole de Dieu nous est donnée pour que nous sachions habiter le temps, que nous sachions y établir ce que vient y établir Jésus, à savoir : le Royaume de Dieu ou le Royaume des cieux. Un Royaume où la première exigence, c’est la justice : que personne ne soit laissé pour compte ; un Royaume dont le plus beau fruit, c’est la paix, la paix dans l’équité ; un Royaume dont le plus beau fruit c’est la communion ; un Royaume dont un des plus  beaux fruits aussi, c’est la joie.
Oui, l’Évangile surgit toujours à la fois pour nous consoler, à la fois pour nous conforter, et comme le dit si joliment la fin du petit passage de l’épître à Tite que nous avons lu, finalement pour faire de nous le peuple du Seigneur, et j’aime beaucoup cette formule : « un peuple ardent à faire le bien. »
Ce soir, frères et sœurs, nous fêtons Noël. Nous sommes déjà de plain-pied dans le mystère : nous sommes devant l’humanité que prend notre Sauveur. Nous n’avons pas fini de la découvrir et il faut prendre le temps de re-parcourir à sa suite tout un chemin d’Évangile, pour se laisser instruire sur ce qu’Il est en profondeur, ce que nous pouvons être à son image, ce qu’Il nous apporte et ce que nous pouvons partager.
Alors, je souhaite de tout cœur à tous et à chacun, chacune, même et peut-être surtout si vous n’avez pas pu rejoindre une assemblée, je vous souhaite de tout cœur un très très joyeux Noël !

Demain nous aurons l’occasion d’entendre après saint Luc, la voix de saint Jean qui nous parlera un peu différemment de ce même Enfant. Mais ce soir restons avec les bergers, avec les anges, devant l’étable, devant l’Enfant, devant sa mère, devant Joseph. Prenons le temps de nous émerveiller, prenons le temps de cette pause de paix dont nous avons tellement besoin dans ces temps difficiles. Noël demeure Noël, une fête qui nous est donnée pour nous retremper vraiment à l’exigence, mais aussi à la joie de l’Évangile.
AMEN