« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Méditation par le frère Gilles-Hervé Masson – 16 avril 2020

Références scripturaires pour le jeudi 16 avril 2020:
-Première lecture: Ac 3, 11-26
-Psaume: 8, 4-5, 6-7, 8-9
-Evangile: Luc 24, 35-48

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Frères et sœurs, chers amis, depuis hier nous avons traversé le long chapitre 24e qui clôt l’évangile selon saint Luc. En traversant cette page d’évangile qui est très développée, très écrite, par saint Luc, nous faisons en quelque sorte le cheminement que nous faisons pour chaque eucharistie.
Au fond, à chaque eucharistie, ce dont il est question, c’est très exactement comme pour Cléophas et son compagnon – ou sa compagne on ne sait pas – c’est très exactement se laisser rejoindre par le Christ alors que nous cheminons dans la vie avec, sans doute, quelques certitudes ici ou là, mais aussi beaucoup de questions… se laisser rejoindre par lui, se laisser interpeller par lui. Le laisser entrer dans la conversation, dans toute conversation, dans nos échanges, ceux que nous avons avec nous-mêmes, le dialogue intérieur, celui par lequel notre pensée chemine pour s’enrichir et, de temps en temps, trouver un point de lumière ; mais le dialogue aussi, la conversation que nous pouvons avoir avec les autres et en tout cas certainement, cette conversation – car c’en est une – que nous avons avec l’Écriture.

Il faut bien remarquer que lorsque Jésus entre précisément en conversation avec Cléophas et la personne qui marche avec lui, en fait il va reprendre exactement les faits là où finalement les apôtres, en sont restés. Eux, ils sont restés à ce qu’ils ont vu, à ce qui les a frappés et qui les a dévastés. À savoir l’arrestation, cette parodie de procès et la réduction à rien de celui dont ils pensaient qu’il serait le libérateur d’Israël.
Jésus les retrouve exactement là où ils en sont, il les rencontre dans leur désespérance, car il s’agit rien moins que de cela : leur désespérance. Et du cœur de cette désespérance il va, précisément, l’interroger.
Oui il va interroger leur désespérance. Et il va leur faire quelques reproches : « Cœurs lents à croire ! » comme il dira. Et ce à quoi Jésus va se livrer en entrant, lui, dans la conversation, c’est d’en reprendre les fils. Il va refaire avec eux le parcours, pour essayer de leur donner à percevoir comment dans la Loi, les prophètes ou les psaumes, c’est de lui qu’il est question ; et c’est précisément de ce « passage obligé » de la Passion qu’il est question pour dire qu’au fond, désormais, l’Écriture devra être relue à la lumière de cet évènement-là.
À la lumière de l’évènement mais plus encore à la lumière de Celui qui traverse ces évènements, qui n’en est pas la victime, il ne les subit pas mais il les pâtit. Il est Jésus de Nazareth, Jésus le nazaréen;  Il est Jésus le Christ, il est Jésus Fils de Dieu. Comme le rappelle Pierre dans la lecture de ce jour au chapitre 3 des Actes, il est aussi Jésus « Prince et Maître de la vie ». Et voilà que Jésus reprend le fil de la conversation pour dire à ceux qui sont en chemin, dans leur désespérance, quel va être le prisme, quelle va être la clé qui, maintenant, leur permettra d’entrer vraiment dans ce que l’Écriture a à leur dire.

Et donc à chaque fois que nous-mêmes nous célébrons l’eucharistie nous faisons ce chemin : nous laissons le Seigneur nous rejoindre, nous interpeller, peut-être nous rejoindre là où nous avons du mal à avancer ; et aussi nous ouvrir des perspectives pour que nous puissions relire notre vie, relire ce qui nous préoccupe, relire notre quête spirituelle, notre quête religieuse, en la plaçant sous la lumière qu’il est Lui, cette lumière qu’il est, après avoir vécu notre vie d’homme et après avoir vécu spécifiquement cette vie qui était la sienne, avec sa prédication, ses rencontres, et finalement sa Passion, sa mort et sa résurrection.

Lorsque l’on arrive à Capharnaüm, il y a ce moment tout à fait étonnant où les deux ont écouté Jésus, ont été très intrigués, ils ont été très sollicités. Au fond d’eux-mêmes ce que disait cet inconnu, car c’en est un, leur a parlé, mais enfin ils n’ont toujours pas compris en présence de qui ils sont.  Et je voudrais attirer votre attention sur ce moment et une formulation.

Ce moment où Jésus pose les gestes de la séquence eucharistique : prend le pain, dit la bénédiction, rompt le pain et le leur donne.
A ce moment-là, à ce moment-là précisément, leurs yeux s’ouvrent, ils le reconnaissent, et dans l’instant où ils le reconnaissent, il n’est plus là. Le signe de l’eucharistie a fonctionné comme le signal, ce qui indique la présence du Ressuscité, mais dans l’instant où il est posé, le Ressuscité a disparu.

La formulation que j’avais en tête on la doit à Daniel Marguerat qui indique que devant les disciples d’Emmaüs je cite :

« Au voyageur visible et non reconnu succède aussitôt le Ressuscité reconnu mais invisible. »

Je continue la citation si vous permettez : « La symbolique est forte, Cléophas et son compagnon inaugurent le temps de la communauté croyante, qui vit de la mystérieuse présence d’un Absent (avec un ‘’A’’ majuscule) identifiable à ses traces, mais non saisissable. Il aura fallu pour y parvenir le long parcours de la déception (cette désespérance dont je parlais tout à l’heure), de l’interpellation de Jésus (qui s’invite dans la conversation), de l’exégèse des Écritures, et du signe du pain. »

On pourrait continuer, mais je m’arrête simplement et je vous laisse simplement avec cette petite citation, et surtout celle-ci : « Au voyageur visible et non reconnu va succéder aussitôt le Ressuscité reconnu mais invisible. » Et il y a ce mystère d’un Absent (avec un ‘’A’’ majuscule) qui nous est tellement présent, et dont nous confessons que, dans chaque eucharistie que nous posons, dans chaque écoute de la Parole que nous partageons, chaque fraction du pain que nous partageons, le Seigneur est là au milieu de nous, il est là en la personne de chacun de nous qui communions dans l’écoute de sa Parole et la communion à son corps et à sons sang.

Pendant tout le temps pascal au fond, nous ne faisons pas autre chose que de méditer sur cette mystérieuse mais bien réelle présence, présence du Ressuscité.
Non pas la présence des jours anciens comme lorsqu’il cheminait « aux jours de sa chair » pourrait-on dire avec ses disciples, mais présence des jours nouveaux, de la Création nouvelle, lorsque c’est avec son corps de gloire que le Seigneur voyage avec nous.

En vous disant ça, je sais bien que pour le moment nous sommes encore en diaspora, dispersés, et que donc l’eucharistie nous reste mal accessible, à moins que comme pour beaucoup elle nous soit tout à fait inaccessible. Ce qui reste tout de même, et ne l’oublions pas, pour nous consoler (car c’est une vraie consolation), ce qui nous reste, c’est le mystère de notre communion fraternelle, elle est bien réelle.
Nous serons tellement heureux de retrouver l’eucharistie, mais comme nous le dit notre Frère Thomas d’Aquin : l’eucharistie elle est le sacrement, le signe, le moyen de notre communion, elle nourrit, elle fonde, elle étaye cette communion, mais lorsque nous n’avons pas l’eucharistie, pour un temps, car ce n’est que pour un temps, nous ne sommes pas privés de la communion fraternelle, de la communion de l’Église.
L’Église est vivante, bien vivante, elle est le corps du Christ ressuscité.

Alors creusons en nous le désir, l’impatience même, n’ayons pas peur de creuser en nous le désir et l’impatience de retrouver l’eucharistie, mais pour le moment, et même dans le manque, vivons intensément de cette présence authentiquement eucharistique du Seigneur lorsque nous partageons, lorsque nous nous nourrissons de sa Parole, en attendant de nous retrouver autour de la table eucharistique pour aller jusqu’au bout de ce partage, et le partager aussi dans le sacrement, le signe, de son corps et de son sang.

Très bonne octave pascale, très bon temps pascal, à tous et à toutes.
AMEN

Biographie du frère G.H. Masson