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Olivier Clément, Espace infini de liberté, Ed Anne Sigier, p 15-17, 21
« Le dimanche de Pâques, disait Athanase le Grand, s’étend par une grâce continue aux sept semaines de la sainte Pentecôte », c’est-à-dire de la sainte « Cinquantaine ». Alors en effet, le royaume de Dieu s’approche de nous, irradiation de la croix, du nouvel arbre de vie auquel la descente aux enfers, la résurrection et l’ascension donnent ses dimensions plénières : par la croix, le Seigneur vainqueur de la mort abolit toute séparation. Rien ne sépare plus Dieu et l’homme : dans cette grande unité, l’Esprit descend et la Pentecôte s’inaugure.
La grande Cinquantaine accomplit le mystère de notre salut. Saint Maxime de Confesseur disait que Dieu s’est manifesté dans l’ordre et la beauté du monde, puis dans les élections, les législations et les prophéties de l’histoire, jusqu’à ce que tout se récapitule et trouve sens dans l’incarnation du Logos. Telles sont bien les dimensions multiples de l’évènement que nous célébrons aujourd’hui.
La Pentecôte, c’est la reprise et l’accomplissement de la fête juive des moissons (Lv 23, 10-15), pour laquelle on apportait à l’autel une gerbe, prémices de la récolte. Les Pères y voient le Christ lui-même offrant la gerbe de la nouvelle création, dorée au grand soleil, au grand vent de l’Esprit. Et c’est pourquoi nous jonchons de branches nos églises.
C’est la reprise et l’accomplissement de l’année jubilaire, où, tous les cinquante ans, les dettes étaient remises et les esclaves libérés. La Pentecôte chrétienne a valeur d’un jubilé unique par lequel, au-delà déjà de l’histoire, l’homme est introduit dans la dimension du royaume : « Aussi n’es-tu plus esclave mais fils, dit l’apôtre ; fils, et donc héritier de Dieu » (Ga 4,7). Et les apôtres sortent comme ivres du Cénacle pour annoncer « jusqu’aux extrémités de la terre » l’année jubilaire du royaume.
C’est la reprise et l’accomplissement de la donation de la loi au Sinaï. « La voix du Sinaï, dit le Synaxaire, fait place à l’Esprit Saint qui apporte la loi nouvelle, celle qui est écrite dans les cœurs. » Celle qui n’est plus contrainte mais spontanéité, mais liberté de l’amour lorsque le cœur de pierre est enfin devenu cœur de chair.
Ainsi, comme l’a magnifiquement écrit un théologien orthodoxe contemporain, le Christ apparait comme « le grand précurseur de l’Esprit ». « Il vaut mieux pour vous que je parte. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16,7). Et saint Athanase écrivait, précisant le célèbre « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » : « Dieu s’est fait porteur de la chair pour que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit – (pneumatophore). » Un des offices qui précède le dimanche de la Pentecôte proclame : « L’esprit Saint accorde maintenant les prémices de la divinité à toute la nature humaine. » Devenu, par la chute, extérieur à l’humanité au point de lui apparaitre comme la fulguration anéantissante de l’orage, l’Esprit lui est rendu à travers le Christ, il devient plus intérieur à l’homme que lui-même, de sorte qu’en lisant le Nouveau testament, et par une confusion bienheureuse, nous ne savons pas très bien si le mot « esprit » désigne cette personne mystérieuse du Dieu intérieur, la vie divine qu’il nous communique ou l’esprit de l’homme qui la reçoit, cette image de Dieu en nous que le christ a restaurée et rendue transparente. L’Esprit qui reposait sur le Fils durant l’incarnation comme l’onction messianique repose désormais sur chacun de ceux qui sont « fils dans le Fils ». En lui, toutes nos facultés, tous nos sens et jusqu’au battement de notre cœur s’apaisent et s’illuminent. Car il n’est d’autre choix en définitive que de vivre dans la mort ou dans l’Esprit donateur de vie, la vraie, celle qui transfigure et inverse la mort.
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La clé de l’amour créateur, c’est le repentir, cette « métanoia » qui nous arrache à notre pesanteur pour nous faire graviter, dans la lumière de l’Esprit, autour du christ, notre soleil. C’est pourquoi, dans presque toutes les confessions chrétiennes, le dimanche de la Pentecôte comporte aussi un long office de la génuflexion. C’est qu’aujourd’hui s’achève la grande Cinquantaine, ce prodigieux dimanche cinquante fois répété – et que recommence le rude combat quotidien. Si nous savons le vivre, l’offrir, jusque dans ses déchéances et ses désespoirs, avec un peu d’espérance et de foi – de la foi comme un grain de moutarde, dit la parabole –, alors l’Esprit fera du rythme même de notre vie un rythme d’initiation : à travers nos « descentes en enfer » et nos pressentiments du paradis, à travers la joie et la souffrance, à travers les dépouillements inéluctables et les simplifications taciturnes, l’Esprit nous fera entrer dans la mort-résurrection du Seigneur. Il nous réunifiera tous et chacun. Il vivifiera nos communautés, nos paroisses, où les relations fondamentales changent entre les hommes pour peu qu’ils laissent le Christ vivre en eux. Il brisera notre cœur de pierre, il fera de notre cœur ce lac de larmes où le prochain reconnait son vrai visage – et c’est le visage du Ressuscité. Il fera de nous, pour reprendre une expression du patriarche Athenagoras, des hommes « désarmés », dans lesquels la prière et l’accueil se correspondent. Alors, au lieu d’être des marionnettes, nous serons parfois, des vivants.