« Le Christ, notre Pâque ! » (1 Cor 5,7)

B – Homélie 7ème dimanche de Pâques

Frères et sœurs, chers amis, le 7e dimanche de Pâques que nous célébrons aujourd’hui, ne marque
pas la fin du Temps pascal. La fin liturgique du Temps pascal, ce sera la célébration de la
Pentecôte : le don de l’Esprit. Cet Esprit que nous recevons chacun pour notre part, dans le
baptême, la chrismation et l’eucharistie, ce que l’on appelle « les sacrements de l’initiation ». La
période pascale, liturgique, prendra fin alors.
Et vous vous souvenez de ce chemin pascal que j’ai souvent évoqué pour entrer vraiment dans
l’intelligence de ce qui s’est passé dans la Passion, la mort et la résurrection du Seigneur, dans ce
qui s’est passé “aux jours de Jérusalem”. Chemin pascal pour essayer d’appréhender ce que nous
mettons sous le mot de « résurrection » : résurrection du Seigneur, notre propre résurrection,
notre vie dès ici-bas à la lumière et dans la dynamique de la résurrection — souvenez-vous toujours
de ce que saint Paul disait aux Colossiens : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, alors
recherchez les réalités d’en haut » — et aussi, bien sûr, renouvellement de la Création tout entière,
puisque le Seigneur donne le salut aux êtres humains que nous sommes, mais aussi à tout le créé
qu’il est venu ressaisir. La résurrection, c’est comme une re-création.
En disant et en évoquant ces quelques perspectives, on comprend immédiatement que, dès lors, le
chemin pascal qui va se clore liturgiquement avec la Pentecôte, il ne va pas se clore quant à lui,
dans la dynamique profonde de notre vie spirituelle. Au fond, toute notre vie spirituelle, tout notre
cheminement de foi, il consiste à porter par-devers nous, peut-être deux questions : la première,
celle que nous pose le Seigneur lui-même : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Cela engage déjà un long regard posé sur le Sauveur ; cela engage déjà une écoute au long cours de
ce que le Seigneur dit. Cela engage déjà une attention très grande à tout ce que le Seigneur fait.
Mais avec cette question que le Seigneur pose à chacun — et au fond peut-être même que la
deuxième question fait partie de la première —, il y a cette interrogation que l’on doit toujours
porter par-devers soi et qui est l’objet de notre contemplation : que s’est-il passé ? qu’est-ce qui
s’est joué aux jours de Jérusalem, aux jours de la Passion, mort et résurrection du Seigneur ?
Qu’est-ce qui s’est joué dans l’histoire à ce moment-là pour le Seigneur ? Qu’est-ce qui s’est joué
pour les vivants à ce moment-là, les contemporains du Seigneur ? Qu’est-ce qui s’est joué au fil des
siècles pour tous les vivants qui se sont succédés, les croyants qui se sont succédés ? Et jusqu’à nous
aujourd’hui, qu’est-ce qui s’est joué, et qu’est-ce qui se joue dans la résurrection, dans la foi en la
résurrection, dans une vie accordée à la confession de foi au Christ ressuscité ?
Ce jour d’hui, nous lisons encore les Actes, la première épître de Jean, l’Évangile de Jean.
Commençons par le livre des Actes, pour souligner quelques détails qui sont à la fois simples, mais
pas sans importance.
Le premier souci que vont porter ceux qui commencent d’écrire l’“Évangile de l‘Église” que nousmêmes nous continuons d’écrire aujourd’hui, le premier souci qu’ils vont porter, ça va être
d’assurer, si je puis dire, “l’intégrité de la communauté’’. Et quant à saint Luc, il va avoir vraiment le
souci que l’on comprenne bien que de l’Évangile du Seigneur Jésus à l’Évangile de l’Église, au
fond, c’est tout un. Et la première étape, ça va être de réparer quelque chose de dramatique qui s’est
produit peu avant la Passion. Je parle ici bien entendu de la trahison de Judas. Il se trouve que
lorsque Judas a trahi, le corps du premier cercle a été gravement affecté. Il a été amputé d’un de ses
membres. Il a été amputé de Judas qui pourtant avait été choisi par le Seigneur Jésus, avait fait
partie de ceux et celles qui se tenaient au plus près du Seigneur Jésus. Et voilà qu’il a trahi. De sorte
qu’ils n’étaient plus douze mais onze.
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Or ce chiffre douze, qui peut-être nous paraît anodin, dont nous ne percevons pas l’importance, il
compte beaucoup. Il évoque les douze tribus d’Israël, il évoque ces douze tribus qui seront
rassemblées comme en plérôme au moment où s’accomplira « le Jour de Dieu ». Et ce jour, il s’est
accompli dans le ministère de Jésus, mais surtout dans son Mystère pascal. Et pour que cette
symbolique du chiffre douze — qui signifie la plénitude, la plénitude des temps, l’avènement du
Jour de Dieu — soit conservée, eh bien, il faut remplacer judas, il faut conserver au groupe des
Apôtres, son intégrité, comme son intégrité symbolique (au sens fort). Et du coup, Luc nous met en
présence de cet événement où l’on va réparer ce qui a été blessé, ce qui a été très très profondément
blessé.
Une petite remarque avant d’aller plus loin. Ce n’est pas neutre de faire mémoire de Judas, cette
figure du traître, de celui qui, comme dit Pierre, a pu « servir de guide à ceux qui allaient tuer
Jésus ». Cela nous dit d’emblée — et on aurait pu aussi rappeler les mésaventures (le reniement) de
Pierre — cela nous dit combien la communauté porte des fragilités. Cela nous dit combien les
membres qui composent la communauté ou l’assemblée croyante portent des fragilités, et il ne faut
pas aller chercher bien loin, nous le savons bien avec tout ce que nous traversons encore, en termes
de scandales, d’abus et de trahisons, pour prendre la mesure de cette fragilité qui nous
accompagne, et dont on ne se défait jamais. Alors cette fragilité, même quand elle est odieuse, et
même quand elle appelle le passage de la justice des hommes, elle appelle aussi le jugement et la
miséricorde du Seigneur. Très très étonnamment d’ailleurs, une fois qu’il a commis son méfait,
Judas “disparaît en quelque sorte des radars’’, de sorte que quant à sa fin, toutes les versions ne
concordent pas. Je ne suis pas sûr que Luc et Matthieu raconteraient la même chose. Ce qui est sûr,
c’est qu’à méfait lamentable devait correspondre une fin misérable. Et quelle que soit la fin qu’on
envisage pour Judas, il y a d’abord cette sorte d’effacement de la communauté, et puis il y a cette —
on pourrait presque dire — cette perte dans les ténèbres de quelqu’un qui est sorti du cercle de
lumière dans lequel l’avait accueilli le Seigneur Jésus. Mais gardons en mémoire cette faiblesse, qui
est une donnée absolument co-naturelle de notre communauté, de notre assemblée croyante,
comme elle l’est du reste de l’humanité en général.
Ce qui est probablement plus important, c’est de retenir la critériologie qui est exposée par Pierre
pour recruter le successeur de Judas. Il souhaite trouver quelqu’un « qui a accompagné le groupe
durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du
baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. » Ce que l’on recherche,
c’est quelqu’un qui a aussi été témoin proche de toute cette période. Par là on nous dit d’ailleurs
qu’il y avait très proches du tout premier cercle, celui des douze strictement dit, il y avait des gens
qui étaient dans un deuxième cercle plutôt rapproché, et qui eux aussi, ont vu et entendu ce que
faisait ou ce que disait le Seigneur Jésus.
Et au fond, frères et sœurs, le critère que Pierre utilise à ce moment-là, pour poser les bases de
l’évangélisation à venir, le critère qu’il utilise, il n’est pas, et il ne sera jamais finalement,
strictement réservé à ces Douze-là, et à quelques autres. Du reste, par après, saint Paul — auquel
Luc ne donnera jamais le titre d’Apôtre — survient, et il va avoir toute autorité pour annoncer le
Mystère du Christ, alors qu’il ne l’aura jamais suivi depuis le baptême jusqu’au moment où le
Seigneur fut enlevé. Ce qui nous laisse à penser que nous-mêmes, nous-mêmes, nous sommes
tellement fondés à penser que nous sommes munis de ce qui est nécessaire et suffisant pour être à
notre tour les témoins de Jésus de Nazareth, les témoins de celui qui a marché parmi les hommes,
de celui qui s’est fait l’un d’entre eux ; nous avons tout ce qui est nécessaire et suffisant pour scruter
son moment pascal et en tirer le suc, la sève, pour en recevoir vraiment l’essentiel et le
quintessentiel, et être en mesure de le partager à qui veut bien accueillir ce Mystère.
La proclamation de l’Évangile, la lecture en continue du Nouveau Testament, des Épîtres, de
l’Apocalypse, de tous ces écrits qui gravitent autour de la personne de Jésus et de la première
expérience du Christ faite par l’Église, dans sa contemplation comme dans sa mission, tout cela
nous est donné, offert, dans le Livre des Actes, le cinquième Évangile, l’Évangile de l’Église,
l’Évangile de l’Esprit.
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Cet Esprit Saint, nous l’invoquons ces jours-ci de manière particulière. Nous l’invoquons de
manière particulière parce que dans une semaine, bientôt, nous célébrerons le don de Celui que le
Seigneur a promis. Il a promis qu’élevé auprès du Père, il enverrait l’Esprit. Le Père par le Fils
donne l’Esprit à son Église.
Et dans l’Église, l’Esprit, il a plusieurs caractéristiques : il est pour nous, notre mémoire, notre
intelligence, notre discernement et notre créativité.
Il est notre mémoire, parce que — reportez-vous à ce que je viens de dire à l’instant — nous gardons
par-devers nous, non seulement la mémoire de ce qu’a fait le Christ, mais plus largement, une
immense mémoire biblique dont nous avons hérité avec le Seigneur Jésus, dont nous avons hérité
avec tous les écrits du Nouveau Testament. Mais l’Esprit Saint, il est aussi la mémoire de nos
existences, de l’histoire des hommes et de nos histoires à nous, car tout cela doit être gardé, scruté,
pour que nous en tirions toujours plus de leçons et plus de sagesse.
L’Esprit, il est aussi notre intelligence, car il ne s’agit pas de stocker par manière d’érudition. Non,
il s’agit vraiment d’essayer de comprendre Dieu qui parle dans l’Écriture, mais Dieu qui parle aussi
dans les signes des temps. Quelque chose qu’on dit un peu moins aujourd’hui. Il y a quelques
années, on était plus sensibles à ces “signes des temps” : qu’est-ce que Dieu nous dit aujourd’hui ?
Et qu’est-ce que Dieu nous dit aujourd’hui en parlant le langage d’aujourd’hui – non pas en parlant
le langage d’hier, d’avant-hier, non pas simplement en parlant le langage d’Isaïe ou de Jérémie ou
d’Ézéchiel ? Non, quelles sont les voix qui aujourd’hui sont les échos actuels de ces grands
prophètes qui appelaient à suivre le vrai Dieu ?
Je disais, l’Esprit il est aussi notre discernement. Il est pour nous, oui, ce qui nous aide à rendre
présent, à actualiser l’Évangile. Non pas à répéter par manière de psittacisme comme des
perroquets mais à actualiser. « Aujourd’hui, le salut est entré dans cette maison. » dit Jésus
lorsqu’il va chez Zachée. Et nous, comment pouvons-nous dire : « aujourd’hui, le salut est offert à
la communauté dans laquelle je célèbre, je prie et je sers. Le salut est offert aujourd’hui à la société
dans laquelle je vis ma vie Le salut est offert aujourd’hui, à la société des hommes, à la fraternité
humaine, à la grande fraternité humaine à laquelle j’appartiens. À chaque instant, il faut être en
éveil, pour — je le disais à l’instant — entendre les voix par lesquelles Dieu nous interpelle et
trouver les moyens de faire en sorte que cette parole reçue ne reste pas sans fruits, et que sans cesse
les impératifs de la justice soient honorés, et les horizons, et la puissance de la charité ne soient pas
occultés.
Et puis il y a enfin ce que j’ai dit : j’ai parlé de notre « créativité ». On peut se demander qu’est-ce
que je mets là-dessous. En fait, ce qui m’y a fait penser, ce sont des propos de la sœur Marie de la
Trinité, une dominicaine des campagnes, une mystique, une femme assez puissante et qui avait une
confiance incroyable dans la grâce baptismale. « C’est la grâce baptismale — disait-elle — qui est
innovante, qui est créatrice ». La grâce du ministère, c’est la grâce pour la continuité, c’est la grâce
du suivi des choses ; mais à intérieur de l’espace ecclésial garanti par les cadres dont on s’est dotés
ou dont l’Esprit nous a dotés, à l’intérieur de cet espace, il y a la responsabilité absolument
inaliénable de chacun.
Et ici par manière d’exemple, je pense, on l’a célébré il n’y a pas si longtemps, je pense à un
personnage comme Catherine Sienne qui est tellement éloquent. Catherine Sienne qui n’est pas une
grande moniale, qui n’est même pas une religieuse, qui est juste une jeune femme (elle est morte à
trente-trois ans). Une jeune femme laïque dominicaine, mais qui n’a peur absolument de rien, qui
s’adresse à tous, à toutes, à tout le monde, à quelque degré de l’échelle sociale qu’ils soient : elle
admoneste les papes et les princes ou les rois, comme elle admoneste les simples frères prêcheurs,
ou comme elle admoneste les gens qui sont dans sa compagnie à Sienne. Ce type de personnage, qui
va jusqu’au bout par amour de l’Église, et qui est capable de porter des messages extrêmement
forts, disant par exemple — c’est une outrance — mais disant par exemple : « Si on veut réformer
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l’Église, alors il faut la détruire entièrement ! » Oui, parce qu’il faut effectivement toujours
reprendre les choses depuis le fond des racines, depuis le fondement le plus profond, pour avoir des
fondations qui soient solides. Ce n’est qu’un exemple, je pourrais certainement en trouver d’autres,
mais celui-ci était singulièrement parlant. Et sœur Marie de la Trinité, nous rappelle à notre
responsabilité baptismale et apostolique.
Point n’est besoin de revenir si longtemps sur l’Évangile de Jean. Ce qu’il nous invite à faire, c’est
vraiment couler notre être dans celui du Christ, nous appuyer sur l’amitié du Christ, entendre le
Christ prier son Père et dire : « J’ai veillé sur ceux que tu m’as donnés, et aucun ne s’est perdu, sauf
… (on l’a nommé tout à l’heure, Judas). » Mais le Seigneur a cette sollicitude-là, il a cette vigilance
sur chacun, chacune, d’entre nous. Et au-delà même de la communauté croyante, sa vigilance, sa
sollicitude, elle rejoint tous les êtres. C’est pour tous les êtres qu’il veut la vie en plénitude ! c’est
pour tous les êtres qu’il veut la joie en plénitude ! Il y a toujours cet avertissement que la
proposition qu’il fait n’a pas toujours été reçue, elle lui a valu le refus et la mort ; ce sera le cas aussi
pour nous. La proposition que nous faisons de l’Évangile, de l’amour du Christ, de l’amitié du
Christ ne sera pas toujours reçue, elle pourra nous valoir – et elle vaut à certains de nos frères, le
refus et même parfois la mort. Et pourtant, nous sommes tout de même, envoyés vers le monde.
Non pas dans un esprit bravache, pour défier les gens bêtement mais parce que l’amour aspire à
être partagé. Et le sens de notre mission, le sens de notre envoi, analogiquement, il est comparable
au sens de la mission et de l’envoi du Seigneur Jésus. Alors nous pouvons simplement nous le
redire : le Seigneur est venu pour nous révéler le vrai visage de Dieu, le Dieu-amour. Il est venu
pour nous donner ce salut qui est — si je puis dire — le vœu le plus cher de Dieu. Saint Paul
dira : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance la vérité. »
Aussi bien, à la lumière de cette simple considération, nous pouvons prier avec les mots du Notre
Père : « Seigneur que ta volonté soit faite », car nous savons que sa volonté ultimement, c’est bien
le salut de tous les hommes et le fait qu’ils parviennent à la connaissance, pleine et entière, de la
vérité ; qu’ils parviennent à recevoir la joie que le Seigneur veut leur donner, et la vie que le
Seigneur veut leur donner.
De cela, nous pouvons être les vecteurs et les instruments. Prions l’Esprit, vraiment, d’enlever de
notre propre cœur tout ce qui fait obstacle à la grâce et à l’amour de Dieu. Et prions-le aussi de faire
que jamais nous ne soyons des obstacles ou des écrans entre nos frères et soeurs humains et le vrai
visage de Dieu, mais qu’au contraire, nous soyons des passeurs, nous soyons des vecteurs, nous
soyons des témoins lumineux de la grâce de Dieu et de l’amour de Dieu qui sans cesse nous sont
donnés.
AMEN