« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 1er dimanche de l’Avent

Chers frères et sœurs, chers amis, 26. C’est 26 pas qu’il nous faudra faire au cours de cet Avent qui commence pour finalement nous retrouver au soir de Bethléem, en présence du début de l’épiphanie du Verbe qui a pris chair dans le sein de la Vierge Marie au jour de l’Annonciation. Ce qui sera offert à notre contemplation, ce sera ce début de l’épiphanie de Celui qui vient à la fois nous dire Dieu et nous dire notre humanité dans toute sa vérité.

Aussi bien la première chose à laquelle je voudrais nous engager, c’est bien celle-ci : nous mettre en chemin, et ce dimanche faire le premier pas. C’est-à-dire nous montrer capables de commencer quelque chose, un nouveau cycle liturgique – pour le dire simplement – mais à neuf. Nous montrer capables de nouveauté. Non pas d’être comme des gens qui remettraient pour la énième fois le même film dont toutes les ficelles sont tellement connues… mais tout au contraire, des gens qui à nouveau frais vont vouloir goûter, sonder, le Mystère dont ils vivent et qui, comme je le disais à l’instant, leur révèle Dieu et les révèle à eux-mêmes.

En même temps, je le concède assez volontiers, cette nouveauté n’est pas si facile. Pour une première raison d’abord qui est interne, en quelque sorte, à la liturgie. La fin de l’année liturgique qui se conclut, qui s’est conclue, ressemble beaucoup au tout début de celle qui commence. Vous l’avez entendu à plusieurs reprises, dans la page d’évangile de ce premier dimanche de l’Avent, il nous est répété maintes fois de « rester éveillés », de « veiller », d’être vigilants, d’être sur nos gardes ; c’est exactement ce que l’on nous disait à la fin de l’année, qui était plus marquée par une contemplation de la fin des temps, de l’accomplissement de toutes choses, avec cette invitation aussi à ne pas dormir sur nos lauriers mais à être présents au temps qui passe, et à ne pas se laisser surprendre par le jour dernier, le Jour du Fils de l’homme. Donc effectivement, c’est comme un fondu-enchaîné : la fin de ce qui précède ressemble beaucoup au début de ce qui commence.

Il y a une deuxième circonstance et qui, elle, nous marque beaucoup. Elle est extrêmement concrète : difficile de se rendre disponibles à une vraie nouveauté, alors que les conditions qui sont les nôtres, les conditions de vie qui sont les nôtres depuis maintenant des mois et des mois et des mois, et pour encore on ne sait combien de temps, sont tellement pesantes !  Elles modifient notre quotidien en le rendant assez insaisissable, à certaines heures plus lourd et pour certains on peut même le dire, franchement catastrophique. Au-delà même du douloureux, on ne peut pas, en entrant dans cet Avent, oublier les conditions très réelles, très concrètes, de tous ceux et celles qui vont passer un temps d’Avent ou bien des fêtes de la Nativité, ou bien des fêtes de la Nouvelle Année, des fêtes de fin d’année comme on dit, sous le signe d’une très grande inquiétude, quand ce ne sera pas sous le signe d’une réelle pauvreté. On pense à tous les gens de la vallée de la Roya -dont on parle beaucoup moins maintenant, mais Noël pour eux aura certainement une couleur bien particulière : pour tous ceux qui ont tout perdu, ceux qui y ont laissé la vie, ceux qui y ont laissé des proches dans cette catastrophe naturelle ; et puis bien évidemment, il y a ce dont on parle beaucoup plus, cette pandémie qui est toujours là. Et nous allons même pour nos célébrations devoir en passer par les recommandations sanitaires.

Tout ceci fait partie intégrante de ce que j’ai vraiment envie de nous partager, parce que l’appel à enclencher une démarche vraiment nouvelle, en fixant le regard sur ce qui est à venir : la fête de Noël bientôt, mais très au-delà le salut de Dieu qui vient au-devant de nos pauvretés, cet appel-là, il me paraît extrêmement important. Il faut que nous en soyons capables, non pas pour être oublieux de nos circonstances, mais pour ne pas polluer une démarche qui si elle n’est pas faite à neuf, ne sera pas renouvelante ni ne pourra pas porter son fruit. Je vois bien et j’entends bien comme beaucoup, les difficultés que beaucoup de chrétiens ont, les frustrations qu’ils ont à entrer dans un temps de l’Avent, qui comme le Carême déjà l’avait été, sera en « mode dégradé » si l’on peut dire.

Mais par pitié ne nous arrêtons pas à cela ! Le Mystère qui vient au-devant de nous, nous l’entendons, il vient au-devant de nous invinciblement, quelles que soient nos circonstances. Nous allons commencer de retrouver nos rassemblements, et quel bonheur de pouvoir célébrer ensemble l’eucharistie. Mais nous allons avancer en nous nourrissant du pain de la Parole, en nous nourrissant de notre communion fraternelle, en nous nourrissant de ce Mystère du Corps du Christ vivant qu’est l’Église et qui vit déjà de Celui qui vient.

C’est le Seigneur Lui-même, qui au cœur de l’Église et au cœur de chacun d’entre nous, creuse le désir de son attente, et ici vous entendez un peu ce que nous évoquait le livre du prophète Isaïe. Car enfin cette première lecture du 1er dimanche de notre année liturgique, elle nous redit que nous avons pour nous cette longue mémoire biblique. Et la longue mémoire biblique, certes, elle nous parle de notre péché, certes elle nous parle de nos dés-errances, certes elle nous parle de tout ce qui fait que nous ne savons pas toujours nous rapprocher de Dieu ou nous tenir près de Lui, mais elle nous parle aussi de cette fidélité du Seigneur, qui constamment part à la pêche de son peuple, comme il partait à la recherche du premier homme. À chaque instant il dit : « Adam où es-tu ? »  Il appelle chacun, chacune, d’entre nous par son prénom pour dire : « où es-tu ? » C’est Lui qui suscite dans notre cœur cette prière où nous Lui demandons de « déchirer les cieux », et de venir ! Ce qu’il n’a qu’une envie, c’est de le faire précisément, de déchirer les cieux et de venir. Il va faire dans la venue du Verbe dans le corps de la Vierge Marie et dans notre humanité.

La mémoire longue biblique nous rappelle notre toute-pauvreté, nous rappelle cette argile que nous sommes dans les mains du potier, cette argile qui peut se laisser façonner… Je dis peut car ce n’est jamais gagné : nous sommes parfois une argile très rétive mais argile nous sommes, livrés aux mains du potier et les mains du potier veulent faire de cette argile quelque chose de beau. Rien d’autre d’ailleurs que quelque chose qui porte son image, qui porte son effigie, un peu comme le dira l’épître aux Hébreux en parlant de « Celui qui vient », en parlant du Fils. Mais nous avons bien vocation à être fils dans le Fils, et sur notre visage aussi ont vocation à rayonner la bienveillance, le pardon de Dieu et les traits, les propres traits de Jésus, Celui qui se fait notre frère.

Nous avons entendu aussi un passage de la première lettre de saint Paul aux Corinthiens. Juste une citation pour la réentendre ici : « Frères, à vous la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et la connaissance de Dieu. »  J’aimerais juste nous inviter à retenir cela : « En lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et la connaissance de Dieu » Et à la fin l’invitation, un rappel à la fidélité de Dieu qui, dit saint Paul aux Corinthiens « vous a appelés à vivre en communion avec son Fils Jésus Christ, notre Seigneur. »

Cela fait écho très exactement à ce que je disais à l’instant : nous avons la longue mémoire biblique qui nous met en présence d’une expérience millénaire, une expérience de vie vécue, mais aussi une expérience de vie vécue à l’écoute de la Parole, et ici saint Paul, lui aussi fils de la Torah, dit aux premiers chrétiens, qu’en fait ils ont tout reçu, comme nous-mêmes nous avons tout reçu. C’est de cela que nous vivons, et dans ce temps, dans ces 26 pas que nous allons faire au jour le jour, au pas à pas, je nous invite vraiment à goûter, à découvrir, à redécouvrir, à ré-explorer toute cette richesse qui nous a été donnée. C’est rendre grâce au Seigneur que de reconnaître ce don, que de ne pas passer à côté, que de tout faire pour ne pas passer à côté.

Un dernier mot si vous le voulez bien, en en venant à l’Évangile selon saint Marc. C’est celui que l’on va lire pendant cette année. Lorsqu’il le commente, le grand commentateur, le Père Camille Focant, parle de : « L’heureuse annonce de Marc. » Et aujourd’hui, nous entendons l’invitation de Jésus, puisqu’on prend l’Évangile par la fin, vers le chapitre 13, nous entendons le Seigneur Jésus dire à ses disciples : « Prenez garde et restez éveillés. » C’est une disposition ça, assez particulière du temps de l’Avent. Pendant le Carême on nous invite à la conversion, on nous invite à une démarche de pénitence, on nous invite à peut-être davantage prendre la mesure de notre pauvreté et de notre péché.

Pendant l’Avent il est extrêmement clair que l’invitation est un tout petit peu différente et d’ailleurs la couleur générale est différente : il s’agit de rester éveillé. Eveillé à quoi ? Éveillé au Mystère ; au Mystère du dessein de Dieu qui se déroule dans l’histoire ;  au Mystère du dessein de Dieu qui envers et contre toutes les apparences travaille, survient, advient ; au Mystère du Royaume qui fait son chemin, qui s’installe, ô, à bas bruit, sans grand fracas – d’où l’utilité d’avoir une vigilance plus aiguisée pour percevoir les signes du Royaume à l’extérieur de soi, mais aussi en soi ; pour se rendre sensible au Royaume ; pour commencer de le comprendre, commencer de le discerner, commencer de l’établir en soi et autour de soi.

C’est le Seigneur qui vient qui nous invite déjà à veiller. Nous, nous avons des échéances, nous allons vers Bethléem, mais au premier dimanche de l’Avent, comme vous l’avez remarqué, ce n’est pas directement sur Bethléem que le regard est posé, non, il est posé comme sur une ligne d’horizon plus lointaine, peut-être ce jour dont nous avons beaucoup parlé ces derniers temps : le jour de l’accomplissement dernier. Mais ces deux jours se tiennent : le jour de l’accomplissement dernier et le jour de la manifestation du Verbe fait chair, qui va nous dire Dieu et son Mystère, qui va nous dire nous-mêmes et notre Mystère.

Alors aujourd’hui, mobilisons-nous ! J’allais dire « gendarmons-nous ! », munissons-nous de réserves d’énergie pour veiller et pour contempler, affûtons notre regard pour regarder loin vers cet accomplissement ultime de toutes choses dans la toute-gloire du Fils de l’homme, mais aussi pour reconnaître que cet accomplissement se jouera lorsqu’apparaîtra le petit bébé que nous allons vénérer, que nous allons adorer, que nous allons aussi fêter dans quelques semaines, lorsque nous aurons fait ces 26 pas.

Un dernier mot sur ce petit et grand trajet que nous allons faire. J’ai dit : 26 pas. Oui, mais nous  savons bien qu’en fait, c’est un crescendo d’intensité qui nous attend, et là aussi, il faut savoir y faire droit. Dans ces 26 pas, les 7 derniers compteront beaucoup, nous le savons : il y a cette semaine immédiatement préparatoire à Noël, à partir du 17 et jusqu’au 23-24 qui va nous remettre en présence de toute l’histoire messianique en nous rappelant tous les grands textes qui sont dans notre mémoire biblique.

Alors, mettons-nous en route, faisons le premier pas, allumons dans notre maison cette lampe qui va briller pendant ces 26 jours avant que la maison ne s’illumine, et que nous festoyons avec la grande Église. Sans doute que les grands rassemblements ne seront pas permis, on nous a déjà recommandé prudence et plutôt des petits groupes, il n’empêche que ces petites cellules de joie, eh bien, elles participeront de la joie du grand corps qu’est l’Église, parce que le Seigneur vient !

Vous l’entendez peut-être : lorsque l’on dit cela, on ne peut pas ne pas vibrer déjà de ce que ce Seigneur qui vient, il est comme déjà là. C’est Lui qui en chacun de nous, anime désir et espérance de sa venue ; c’est Lui qui en chacun de nous anime désir et espérance de savoir l’accueillir, de savoir lui faire droit, de savoir l’accueillir comme il se donne, de savoir le contempler pour que Lui-même illumine nos yeux, clarifie notre regard (comme on le chante à propos de la Torah) et aussi renouvelle vraiment notre regard sur le Mystère de Dieu, sur le Mystère de l’humain, et même sur le Mystère de la Création.

Je souhaite à tous, à chacun et à chacune, un très beau temps de l’Avent ! Et s’il vous plaît soignons bien ce premier pas qui nous met en route vers le rendez-vous pour lequel déjà nous sommes si pleins d’impatience, le 24 décembre au soir lorsque, n’oubliant rien de tous les tracas qui nous habitent, nous goûterons la paix de ce Nouveau-Né qui justement vient au-devant de tout ce qui fait les difficultés de notre vie pour nous apporter la paix du Seigneur.

AMEN.