« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

Homélie – 2ème dimanche de l’Avent

Ba 5, 1-9  / Ps 125 (126  / Ph 1, 4-6.8-11  /  Lc 3, 1-6

Frères et sœurs, chers amis, deuxième dimanche du Temps de l’avent de l’année C. Et aujourd’hui, nous lisons en première lecture un passage du livre du prophète Baruch, en deuxième lecture nous lisons un passage de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens, avant que d’entendre la page d’évangile que je viens de lire.

Permettez que je commence par revenir sur le livre de Baruch. Nous entendrons dans sa bouche, et par ailleurs souvent pendant ce Temps de l’avent, une invitation à se réjouir, une invitation à la joie : « Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours, enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu, mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’Éternel. »

Baruch, fait partie de la lignée des prophètes. Cette lignée s’achève avec celui que l’on voit apparaître aujourd’hui dans l’évangile, à savoir, Jean le Baptiste, présenté aujourd’hui comme “le fils de Zacharie”. En entendant cette invitation à se réjouir portée par le prophète Baruch, nous pouvons peut-être prendre la mesure de la terre dans laquelle s’enracine l’espérance qui permet de répondre à cette invitation à la joie. Si on lit une très très brève présentation de ce prophète, on peut trouver ceci, par exemple dans la Bible de Jérusalem : « S’agissant du Livre de Baruch, il aurait été écrit par Baruch, le secrétaire de Jérémie, à Babylone après la déportation et envoyé à Jérusalem pour être lu dans les assemblées liturgiques.»

Je ne vais pas plus loin dans la description, mais la mémoire de l’espérance elle peut être — et en l’espèce elle est — une mémoire douloureuse. Le chemin du Peuple élu est parsemé non seulement d’épreuves, mais de séquences d’épreuves si profondes qu’elles remettent, en réalité, la vie-même du Peuple de Dieu en question et en jeu. Baruch a connu l’Exil (avec un « E » majuscule),  il a connu la déportation, il a connu l’extrême violence, il a connu l’avenir fermé, et pourtant, et pourtant … prophète qu’il est, il porte une parole qui va ouvrir une brèche dans ce qui apparaît comme l’impossible lendemain.

Du fond de l’épreuve qu’il vit, il va porter un regard vers des lendemains où ce ne sera pas la destruction mais la reconstruction, où ce sera le retour à la maison et non pas l’exil, où ce sera la joie possible et non pas cette tristesse que chante le psalmiste lorsqu’il dit : « Aux bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion. Aux saules des alentours nous avions pendu nos harpes. » (Ps 137) Tristesse, nostalgie, privation de futur… et voilà que Baruch, avec force, porte cette invitation à la joie.

Cela nous redit que l’espérance que nous professons, elle est enracinée profond. Elle est enracinée dans une expérience, l’expérience de la vie, l’expérience du peuple auquel nous appartenons, du pays auquel nous appartenons. L’expérience et l’histoire de la famille à laquelle nous appartenons, notre propre vie aussi et notre propre expérience. Et dans cette l’expérience, dans cette histoire, quel que soit le cercle où elle se déroule, nous savons que tout n’est pas que positif, au contraire, souvent l’adversité se manifeste si fort qu’elle semble en mesure d’avoir le dernier mot. Les prophètes sont porteurs de cette parole forte d’espérance. Ce n’est pas une parole légère à la surface des choses, non ! elle plonge ses racines dans une expérience qui peut être contrastée et dont les moments de douleurs peuvent être extrêmement intenses. Ici, nous entendons le prophète dire :

Debout, Jérusalem ! tiens-toi sur la hauteur, et regarde vers l’orient (là où le soleil se lève): vois tes enfants rassemblés du levant au couchant par la parole du Dieu Saint ; ils se réjouissent parce que Dieu se souvient.   Tu les avais vus partir à pied, emmenés par les ennemis, et Dieu te les ramène, portés en triomphe, comme sur un trône royal. 

L’espérance de l’avent, l’espérance que nous essayons de revisiter, peut-être même de réactiver durant cet avent, elle a cette épaisseur-là, elle a cette force-là ! Et lorsque aujourd’hui — puisque le temps de notre vie c’est ici et maintenant — lorsque aujourd’hui, envers et contre toutes les noirceurs du monde, nous regardons avec confiance vers demain, c’est au titre de cette espérance qui ne craint pas l’expérience douloureuse, qui ne craint pas les trous noirs de l’histoire, mais qui croit que demain existe, qui croit, comme disait un poète que “le printemps ne nous oubliera pas”.

Si maintenant j’en viens à la page d’évangile que nous avons lue, vous aurez sans doute remarqué que tout se passe comme si saint Luc, au chapitre 3e de son évangile, c’est-à-dire très tôt, nous plantait en quelque sorte le décor. Et j’ai commencé par être sensible à cette galerie de portraits qui ouvre la page d’évangile d’aujourd’hui. Vous y trouvez l’empereur, il s’appelle Tibère ; vous y trouvez Ponce Pilate, le gouverneur de Judée ; vous y trouvez Hérode qui règne en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, et un certain Lysanias en Abilène. Ça c’est pour le pouvoir politique, l’occupant, et ceux qui frayent avec l’occupant, les collaborateurs. Et puis juste après, vous avez les grands prêtres, la caste sacerdotale : Hanne et Caïphe.

Nous nous préparons à accueillir bientôt la manifestation du Seigneur, sa naissance parmi les hommes, et le monde dans lequel il vient — j’évoquai à l’instant les souffrances de la déportation et de l’Exil à Babylone —, le monde dans lequel il vient, c’est ce monde qui n’en finit pas de vivre dans la violence avec tous les petits arrangements notamment entre les politiques, mais aussi parfois les arrangements entre le politique et le religieux, le monde n’en finit pas de souffrir de ces arrangements et aussi de ces faux-semblants, de l’hypocrisie qui si souvent caractérisent ces liens qui ne sont que des liens d’intérêt.

Aussi bien, saint Luc au chapitre 3e, nous décrit tout de même, nous plante un décor qui est plutôt sombre. Le Seigneur va venir s’affronter avec pratiquement tous ceux-là que je viens d’énumérer ; le Seigneur vient s’affronter à ces pouvoirs, à ces personnes mais aussi et surtout à ces pouvoirs. Et dans ce monde qui est tellement égal à lui-même, il y a une figure qui surgit, figure prophétique, celui qui clôt la lignée prophétique de l’histoire d’Israël : Jean, le fils de Zacharie. Il est prophète, il est, lui aussi, porteur d’une parole d’espérance. Et dans la page d’évangile que nous lisons aujourd’hui nous voyons que c’est bien l’essentiel de son mystère : il est tout entier cette voix qui crie dans le désert. Le désert dans la Bible, nous le savons bien, ce n’est pas que le lieu où il n’y a rien, c’est aussi le lieu où l’on rencontre Dieu, c’est le lieu vers lequel on va pour rencontrer le Seigneur, ce Seigneur à qui il faut préparer les chemins, et c’est ce que nous faisons pendant cet avent.

Alors nous accueillons la figure de Jean Baptiste, aujourd’hui. Elle apparaît, elle apparaît dans toute sa force. Et quand je dis qu’il clôt la lignée prophétique de l’Histoire du peuple d’Israël, je devrais plutôt dire que, en quelque sorte en lui se concentrent, se précipitent, toutes les voix, ou la grande voix unifiée, des prophètes, de tous les prophètes d’Israël. Il va venir au-devant de ses contemporains leur dire que ce que les prophètes ont annoncé depuis longtemps est sur le point de se réaliser. Ce que de grands prophètes comme Ésaïe ou Jérémie ou Baruch n’ont pu qu’entrevoir dans le flou, de très loin, lui, Jean, va le désigner. Mais avant de pouvoir désigner Celui qui vient dans le monde, ce à quoi il va inviter ses auditeurs, ça va être la conversion du cœur, ça va être de se préparer à la rencontre, de se préparer à l’advenue de Celui qui va nous révéler le vrai visage et la voix du Dieu vivant.

Alors aujourd’hui frères et sœurs, en célébrant ce deuxième dimanche, nous pouvons prendre la mesure que d’entrée de jeu, nous constatons que le mystère pascal n’est décidément pas loin de la célébration de Noël, les deux à la vérité se tiennent : l’Enfant que nous attendons, le Seigneur qui déjà habite notre attente et notre désir pendant ce temps de l’avent, il vient affronter un monde qui a besoin de salut, qui a besoin d’être sauvé et qui a aussi besoin de joie.

En célébrant aujourd’hui l’eucharistie, en écoutant aussi la Parole de Dieu, demandons au Seigneur de recevoir l’invitation de Jean et de nous préparer à accueillir Celui qui vient de sorte à ce que nous soyons, le plus possible, aptes à recevoir le fruit de la promesse de Jean et à voir le salut de Dieu.

AMEN